Tous les articles par Katia Bayer

#Clermont-Ferrand 2024

Ce vendredi 2 février, s’est ouverte la 46ème édition du Festival du court métrage de Clermont-Ferrand. L’affiche signée par l’illustratrice américaine Stacey Rozich, convie les mondes, la couleur, le fantastique et la déambulation.

Jusqu’au 10 février, le festival se déclinera entre compétitions (internationale, nationale, labo), thématiques (insoumises, Eur♀Visions) et hors-compétitions (Pop-Up, Regards d’Afrique).

🌟 Notre équipe sera présente pendant le festival et vous tiendra au courant de ses coups de coeur.

Nos nouveaux sujets

Le reportage Regards d’Afrique. Regards nouveaux

L’interview de Rachel Gutgarts, réalisatrice de Via Dolorosa (compétition Labo)

L’interview de Yohann Kouam, réalisateur de Après laurore (compétition nationale)

L’interview de Azedine Kasri, réalisateur de Boussa (Regards d’Afrique)

L’interview de Léo Fontaine, réalisateur de Qu’importe la distance (compétition nationale)

– Clermont 2024, le palmarès

L’interview de Irène Drésel, compositrice, membre du jury Labo

Clermont, les prix spéciaux

Clermont 2024. Les Prix France Télévisions du court-métrage

L’interview de Angélique Daniel, réalisatrice de Montréal en deux (compétition nationale)

Coup de projection sur la compétition nationale

Nos coups de cœur dans la compétition Labo

Les films dejà couverts sur Format Court

Compétition nationale

– L’interview de Mathilde Bédouet, réalisatrice de Été 96

27 réalisé par Flóra Anna Buda 

J’ai vu le visage du diable de Julia Kowalski

Margarethe 89 de Lucas Malbrun

La Saison pourpre réalisé par Clémence Bouchereau

Maurice’s Bar de Tom Prezman et Tzor Edery

La Voix des autres de Fatima Kaci

Pleure pas Gabriel de Mathilde Chavanne

La Perra de Carla Melo Gampert

Et si le soleil plongeait dans l’océan des nues de Wissam Charaf

Compétition Labo

Via Dolorosa de Rachel Gutgarts

Wild Summon de Saul Freed & Karni Arieli

A kind of testament de Stephen Vuillemin

Compétition internationale

Basri and Salma in a Never Ending Comedy de Khozy Rizal

The Waiting de Volker Schlecht

Cross my heart and hope to die de Sam Manacsa

Eur♀Visions

Love, Dad de Diana Cam Van Nguyen 

Symphony no. 42 de Reka Bucsi

La vie sexuelle de Mamie de Urška Djukić et Emilie Pigeard

Insoumises 

Le cri défendu de Charlotte Abramow

Beach Flags de Sarah Saïdan

Maman(s) de Maïmouna Doucouré

L’Amérique de la femme de Blandine Lenoir

Les courts nommés aux Oscars 2024

Il y a un mois, nous vous annoncions les 45 titres des courts présélectionnés aux Oscars 2024. Il y a quelques jours, les nominations des votants de l’Académie se sont fait connaître. Un tiers des films (15 donc) reste en lice pour l’Oscar du meilleur court-métrage de fiction, d’animation et documentaire. Le p’tit bonus : 2 de ces films sont visibles sur la Toile, via cette actu.

Et pour la suite ? À l’issue du deuxième tour de vote qui aura lieu du 22 au 27 février, les prix seront remis pendant la cérémonie des Oscars, le 10 mars prochain. On en reparlera.

Meilleur court métrage de fiction

The After, de Misan Harriman
Invincible, de Vincent René-Lortie
Knight of Fortune, de Lasse Lyskjær Noer
Red, White and Blue, de Nazrin Choudhury
Henry Sugar, de Wes Anderson

Meilleur court métrage d’animation

Letter to a Pig, de Tal Kantor
Ninety-Five Senses, de Jared Hess et Jerusha Hess
Pachyderme, de Stéphanie Clément
Our Uniform, de Yegane Moghaddam
War Is Over ! Inspired by the Music of John & Yoko, de Dave Mullins

Meilleur court métrage documentaire

The ABCs of Book Banning, de Trish Adlesic, Nazenet Habtezghi et Sheila Nevins
The Barber of Little Rock, de John Hoffman, Christine Turner
Island in Between, de S. Leo Chiang

The Last Repair Shop, de Kris Bowers et Ben Proudfoot

Nǎi Nai & Wài Pó, de Sean Wang

15 ans !

Apparu sur la Toile en 2009, Format Court continue de repérer de nouveaux auteurs et de nouveaux films – sans critères de durée, de genre et de nationalité – et d’en assurer la promotion sur le web. Que ce soit à travers son contenu éditorial, ses événements (projections, After Short, Festival), Format Court soutient encore et toujours la forme courte sous toutes ses formes.

Site de référence incontournable, Format Court est à la fois un magazine d’information une plateforme critique et une base de données grandissante sur le court métrage. Et ce mois-ci, c’est notre anniversaire. 15 ans, déjà.

Rendez-vous pendant notre 5ème Festival (25-28 avril 2024, Studio des Ursulines, Paris, 5e) pour une tranche de gâteau, une bougie et une séance de courts, histoire de fêter en beauté ce passage avec nous !

César 2024, les nominations des courts

Ce mercredi 24 janvier, l’Académie des Arts et Techniques du cinéma a dévoilé la liste des films et artistes nommés pour la 49ème cérémonie des César qui aura lieu le 23 février prochain dans la salle de l’Olympia à Paris. Voici les courts en lice pour le César du meilleur court-métrage de fiction, documentaire et d’animation.

