Hélène Vayssières : le cinéma de poche et Arte

Chargée des courts et moyens métrages au sein de l’Unité Cinéma d’Arte France, et de l’émission Court-Circuit, Hélène Vayssières est à l’origine de « Caméra de Poche », une collection de dix courts métrages ayant la particularité d’avoir été entièrement tournés avec des téléphones portables. En novembre, elle faisait partie du Jury de la deuxième édition du festival belge de films mobiles, Cinépocket. Entretien.

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Dans le magazine Court-Circuit, tu programmes du format court. Récemment, tu as diffusé des films réalisés avec téléphones portables dans le cadre d’une collection, « Caméra de poche ». Comment t’es-tu intéressée à ces films ?

Hélène Vayssières : Je me demandais comment expérimenter cet outil émergent, le téléphone portable muni d’une caméra, quand j’ai rencontré Benoît Labourdette qui m’a parlé de son expérience avec le Festival Pocket Films, au Forum des Images. Je me suis dit que ce serait intéressant de tester aussi la vidéo sur mobile, de découvrir ce qu’il serait possible de créer à partir d’un tel outil mais aussi de voir si une nouvelle grammaire cinématographique allait émerger. Comme ARTE développait une programmation spéciale sur le thème « Avoir 20 ans », j’ai introduit un projet de collection de films sur téléphones autour du même sujet. La chaîne a été tentée par l’opération, un budget a pu être dégagé, le Forum des Images et SFR sont devenus partenaires de « Caméra de poche », notre collection de dix courts métrages entièrement tournés avec des téléphones mobiles. L’idée devait se concrétiser assez rapidement. On a commencé en février et il fallait que les films soient terminés fin avril pour être projetés, pendant le Festival Pocket Films en juin, au Centre Pompidou. Pour avancer, j’ai soumis l’idée à onze réalisateurs avec lesquels j’avais déjà travaillé sur des films plus classiques et qui avaient, à mon avis, un potentiel. J’ai contacté six réalisateurs entre 20 ans et 29 ans, et cinq plus âgés, pour récolter des points de vue complètement différents. Ce projet intégrait un cahier des charges : un thème imposé (« Mes 20 ans »), une durée maximum de 5 minutes, et un tournage entièrement réalisé sur mobile. Par contre, le genre était libre : il pouvait il y avoir autant de documentaires que de fictions ou de reportages.

La projection à Beaubourg s’est bien passée : 300 personnes sont venues voir ces films diffusés sur grand écran. Par après, on les a diffusés, en septembre, dans Court-Circuit dans une édition spéciale Avoir 20 ans dans laquelle il y avait aussi des films plus traditionnels liés au sujet. En parallèle, on les a diffusés sur la plateforme Internet d’ARTE (http://www.arte.tv/cameradepoche) et on a crée un blog interactif sur les coulisses du projet.

Ca a été une aventure intéressante qui était loin d’être gagnée au départ. En dépit de la question du temps, il fallait convaincre les réalisateurs. Quand j’en appelais certains en leur disant : « est-ce que ça t’intéresse de faire un film avec un mobile ? », même si je ne pouvais pas voir leur regard hésiter, je sentais quand même des blancs dans la conversation. Ce n’était pas rare que mon correspondant réagisse de cette manière : « avec un téléphone ?! Je sais à peine utiliser mon téléphone et tu veux que je fasse un film avec ?! ».

Tu es très attentive à l’écriture. Comment la considères-tu à partir du moment où un réalisateur saisit un appareil mobile plutôt qu’une caméra ?

En découvrant des films sur téléphone portable, j’ai souvent constaté un déficit de scénario mais c’est peut-être une déformation professionnelle ! Par rapport à cette collection, même si l’outil n’était pas à la base une caméra mais un téléphone, j’avais envie qu’il y ait un travail sur le scénario. L’écriture se transforme : en effet, on ne peut pas écrire tout à fait de la même façon pour l’outil mobile que pour une caméra. Comme le portable est quelque chose que l’on porte sur soi, il joue souvent le rôle de caméra subjective. De plus, avec cette technique, on ne pose pas trop la caméra et le cadrage est, lui aussi, complètement différent. Tout cela implique une autre écriture. Ce n’est pas évident car logiquement, les réalisateurs sont tentés par l’écriture classique. Avec le Forum, on leur prête alors un mobile bien avant le tournage pour qu’ils essayent des choses, manipulent l’objet et se rendent compte des contraintes, des avantages, des possibilités et des impossibilités. En ayant l’outil en mains, en expérimentant, ils réalisent qu’ils ne doivent pas écrire comme si la caméra était classique, qu’ils doivent revoir leur scénario, transformer leur écriture et trouver des nouvelles astuces de narration. Eux, ils essayaient de faire l’image la plus belle possible, le film le plus correct possible, sauf qu’on n’est pas dans un outil qui génère cela. J’ai donc dû les pousser à écrire différemment, en leur disant : « servez-vous de l’outil, utilisez-le pour ce qu’il est, et voyez ce qui en sort. » Cela n’a pas été facile pour tous.

