Morgenrot de Jeff Desom

O weiter, stiller Friede,
So tief im Abendrot.
Wie sind wir wandermüde –
Ist dies etwa der Tod?
*
– Joseph von Eichendorff

Sélectionné en compétition OVNI au Festival du court métrage de Namur, « Morgenrot » fait pleinement honneur à cette appellation. Le clip vidéo réalisé par le Luxembourgeois Jeff Desom sur la musique de Hauschka est une véritable expérience esthétique en tempo di valse.

Animé sur la base de vieilles photographies new-yorkaises, le film s’ouvre sur une carte postale adressée à Ferndorf, le « village lointain » du compositeur allemand et laisse ainsi supposer que l’oeil subjectif de la caméra lui appartient. Celle-ci nous fait balader ensuite à travers l’écoutille du bateau, tel le dispositif du cinématographe, pour dévoiler de splendides vues de l’arrivée à New York en bateau. Une fois atterris, on continue à voyager dans la ville rendue quasiment antique grâce à la brume temporelle du sépia et par l’image presque carrée, évocatrice de la photo mais aussi du cinéma des premiers temps. En contraste total à cette esthétique d’époque, Desom use des mécanismes ultramodernes des vues à vol d’oiseau et du slow motion pour ralentir son image à la quasi-stase lors qu’il filme, pour la moitié de la durée de son très court, la chute depuis un gratte-ciel d’un piano droit en feu.

Ce que le clip accompagne (forcément) est un petit morceau de musique contemporaine signé Hauschka, alias du compositeur et pianiste Volker Bertelmann. Mais il s’agit de cette veine minimaliste de la musique contemporaine issue de l’école des Six et de la « musique d’ameublement » de Satie et que l’on associe à Philippe Glass ou à Michael Nyman; une veine bien plus « cinégénique » que d’autres courants de musique contemporaine plus intellos, comme celui de Steve Reich ou de John Cage, même si, à l’instar de ce dernier, Bertelmann privilégie le piano préparé. Minimaliste et harmoniquement épurée, la pièce se repose sur un seul accord répété (même si on entr’aperçoit quelques suggestions de variations harmoniques dans les fréquentes pédales du piano et du violoncelle).

Tout comme dans ses homonymes, un film de propagande nazi de 1933 et le blockbuster « Red Dawn » de 1984, la pulsion de mort (Todestrieb) est bel est bien présente ici, la ressemblance s’arrêtant heureusement là. En effet, Desom envisage « Morgenrot » comme une séquence du rêve récurrent du protagoniste de « Bloksky », son film de fin d’études et sa première collaboration avec Bertelmann. Ce personnage, un pianiste en manque d’inspiration devant le portrait animé de sa muse apparemment défunte, était incarné par le compositeur lui-même. Le piano brûlant dans « Morgenrot », avec sa chute, serait-il en quelque sorte l’expression artistique du même type de frustration ? En étirant un moment fatalement instantané et surréaliste, le réalisateur nous le fait vivre de l’intérieur, mêlant onirisme, nostalgie et polysensorialité.

Adi Chesson

Consultez la fiche technique du film

* O vaste paix sereine, Si profonde au crépuscule. Que nous sommes las d’errer – serait-ce donc la mort ?

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