Pour info, le second tour de vote pour les 4 694 membres votants s’ouvrira jeudi 1er février et se clôturera le vendredi 23 février à 16h, quelques heures avant l’ouverture de la 49e Cérémonie des César qui révélera les lauréats 2024.

Enfin, vous l’aurez peut-être remarqué : l’affiche des César de cette année est liée à un photogramme tiré de La Belle Fille et le Sorcier, un court métrage de 1992 réalisé par Michel Ocelot. Le réalisateur, connu pour Kirikou, avait lui-même remporté un César du meilleur court-métrage d’animation en 1983 pour La Légende du Pauvre Bossu avant d’avoir le César du Meilleur Film d’Animation en 2019 pour Dilili à Paris.

Nous avons interviewé plusieurs fois Michel Ocelot sur Format Court, une fois à l’occasion de la sortie de son long-métrage Le Pharaon, le Sauvage et la princesse (2022) et plus récemment au Brunch du court-métrage des César. Michel Ocelot y était Parrain de la sélection officielle des courts-métrages d’animation aux César 2024.

Films nommés aux César du court 2024

César du Meilleur court-métrage de fiction

L’attente réalisé par Alice Douard
Boléro réalisé par Nans Laborde-Jourdàa
Rapide réalisé par Paul Rigoux
Les Silencieux réalisé par Basile Vuillemin

César du Meilleur court-métrage documentaire

L’acteur ou la surprenante vertu de l’incompréhension réalisé par Hugo David et Raphaël Quenard
L’effet de mes rides réalisé par Claude Delafosse
La mécanique des fluides réalisé par Gala Hernández López

César du Meilleur court-métrage d’animation

Drôles d’oiseaux réalisé par Charlie Belin
Eté 96 réalisé par Mathilde Bédouet
La forêt de mademoiselle Tang réalisé par Denis Do

Appel à réalisateurs / La Scénaristerie

Partenaire du Festival Format Court, La Scénaristerie, association créée en 2015, a lancé une nouvelle résidence : Le Labo Court-Métrage qui s’intéresse de près à la relation scénariste/réalisateur.rice.

En septembre, l’association a lancé un appel à projets destiné aux scénaristes qu’il.elle.s ne souhaitent pas réaliser eux.elles-mêmes. Elle en a retenu 4 :

– Smala, de Nathan Assouline
– L’effet Puppy Clip, de Stéphanie Chabert
– Saudade, de Rokiatou Konaté
– Boîte vocale, de Martin Lafaye

Les 4 scénaristes préalablement sélectionné.e.s ont travaillé sur leur projet de court-métrage pour aboutir à un synopsis développé.

Suite à cette première session, la Scénaristerie lance un appel à réalisateur.rice.s pour former 4 binômes de scénaristes/réalisateur.rice.s qui partiront ensemble en résidence d’écriture la semaine du 4 au 8 mars au Mans, accueillis par La Cité du Film.

Le travail se fera de façon collective et supervisé par les deux consultantes de La Scénaristerie afin d’écrire une nouvelle version de synopsis ou une première version dialoguée du court-métrage.

Le Labo court-métrage se clôturera par une présentation des projets devant des producteur.rice.s à l’occasion du prochain Festival Format Court du 25 au 28 avril 2024 à Paris.

Pour participer à cet appel à réals (deadline : 5 février !), connaître les pitchs et disposer de toutes les infos, rendez-vous sur : https://www.scenaristerie.com/copie-de-appel-à-projets-2

Mathilde Bédouet : « J’aime l’idée que le dessin vit tout seul une fois que je l’ai fait »

Premier film professionnel, Été 96 parle de la découverte de l’individualité du jeune Paul, le temps d’un été sur une île du Finistère. Court d’animation réalisée en rotoscopie, il est issu de l’imaginaire de Mathilde Bédouet, une jeune réalisatrice passée par les Arts Décoratifs, l’illustration, le dessin de presse et le clip. César du meilleur court d’animation 2024, il mêle souvenirs personnels, espaces vides et explosion de couleurs, dessins et jeu d’acteurs, douceur-insouciance propre à l’enfance et réalité-dureté du monde adulte.

Format Court : Tu as fait les Arts Décos en animation. Comment et pourquoi as-tu choisi ces études?

Mathilde Bédouet : J’ai commencé par une mise à niveau à Olivier de Serres, une école publique qui proposait entre autres, des BTS. J’y ai touché à tout, avant de m’orienter vers les Arts Décos car ils avaient une section animation. J’ai donc refait ma première année là-bas, ce qui m’a permis d’être sûre de vouloir faire du cinéma d’animation. Je me suis dit que si je faisais de l’animation, je saurais faire de l’illustration alors que le contraire n’est pas forcément vrai. A l’école, on a dû faire des illustrations sur des tickets de caisse enroulés : on a vite vu ceux qui étaient motivés par l’animation, et les autres qui ont été découragés par l’exercice. J’étais en contemplation devant les dessins. J’ai failli avoir les Gobelins, j’étais la première sur liste d’attente ! Mais finalement, j’ai aimé l’enseignement aux Arts Décos. Au début, je trouvais qu’il manquait de professionnalisation, mais avec le temps j’ai compris qu’on nous avait appris un certain goût, de par cette non-compréhension de la technique.

Il y a aussi l’idée répandue qu’on sait raconter des histoires individuellement lorsqu’on sort des Arts Décos, quand le travail est plus collectif aux Gobelins.