Tu as des exemples en tête ?

Je pense à Mehdi El Glaoui (« Mao est mort ») ou à Anna Da Palma (« Lisbon calling »). Au départ, ils avaient imaginé des fictions assez classiques. Petit à petit, j’ai fait en sorte de les amener à s’emparer de ce mobile et à libérer leur caméra. Ils avaient un peu peur de l’outil, mais progressivement, ils ont accepté de jouer le jeu. Ce n’est pas évident parce que quand on tourne des films classiques, on peut poser à loisir sa caméra, du coup, lorsqu’on se retrouve face à ce tout petit bidule qui bouge tout le temps et qui fait des images un peu bizarres, on en a vite peur donc on a envie de le stabiliser. Au bout de quelques temps, on peut aussi se lâcher, ce qui a été le cas de Marie Vermillard (« Les premiers pas »). Au départ, elle aussi, elle avait peur du mobile, ce qui l’avait conduite à faire une première partie très posée et classique, mais au bout d’un moment, elle a vraiment utilisé l’outil. Elle s’est tellement lâchée qu’elle a fait le film le plus expérimental de la collection !

Sens-tu que qu’une nouvelle écriture cinématographique est en train d’apparaître avec ces films-là ?

Je pense qu’il est encore trop tôt pour estimer qu’il existe une nouvelle écriture par rapport au mobile. Pour l’instant, dans leur majorité, ces films s’écrivent à la caméra ou au montage, mais il n’y a pas encore de véritable travail d’écriture sur le papier ou à l’ordinateur. Dans la prochaine collection de films sur portables qu’on va lancer à ARTE (nouveaux thèmes : « Mutants », « Années 80 »), je vais quand même essayer de faire travailler les nouveaux réalisateurs dans ce sens.

Tu évoques les possibilités et les contraintes. Lesquelles vois-tu à travers ces films ?

Avec cet outil, je découvre un parallèle avec les films en Super 8 d’une certaine époque. Je vois une possibilité de faire des films plus intimes, des films de proximité, presque de famille. De plus, l’appareil est léger et permet l’improvisation : tout à coup, s’il se passe quelque chose, on sort le mobile de sa poche et on filme. Maintenant, je pense que si c’est pour faire des choses très classiques, ça ne vaut pas le coup.

Tu es membre du jury au festival Cinépocket. Que penses-tu du niveau des films sélectionnés ?

À ce stade, je n’ai pas encore tout vu mais je constate une faiblesse générale de l’écriture. Il faut se demander pourquoi on fait un film, ce qu’on a à raconter, et savoir exactement ce que l’on veut avant d’écrire son scénario. Si on ne s’est pas posé toutes ces questions, on obtient des films qui peuvent être sympathiques mais qui peuvent aussi être très vite oubliés.

Les festivals de films mobiles sont accessibles aux réalisateurs, aux photographes, aux plasticiens, mais aussi à toute personne qui possède, aujourd’hui, un appareil téléphonique dans sa poche. À partir du moment où chacun est porteur potentiel d’images, ne peut-on pas penser que ces films peuvent être confusément apparentés à des courts métrages et donc à du cinéma ?

Effectivement. Ce n’est pas parce qu’on a dans la main un outil qui filme qu’on est cinéaste. C’est le problème aujourd’hui : on confond l’outil et le processus de création. Il faut se demander si le film est créatif ou si c’est juste une blague. Intègre-t-il une partie créatrice, artistique et réflexive ? Parmi les films que j’ai vus à Cinépocket, il y en a un qui m’a intéressée particulièrement : « Domino » (Sandy Claes, Prix du Jury). Je le trouve très original dans sa forme et très ludique. Son écriture n’est pas classique du tout, mais par contre, on voit très bien qu’il y a eu une réflexion et une construction derrière, et que le film ne s’est pas fait par hasard.

