Formats Longs : Les Reines du drame de Alexis Langlois

Au milieu de milliers de tragédies grecques, le choix cornélien entre succès et amour se présente comme un sujet matriciel qui a toujours été réapproprié pour commenter son époque. Prenez comme exemple les quatre films A Star is Born, qui vont de l’œuvre classique hollywoodienne au film post-MeToo, en passant par l’œuvre rock pré-Reagan. Ici, à travers son propre prisme queer, Alexis Langlois nous raconte dans Les Reines du drame, sélectionné en séance spéciale à la Semaine de la Critique, le destin de la diva pop Mimi Madamour, au sommet de sa gloire en 2005, et de sa descente aux enfers précipitée par son histoire d’amour avec l’icône punk Billie Kohler.

L’excitation était grande tant nous connaissions le talent d’Alexis Langlois, qui a montré avec ses courts-métrages comme De la terreur, mes sœurs ! et Les démons de Dorothy un univers singulier, rempli d’influences, quoique foutraque et qui n’avait jamais été encore porté sur grand écran. Une impatience qui vaut le détour tellement on sort de la séance avec l’impression d’avoir assisté à deux heures de jouissance queer, fun, incontrôlable et absolument formidable. Avec Les Reines du drame, Alexis Langlois nous livre une œuvre baroque et musicale, toujours au bord de l’artificialité et de la facticité par son dispositif et le décorum qui l’entoure, mais qui ne passe jamais la ligne grâce notamment à l’humour de ce dernier. Cela nous est montré dès le début, dans un futur proche, avec l’apparition hilarante du personnage de Bilal Hassani, botoxé jusqu’aux chevilles, qui se présente à nous, spectateurs, comme le narrateur, celui qui va donner le ton de cette fable. Cette scène d’introduction se révèle ainsi comme la lettre d’intention d’un film qui utilise l’humour comme ouverture vers des personnages revendicatifs et fiers d’être ce qu’ils sont.

Une fierté, une pride qui transpire de tous les pores de l’œuvre et jusqu’à son genre, la comédie musicale, dont il respecte les codes, jusqu’à sa construction narrative en rise and fall. Ainsi en allant chercher du côté de Starmania ou encore de La La Land dans son histoire d’amour parasitée par la recherche du succès, Alexis Langlois se présente comme un auteur réellement passionné par ce genre et par les tensions qui en découlent. Et ceci tout en pervertissant les paroles et les musiques qui lui sont accolées, y ajoutant une couche extrêmement jouissive au film (petit coup de cœur pour la musique “Pas touche” de Mimi Madamour).

Une réjouissance qui se retrouve principalement dans l’envie de Langlois de nous livrer une œuvre pop qui se réapproprie les codes autant visuels que musicaux des années 2000. À l’intersection de plusieurs icônes féministes et queer des années 2000 comme Lorie, Priscilla ou encore Britney Spears, on retrouve le personnage principal de Mimi Madamaour, se présentant comme un melting pot, un pastiche de toutes ces influences, qui se reflète dans l’esthétique pink, kitsch et théâtrale.

Une esthétique et une mise en scène tellement propres à son auteur que le film ne présente que très peu d’aspérités et de sorties de piste, ce qui est rare pour un premier film. Notamment dans son traitement de la figure de la femme comme sujet, comme action de comédie et action de résistance face aux normes de la société. Avec une énergie fédératrice et une mise en scène qui met ses personnages et leurs doutes au cœur du régime de narration et d’esthétique, Alexis Langlois nous livre un female gaze absolument passionnant. Dans la continuité de ses courts-métrages comme De la terreur, mes sœurs !, il nous offre ainsi un éventail de personnages et de femmes en tout genre, chacun à leur manière iconisés et adoubés au niveau de reines. Le seul point noir au milieu de cet océan d’idées nouvelles est l’essoufflement de la relation entre Mimi et Billie qui, dans son dernier tiers, vire à une banalité qui nous fait regretter la première heure du film.

Issu du format court, Alexis Langlois ne semble pas en oublier l’inventivité, s’appropriant le format long comme un immense parc de jeux où il peut étendre toute une panoplie thématique inédite.

Dylan Librati

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