MB : Oui, aux Arts Décos, je pense qu’il y a ce côté plus “artisan”, on développe notre propre patte. C’est incroyable, on peut faire tout ce qu’on veut avec les ateliers comme de la stop-motion, du fond vert, des salles de tissage…

Quelles sont les techniques qui t’ont le plus intéressée ?

MB : J’ai fait beaucoup de dessin sur papier traditionnel au début. La pâte à modeler n’avait pas marché pour moi (rires) ! J’aime rester sur le papier, avec des crayons. Et puis je me suis mise à la rotoscopie.

Comment travaille-t-on avec le procédé de rotoscopie ?

MB : Pour Été 96, on a fait un tournage avec de vrais acteurs. J’ai imprimé le film à 8 images/seconde sur du papier, que j’ai mis en transparence sur mon bureau, comme un calque. Je dessine ensuite ce qui m’intéresse, j’interprète. J’ai fait plus de 3000 dessins pour le film.

En quoi passer par la réalité est-il pertinent pour raconter une histoire ?

MB : Je trouve ça très intéressant car on ne peut pas inventer les micro mouvements d’acteurs. Cela me permet de faire de l’animation réaliste dans le ressenti, j’aime l’idée qu’il y a une part de jeu que je ne prévois pas. A la base, je voulais me rapprocher du documentaire. Je ne saurai pas expliquer pourquoi j’aime le réalisme, et les acteurs me permettent de raconter quelque chose avec une distance. Je choisis ce que je dessine, j’interprète les couleurs, je simplifie parfois… Je laisse toujours beaucoup de blanc autour, mon style vient de choses que je ne sais pas faire. Comme je ne fais pas de décor, je peux me concentrer sur les personnages. Dans l’animation, j’aime le line-test, quand on voit le mouvement au début d’une scène sans qu’il se finisse : c’est du crayon pur sur fond blanc. Cela me touche beaucoup moins quand les décors sont ajoutés.

Tu as fait de l’illustration, du dessin de presse. As-tu l’impression que cela a nourri ton travail ?

MB : Non, c’était assez cloisonné. A l’école, on nous disait de dessiner tout le temps, ce que je faisais avec tout le monde.

Quand t’es venu le projet d’Été 96 ?

MB : Autour de 2019, le temps de réfléchir, d’avoir les aides, la production… Faire le tournage et finir de tout redessiner, cela m’a pris beaucoup de temps. On aurait pu aller plus vite si on avait embauché plus de gens. En équipe, on s’aide quand on bloque, ce qui est super inspirant. Lors de mes études, certains films d’animation m’ont inspirée comme Les Triplettes de Belleville ou Valse avec Bachir. Au lycée, on ne connaissait pas les courts-métrages d’animation, à part peut-être ceux de Pixar. C’est lors des festivals, comme celui de Clermont-Ferrand, que j’ai découvert le monde du court-métrage d’animation.

Qu’est-ce que le court-métrage t’apporte ?

MB : Dans l’animation, j’aime l’idée que le dessin vit tout seul une fois que je l’ai fait. Tout ce que j’imagine devient autonome. Dans le court, c’est plutôt la narration qui me plaît. J’aime beaucoup lorsqu’on me dit que mon court-métrage rappelle aux gens des souvenirs. Ce qui touche, c’est quand on touche à soi. J’ai du mal à inventer un scénario de nulle part, donc je choisis l’autobiographie. L’idée d’Eté 96 m’est venue en voyant des cassettes vidéos chez mon grand-père : d’abord, j’avais le projet d’en faire des archives documentaires familiales, puis j’y ai rajouté un peu de fiction,… J’ai fait de la fiction sur des souvenirs. On est retrouvés sur les vrais lieux, l’île Callot dans le Finistère. Pour moi, enfant, c’était l’île de la liberté au contraire de Paris où j’ai grandi en faisant attention à tout. J’ai l’image des rochers de l’île très impressionnants où l’on gambadait. Ce sont les enfants du coin qui nous y ont emmenés en bateau. Ils ont escaladé les rochers exactement comme nous avions l’habitude de le faire enfants, ils étaient sur leur terrain de jeu. C’était trop bien de les faire jouer sur un endroit qu’ils connaissaient par cœur, de faire jouer son propre rôle par des acteurs.

Tu as commencé par la réalisation de clips musicaux. Quels avantages et difficultés as-tu rencontré ?

MB : Au début, lorsque je faisais des clips, je n’écoutais pas les paroles mais le rythme. J’avais des flashs que j’essayais de lier à une histoire. Je trouve que le clip permet une liberté folle parce qu’on n’est pas obligés de raconter une histoire, on peut divaguer. L’inconvénient, c’est d’avoir des commanditaires, mais j’ai eu beaucoup de liberté à cause du manque de budget. Avec des labels plus importants, il y a des contraintes artistiques plus importantes j’imagine. Avec le clip ou le long-métrage, je pense que la question essentielle est de savoir quelle est la durée dont j’ai besoin pour raconter une histoire. J’ai horreur des films où l’on se dit : “Tiens, j’aurais bien enlevé 20 minutes ” (rires) !

L’Heure de l’été, la boîte de production qui t’a accompagnée, n’a pas l’habitude de faire de l’animation. Comment votre collaboration a-t-elle débuté ?

MB : Ça a commencé avec Ninon Chapuis, une amie d’enfance que j’ai retrouvée. Elle est venue me voir pour développer des univers qu’elle aimait, je lui ai montré les images de mes cassettes, c’était assez intime. J’aimais le grain des images, mais j’ai petit à petit abandonné les images d’archives pour faire de l’animation. Ninon a très bien compris mon travail, ça a été très simple. La production m’a trouvé des gens pour le tournage, là où j’avais le plus besoin d’aide.