À partir du moment où un outil est démocratisé, les gens sont susceptibles de s’en emparer et de développer des projets dans lesquels un acte de création et une réflexion sont intégrés, mais le risque, c’est qu’il y ait aussi beaucoup de films qui ne sont pas des films mais des blagues. C’est pour cela qu’il ne faudrait pas confondre l’amateurisme et le professionnalisme. Dans le même ordre d’idées, quand j’ai lancé la collection d’ARTE, au-delà des réflexions qui ont entouré le projet, j’ai essayé de trouver des financements. Ce n’est pas parce qu’on filme avec un téléphone portable qu’on peut faire croire aux gens que tout est possible et que tout est gratuit. Même si on n’avait pas un budget énorme, on a tenu à payer les équipes (réalisateurs, monteurs, comédiens, …), à négocier les droits d’auteur pour les musiques, bref à se placer dans un contexte professionnel.

Peut-on imaginer que ces films, pour le moment cantonnés à des manifestations très spécifiques, puissent un jour alimenter une section « mobile » d’un festival de courts métrages ?

Pourquoi pas ? De toute façon, les festivals ça pousse comme des champignons : il suffit qu’il pleuve ! Ceci dit, un film de qualité réalisé avec un mobile pourrait très bien se retrouver dans la section « Labo », à Clermont-Ferrand.

Est-ce que tu envisages de diffuser ces films, comme d’autres extraits du catalogue d’ARTE, sur des téléphones portables?

Pour les films de la collection, je concevais une diffusion surtout mobile. Je n’ai pas dit aux réalisateurs de penser au grand écran, mais bien à un petit, un tout petit écran. Je pensais que le partenaire SFR allait s’emparer de ces films pour les offrir à ses abandonnés mais cela ne s’est pas fait. C’est dommage mais avec l’arrivée de la TMP (Télévision Mobile Personnelle), ça va peut-être changer les choses. Sinon, dans l’absolu, moi, je suis favorable à la diffusion sur les mobiles, mais il faut lui associer une écriture spécifique. Montrer sur portable des courts métrages qui n’ont pas été pensés pour un écran différent me semble risqué à partir du moment où l’image est transmise sur une toute petite fenêtre et que le cadrage est imposé. Il faut prendre en compte ces paramètres si on envisage une telle diffusion, sans compter le fait qu’il y a un risque de différence de perception d’un écran à l’autre. Ceci dit, à une époque, on disait ça du cinéma par rapport la télévision, puis de celle-ci par rapport à Internet, et maintenant on soulève ces questions par rapport aux mobiles. Ce qui me semble intéressant, c’est qu’aujourd’hui, ce n’est plus cloisonné. On pense de plus en plus, dès le départ, au multi-écran : on imagine des déclinaisons de films ou de programmes, avec des spécificités suivant l’écran. Dans cet esprit, il y a beaucoup d’idées très intéressantes et faciles à mettre au point. Par exemple, cette année, à ARTE, on va creuser plus du côté d’Internet et de l’interactivité. Il y a quelques temps, on a lancé l’atelier Final Cut sur le site, permettant aux internautes de s’entraîner à monter les rushes de certains réalisateurs. Il est tout à fait imaginable d’y insérer ceux des films tournés avec téléphone portables.

Tu t’occupes aussi de moyen métrage à ARTE. Es-tu également tentée d’explorer le format plus long, toujours à partir de téléphones portables ?

Pour l’instant, ce n’est pas à l’étude : on a une collection à faire. Je ne dis pas que ce projet ne se fera jamais, mais si on se lance dans une telle aventure, cela demandera des financements supplémentaires et surtout, on ne fera pas dix courts métrages en même temps. Un moyen métrage réalisé avec un téléphone portable ne serait à envisager que si le scénario se prête réellement à ce type d’écriture.

Propos recueillis par Katia Bayer

2 thoughts on “Hélène Vayssières : le cinéma de poche et Arte”

  1. Bonjour , j’ai une idée et je veux la réaliser en court-métrage , j’essaye de contacter la chaine mais j’ai trouve rien , si quelqu’un peut m’orienter

    Merci

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