Qu’est-ce qui détermine ton envie de mettre autant de couleurs dans ton travail ?

MB : Bonne question (rires) ! Je travaillais beaucoup en noir et blanc, puis j’ai switché sans vraiment savoir pourquoi.

Dans les crédits, tu remercies Faber-Castell, la marque de crayons de couleur.

MB : Oui, ils nous ont sponsorisé en nous fournissant des crayons. On a passé un an à leur écrire, ils étaient débordés mais au final ils étaient très contents de nous aider. A la différence des personnes sur leur ordinateur, j’ai un budget de consommables énormes, avec les crayons, les feuilles, les taille-crayons, les gommes, l’impression… J’usais environ une dizaine de crayons par semaine, ce qui est énorme sur le long terme.

As-tu été tentée de travailler sur ordinateur ?

MB : J’ai déjà travaillé avec deux animateurs en Bretagne que je n’avais jamais vus, et avec qui cela s’est très bien passé. Je leur envoyais des cartons avec les dessins et des indications : sur papier, ça marchait très bien. J’en ai marre de l’ordinateur, le crayon me manque par rapport au stylet. Gagner du temps ne m’intéresse pas, j’adore dessiner chaque dessin.

Que ressens-tu quand tu dessines ?

MB : Du calme, de l’apaisement, presque comme une sorte de méditation. Je passe toujours beaucoup de temps à chercher les premières images, les couleurs et le style des personnages. Mais quand j’ai l’idée en tête, je peux en dessiner des dizaines à la suite. Si je m’attelle au long-métrage, j’en aurai pour 7 ans minimum (rires) !

Quels sont tes projets pour le futur ?

MB : On a eu une aide du CNC, on va bientôt déposer une demande de soutien en région. L’histoire que je veux raconter dans mon prochain court-métrage sera plus longue, aux alentours de 20 min, avec des adolescents cette fois-ci, toujours avec de la rotoscopie. Certaines techniques vont changer, je vais adopter d’autres méthodes de tournage dans la direction d’acteurs par exemple. Diriger des adolescents est un défi plus conséquent, que je maîtrise moins mais qui m’excite beaucoup. Je trouve l’énergie d’une équipe technique très inspirante et très surprenante.

Avec Été 96, tu as des archives et des souvenirs personnels, des images de tournage, et du dessin. Que fais-tu des images de plateau ?

MB : Pour moi, c’est du matériel qui m’aide au travail final, mais le plus important est le mélange à la fin. J’aimais qu’on rigole d’une scène mais qu’on réalise en même temps le mal-être et la solitude d’un enfant. Je parle beaucoup des transitions, de ces moments flottants où l’on se constitue face aux autres.

Le comité de présélection des César 2024 a choisi ton film parmi d’autres. Comment l’as-tu vécu ?

MB : C’était une grande surprise et une énorme joie. Avec Ninon, on s’est dit que faire les choses avec le cœur a fini par payer. Mais je me dis que je n’ai pas vraiment de contrôle dessus. C’est super encourageant, on se dit qu’il n’y a pas que ses parents qui regardent le film ! Le film bouge et touche des gens. Il y a tellement d’énergie que ça me donne beaucoup de force et de confiance pour en refaire un. J’ai mis longtemps à me considérer comme réalisatrice, après avoir été un peu lâchée dans la nature. Avec les César et la sélection au Festival de Clermont-Ferrand que j’aime beaucoup, ça me donne du courage pour me lancer encore plus loin.

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Mona Affholder

S comme Les Silencieux

Fiche technique

Synopsis : Jorick est l’un des cinq membres d’équipage d’un petit chalutier. Après quatre jours d’une campagne de pêche infructueuse, il se retrouve face à un dilemme cornélien : rentrer les cales vides ou décider, contre l’avis d’une partie de l’équipage, de partir braconner en zone interdite.

Genre : Fiction

Durée : 20’

Pays : Belgique, France, Suisse

Année : 2022

Réalisation : Basile Vuillemin

Scénario : Basile Vuillemin, Blandine Jet

Montage : Christophe Evrard

Décors : Pierre Guerin

Image : Olivier Boonjing

Son : Theo Viroton

Interprétation : Arieh Worthalter, Thierry Barbet

Production : Blue Hour Films

Articles associés : la critique du film, l’interview du réalisateur

Les Silencieux de Basile Vuillemin

En mer, personne ne vous entend crier ; seul le silence prend le dessus. C’est dans ce silence, au milieu de nulle part, que des hommes, une bande de cinq marins, vont essayer tant bien que mal de se battre contre les éléments. Poussé par Jorick, un personnage incarné par Arieh Worthalter, le groupe décide, le temps d’une nuit, d’aller dans une zone protégée où la pêche semble bien meilleure. Ce n’est qu’après la joie de voir des poissons par centaines sur leur chalutier que le groupe remarque quelque chose qui va les stopper net : le corps d’un enfant. C’est avec cette histoire que Basile Vuillemin nous signe son premier court-métrage produit, après son dernier film auto-produit, Dispersion. Récompensé par le prix du public au festival Paris Court Devant 2023, Les Silencieux est aussi la première incursion dans la présélection des César pour un auteur tel que Basile Vuillemin, qui met autant à mal notre moralité en tant que spectateur.

De son postulat et de son dispositif claustrophobique visant à suivre, sur plusieurs heures, la vie de ces hommes, il en résulte avec Les Silencieux un objet organique. Et ceci dès le début du film, de par la succession de gros plans sur le filet de pêche et sur cette rouille. Cette rouille qui semble avoir pullulé sur tout le bateau et sur nos marins. De cette crasse qui prend possession de leurs corps fatigués, voûtés et marqués par un dur labeur. Le film, par son introduction, joue sur les corps, leurs sudations comme marque d’un métier et d’un système de production où ces hommes finissent broyés. De tout cela, émane une vraisemblance qui nous fait adhérer et nous attacher à la réalité de ces personnages que nous suivons durant le film. Un parti-pris de narration toutefois assez simple, mais qui, au fil des minutes, se verra perverti, notamment via le climax.

Ainsi, le film trouve une certaine efficacité en plaçant ces hommes au centre de son dispositif, notamment le personnage de Jorick. Incarné par Arieh Worthalter, ce dernier nous est montré dès le début comme quelqu’un à part, comme un marginal au sein des marginaux. Mais aussi comme une figure contestataire, étant le seul personnage qui ne nous est pas introduit dès le début du film par sa fonction de marin, mais plutôt par une musique. Un personnage merveilleusement interprété par un Arieh Worthalter méconnaissable et totalement impliqué, qui troque sa longue barbe pour un duvet mal taillée. Avec dextérité, il ajoute énormément à ce personnage, notamment dans sa fluctuation entre des moments de furie et de pur mal-être en silence.

Ce même silence qui prend une part énorme dans le film et qui lui donne son titre. Ici, Basile Vuillemin traite ce silence comme un véritable motif de cinéma, de deux façons distinctes. Dans un premier temps, il est imposé par un environnement hostile dans lequel ces marins essaient de le recouvrir avec de la musique, une musique aux sonorités country, comme une fenêtre sur le monde et un moyen de s’échapper. Dans un second temps, il est traité comme un élément choisi face à un dilemme moral. Ainsi, Basile Vuillemin fait du silence un élément de tension et de suspense. Il joue avec le spectateur, avec notre propre injonction morale envers la situation et les actes de Jorick. Et ceci à travers un climax géré au cordeau qui nous laisse, dans ces derniers instants, avec des hommes qui essaient d’affronter le déni, d’affronter un silence devenu assourdissant. Un parcours initiatique qui se laisse retranscrire à travers le personnage de Malo, jeune matelot, pris sous l’aile de Jorick et qui finira à la fin les yeux dans le vide, comme la totalité de l’équipage.

Ainsi, le film se distingue de par son sujet et son ancrage politique qui lui sont accolés. En abordant la vie de ces travailleurs qui doivent commettre des actes illégaux simplement pour pouvoir payer leur essence, le film place au centre de son sujet des questions liées à l’écologie et à la misère sociale. On pouvait donc s’attendre à un film flirtant avec un certain misérabilisme en plongeant tête première dans la fable sociale. Cependant, ce n’est pas ce que fait Basile Vuillemin avec Les Silencieux.

En effet, on peut y voir un réel travail de la part de Basile Vuillemin et de sa co-scénariste Blandine Jet pour se réapproprier ce sujet à travers le prisme du genre. Le film pose la question en préambule de comment gérer autant de tension dans un endroit aussi isolé qu’un chalutier au milieu de nulle part. De cette question, nous pouvons y voir une sorte de réitération des « 12 hommes en colère » de Sidney Lumet en pleine mer. Un film d’autant plus vénéneux qu’il utilise son ancrage politique comme un vrai outil dramaturgique pour nous laisser, en tant que spectateurs, totalement pantois. Rien qu’à travers ce personnage de Jorrick, précédemment cité et qui, dans son traitement de gros dur, qui s’avère finalement détruit de l’intérieur, va lorgner du côté du thriller. En empruntant notamment chez Michael Mann et chez son archétype de personnage mutique.

Cette réappropriation passe par la mise en scène et la position de Basile Vuillemin, qui se place ici comme un réel auteur formaliste. Sans être programmatique, la mise en scène réussit avec un certain pudisme quant à la condition de ses hommes, à traiter de leur mal-être et de leur ambivalence morale. Un formalisme qui se mêle à la morale sans pour autant être moraliste, c’est là que se trouve la réussite du film et de cette mise en scène maîtrisée.

Dylan Librati

Consulter la fiche technique du film

Article associé : l’interview du réalisateur

Lkhagvadulam Purev-Ochir : « Les acteurs avec qui je travaille sont ceux qui ne peuvent pas cacher ce qu’ils ressentent »

Trois mois avant la sortie française de son long-métrage Un jeune chaman (City of Wind) dévoilé en septembre dernier à la Biennale de Venise (et récompensé du Prix d’interprétation masculine pour l’acteur Tergel Bold-Erdene), la réalisatrice mongole Lkhagvadulam Purev-Ochir revient pour Format Court sur son parcours et son court-métrage Snow in September, actuellement en compétition pour les César 2024 après une très belle carrière en festivals (Prix du meilleur court à Venise, Toronto, Palm Springs, Format Court, …).

Format Court : Comment est-tu tombée dans le cinéma ?

Lkhagvadulam Purev-Ochir : De façon très naturelle je pense, pour être honnête, et en même temps très radicale. Je dis cela parce que j’ai passé mon enfance à voir des films, c’était vraiment une grande grande source de divertissement… Non, pas de divertissement : d’évasion pour moi. Maintenant, j’essaie de me comprendre davantage […] et je commence à réaliser que ce n’est pas seulement que j’aimais le cinéma, voir des films. Je pense que j’avais vraiment besoin de m’évader, de me libérer des choses angoissantes qui avaient cours dans ma vie d’enfant puis d’adolescente.

Je suis née et j’ai grandi en Mongolie jusqu’à l’âge de 10 ans où mon père est allé étudier aux Etats-Unis. On est parti avec lui et on revenu quand il a eu son diplôme. C’est drôle, on est est resté 5 ou 6 ans aux Etats-Unis mais mon père ne nous emmenait qu’à la bibliothèque/médiathèque. Et seulement parfois, si on voulait sortir avec des amis, il nous emmenait au cinéma. À la bibliothèque, on pouvait emprunter 12 ou 14 livres par semaine et peut-être 7 films, donc on y allait pour rendre les précédents et en emprunter de nouveaux et on passait le week-end à lire et regarder des films chez-nous. C’était ça, mon expérience américaine. C’était comme ça que je passais tout mon temps.

Ensuite, on est retourné en Mongolie et j’ai réalisé que toutes mes références étaient issues des films. Si je voulais décrire quelque chose, j’utilisais des références de scènes de films et les gens commençaient à se dire à chaque fois : « Ah, elle va encore dire quelque chose à propos d’un film ». A mon retour en Mongolie, à 16 ans, les adolescents là-bas avaient leur propres références, blagues et façon de communiquer qui n’étaient pas les miennes; moi, j’étais au milieu d’eux. Ils relevaient vraiment cela de moi et je crois que c’était là, pour la première fois, que j’avais remarqué que j’avais sans doute beaucoup trop d’heures de visionnage de films au compteur.

Puis, je suis allée en Turquie pour ma licence, il y avait ce programme scolaire d’échange entre la Turquie et la Mongolie. J’ai passé un an à apprendre la langue et à la fin de ce cursus, on était supposé faire un choix d’orientation professionnelle. On devait lister trois universités et si notre niveau scolaire le permettait, on pouvait en intégrer une. Ma mère est médecin, je m’étais toujours dit que j’allais en être une aussi mais, à ce moment de ma vie où j’avais passé un an loin de ma famille, je commençais à me sentir indépendante et je me demandais : pourquoi est-ce que je n’étudierais pas le cinéma ? Est-ce que ça existe, est-ce que c’est au moins possible ? Enfant, je ne pouvais même pas en rêver, c’était un fantasme. Quand on vient du milieu dans lequel j’ai grandi, on devient médecin, on exerce un métier sécurisant. Je crois que c’est là, loin de mes parents, que j’ai eu pour la première fois l’idée de devenir cinéaste. J’ai mis mes trois choix en parcours de cinéma [et c’est comme ça que je suis arrivée en Europe].

Et le cinéma, en Mongolie, quelle forme il avait pour toi ? Est-ce que tu pouvais avoir accès à autant de films qu’aux Etats-Unis ?

L. P-O. : C’était la télévision, seulement la télévision quand j’étais enfant. Je n’ai jamais été au cinéma avant de partir aux Etats-Unis. Il y avait quelques cinémas à Oulan-Bator [ndrl : capitale de la Mongolie] mais mes parents ne m’y emmenaient jamais. Je suis née en 1989 et à partir de cette époque, les choses ont changé drastiquement là-bas, les cinémas ont fermé puisqu’avant bien sûr, c’était un bien de l’Etat. Je pense qu’il n’y avait pas de business model ni l’expérience encore pour gérer [la privatisation]… En fait, je n’ai aucune idée d’où étaient les cinémas pendant mon enfance. Je ne voyais des films qu’à la télévision.

Y a t-il un film qui durant ton enfance ou ton adolescence a particulièrement résonné en toi et qui, peut-être, t’a donné inconsciemment ce goût du cinéma et cette envie de faire des films plus tard ?

L. P-O. : Je pense que j’ai eu deux expériences marquantes. La première, c’est quand j’étais toute petite, je devais avoir 5 ou 6 ans, en 1995. Le maître à l’école nous avait apporté la cassette d’un film de Bollywood. Il y avait plein de nouvelles choses qui arrivaient à cette époque en Mongolie, des soap-opéra, dont Bollywood. Tous les enfants de l’école, tous les professeurs, avaient été réunis à la cantine pour projeter le film VHS sur un petit écran de télévision. Ce film ! Je ne pourrai jamais l’oublier. C’était du pur bollywood. Il y avait une histoire d’amour… La femme est tuée : une maison était en train d’être construite et le corps de la femme était ensevelie dans le mur qu’on avait repeint ensuite. J’étais terrifiée. À chaque fois que la caméra passait devant ce mur, je me souviens de mon envie de crier. Il y avait cette idée de présence qu’on ne pouvait pas voir mais qu’on savait être là. Ça a été mon premier souvenir fort d’image.

La première fois que j’ai conscientisé le cinéma, les intentions de création, c’était en Amérique. J’ai emprunté Un tramway nommé désir d’Elia Kazan et ce film m’a absolument bouleversée. Je crois que je devais avoir 14 ans. Je n’avais jamais vu une femme comme Blanche avant. Elle était dans un tel désespoir, j’en étais choquée. Mes amis m’avaient même acheté le DVD pour mon anniversaire tant j’en parlais.

Au début, je faisais ma sélection de films selon les nominations, les prix. J’avais ce snobisme de la personne qui ne regarde les films que lorsqu’ils avaient eu un Oscar [rires]. En voyant Un tramway nommé désir, je m’étais rendue compte que, peu importe les récompenses, il y avait quelque chose de plus important dans les films.

Tu as d’abord écrit ton premier long Un jeune chaman [City of wind] à la suite de quoi tu as réalisé tes deux courts Mountain Cat et Snow in September. Ce n’est pas le chemin habituel.

L. P-O. : J’ai écrit mon long-métrage parce que j’étais venu en Europe [Portugal] pour mon master d’écriture de films (2016). Deux ans avant d’y aller, j’avais rencontré un chaman, que l’on voit dans City of Wind. Je m’étais mis à beaucoup le fréquenter. Je n’avais pas vraiment d’expérience d’écriture de film avant, j’avais écrit quelques courts mais pas sérieusement, comme des exercices scolaires.

En Mongolie, j’avais cherché un scénariste pour m’aider à raconter mon histoire avec le chaman mais il n’y avait personne là-bas à cette époque et pas encore d’études d’écriture de films. Je le sais parce que j’ai enseigné à l’université du cinéma là-bas. Il n’y avait pas de scénaristes professionnels, juste des acteurs qui écrivaient des rôles pour eux-mêmes, des réalisateurs qui écrivaient leurs films rêvés… En Mongolie, le cinéma, c’était principalement un petit groupe d’amis, de gens qui se connaissent et qui faisaient des films ensemble. Je me suis dit que j’allais essayer d’aller étudier en Europe pour faire écrire mon film.

Quand j’ai eu mon diplôme, je me suis retrouvée avec cette première version de scénario de long dans les mains, mais rien d’autre. Je veux dire que je n’avais fait aucun court-métrage, je n’avais aucune expérience de festivals. Avant de venir en Europe, je n’avais d’ailleurs absolument aucune idée de cet univers des festivals, de ce qu’ils représentent en tant que puissance motrice pour avancer dans le cinéma et faire des films. J’avais ce scénario mais personne ne me prenait au sérieux parce que je n’avais rien fait.

C’est comme ça que Mountain Cat est arrivé [ndrl : le premier court-métrage de la réalisatrice]. Je l’ai fait à la pirate : j’ai écrit le film et un mois après, je le tournais. J’ai réuni tous mes amis en Mongolie, je tirais toutes les ficelles… Les films du poisson rouge [société de production britannique] sont arrivés après avoir vu les rushes.

Mountain Cat est allé à Cannes…

L. P-O. : Oui c’était incroyable ! L’année de la pandémie mais c’était incroyable d’être reconnue et ça a été un énorme tremplin. À partir de là, je pouvais montrer mon film, il avait beaucoup circulé en festivals et il était lié à mon long-métrage.

Comment as-tu commencé à travaillé avec la France, plus précisément avec Aurora Films qui a produit ton long-métrage mais aussi ton court Snow in September ?

L. P-O. : C’est drôle, j’ai rencontré Katia [ndrl : Katia Khazak, productrice à Aurora films] à Locarno quand le festival avait mis en place sur trois ans ce programme de portes ouvertes dédié à la Mongolie. Notre première rencontre a duré moins de 10 minutes et elle s’est mise à suivre mon projet. On a ensuite eu une réunion pour décider de travailler ensemble et, au cours de cette réunion, j’ai eu l’email de Cannes qui annonçait la sélection de Mountain Cat.

Katia est une travailleuse acharnée, elle a pris le projet d’Un jeune chaman et c’était parti ! Le financement a été relativement rapide, on a trouvé une co-production rapidement également. Peut-être aussi parce que j’avais fait le Laboratoire du scénario, les portes ouvertes de Locarno… Ces programmes m’ont mis le pied à l’étrier et m’ont aidé à me faire remarquer.

Revenons à Snow in September. Ce qui m’a marqué dans ton film, c’est le traitement de l’intimité. Tu présentes un rapport à la sexualité, chez un adolescent, qui est soudainement brusqué, violenté. Est-ce que tu peux nous en dire davantage sur la façon dont tu as construit cette histoire ? Quels ont été tes enjeux à ce niveau au cours de l’écriture ?

L. P-O. : L’histoire est basée sur une conversation que j’ai eue avec un ami qui a vécu quelque chose de similaire. Il m’a dit avoir commencé son expérience sexuelle quand il était très jeune, peut-être à 11 ou 12 ans. Il était gardé par une babysitter qui était dans sa vingtaine. Elle a profité de son ascendant sur lui. Cette histoire m’a fortement marquée parce que, si les genres avaient été inversés, il n’en aurait pas parlé de façon aussi « décontractée ». C’est une histoire vraiment terrible.

Dans la première version, j’avais écrit une scène bien plus violente : la femme tirait l’adolescent vers elle, montait sur lui, elle enlevait son haut… C’était bien plus explicite sur ce qu’il lui arrivait. Katia, ma productrice, trouvait cela trop fort. Quand j’ai commencé à réécrire et à réfléchir en termes de réalisation, de position de caméra, je me suis rendue compte en effet que c’était impossible de filmer ainsi cette scène de viol. Je ne savais pas où poser la caméra, ni depuis quel point de vue… Ca m’a mise face à face avec l’idée que la caméra était une arme et qu’il fallait savoir l’utiliser. Je crois que j’ai pu passer à la séquence suivante dans le film à partir du moment où j’étais assurée que c’était explicite pour le spectateur qu’elle abusait de lui. C’est vrai que ça a été un enjeu de plus en plus important tout au long du développement du film.

Le personnage vit cela davantage à travers ses expressions que par ses répliques, il reste relativement silencieux. Comment s’est passé le travail avec ton comédien (Sukhbat Munkhbaatar), pourquoi l’avoir choisi, lui ?

L. P-O. : Il avait alors 18 ou 19 ans, il allait commencer à prendre des cours de jeu. Il avait une petite expérience de plateau sur des vidéos en ligne, des séries TV. En Mongolie, on commence souvent par être assistant sur des plateaux avant de jouer; il voulait devenir acteur. Il est excessivement beau et il le sait. Lors de son casting, il me disait : « Tu sais je suis grand, ça peut te plaire… », des choses de ce style.

Je l’ai choisi parce que je n’avais pas spécialement besoin qu’il joue, ce n’est pas un film dramatique. En fait, même dans Un jeune chaman, le jeu n’est que dans les expressions du visage. C’est drôle que tu parles d’expressions parce que c’est vraiment ce que je recherche. Les acteurs avec qui je travaille, pas seulement Davka mais en général, sont ceux qui ne peuvent pas cacher ce qu’ils ressentent, ça transparaît immédiatement sur leurs visages. C’est une qualité que peu de gens ont. Certains arrivent à très bien dissimuler.

Avec Davka, certes, il n’avait peut-être pas d’expérience, sans doute qu’il était un peu trop beau, qu’il voulait devenir acteur tout ça… Mais il y avait quelque chose de tellement triste dans son expression et c’était quelque chose qu’il ne contrôlait pas. Il souriait, il parlait, il était content mais quand il se taisait pour écouter, son expression devenait triste, il avait cet air très mélancolique.

Cette tristesse était importante dans cette idée d’expérience transitoire et violente entre enfance et adolescence…

L. P-O. : Absolument, il devait y avoir cette couche d’émotion en lui qu’il ne pouvait pas cacher. Il a peu de dialogues, il doit juste être, écouter attentivement et son visage doit réagir. Quand je répétais avec lui, je le voyais vraiment écouter ce que je lui disais, écouter avec tout son corps.

À la fin du casting, il restaient deux garçons. L’un était un très bon acteur mais cachait tout de lui, tout, il montrait beaucoup d’émotions mais tout était du jeu, on ne pouvait rien lire sur le visage. C’était très intéressant. J’ai beaucoup appris des castings avec cette expérience.

Est-ce que peux tu nous en dire plus sur la construction du personnage de cette femme mystérieuse qui abuse de Davka ? Elle est dans un entre-deux, à la fois réaliste dans l’histoire et en même temps elle a ce côté fantomatique, peut-être un personnage symbolique ou métaphorique. Elle apparait de nulle part, disparait, personne ne la connaît…

L. P-O. : C’est intéressant, on me demande souvent si c’est une sorte de rêve, de fantasme… Honnêtement ce n’était pas l’intention. J’ai essayé à mon sens d’en faire un portrait réaliste mais j’aime ces interprétations de fantômes… J’imagine que c’est l’impression que ça laisse quand on vit un évènement comme ça, avec le non-dit, l’impossibilité de le communiquer et cette nécessité d’avancer, de faire avec, comme si ça n’était jamais arrivé même si ça devient un feu qui ravage tout autour de soi.

Je voulais montrer que ça pouvait être une rencontre parfaitement normale a priori [ndrl : la femme mystérieuse croise l’adolescent dans les escaliers de l’immeuble et entre chez-lui sous le prétexte de passer un coup de téléphone parce qu’elle s’est enfermée au-dehors] mais qui est complètement nouvelle pour le personnage. Davka ne peut se raccrocher à rien parce qu’il n’y a aucun passif dans leur relation. Comme il est adolescent, si en face de lui il avait eu une babysitter de 20 ans, on aurait pu projeter un crush pour elle de sa part mais ça aurait engendré une toute autre dynamique. Là, je voulais vraiment une rencontre nouvelle et neutre : quelqu’un qu’il ne connaisse pas mais qui veut donner l’impression d’être proche de son environnement : une voisine qu’il aurait pu ne jamais voir.

Ça devait être une première rencontre parce que c’est un court métrage. Si je faisais un long sur le sujet, j’explorerais peut-être la relation du personnage avec quelqu’un qu’il connait bien. Mais pour le bien du court, je voulais une relation fraiche, nouvelle, parce que je ne pouvais pas explorer l’intimité d’une longue relation.

Comment as-tu initié ce travail avec la comédienne [Enkhgerel Baasanjav] ? On parle d’une femme adulte qui doit être mue par une volonté de séduire un adolescent.

L. P-O. : J’avais besoin d’abaisser la séduction en fait. On parlait beaucoup avec la comédienne de cette rencontre et surtout du vécu de son personnage, de sa toile de fond. Cela n’apparaît pas dans le film mais on a créé une histoire mentale : une femme qui trompe son mari dans un appartement de l’immeuble en question. On imagine qu’elle vient de faire face au rejet de son amant et tandis qu’elle descend les escaliers de cet appartement, elle rencontre ce jeune homme.

On avait besoin qu’il y ait cette histoire réaliste pour que la comédienne puisse comprendre qui était son personnage, pourquoi il se trouvait là, pourquoi il mentait, ce qu’il cherchait. C’est une femme dont on s’est servi et donc qui veut se servir en retour, c’est son moyen de reprendre le contrôle. C’est en fait une femme très triste.

Un peu comme Blanche (Un tramway nommé désir) … [sourire]

L. P-O. : Oui ! Ce qui me lie vraiment à Un tramway nommé désir, c’est bien Blanche et son passé; à quel point elle est triste et comment à partir de cela, elle essaie de prendre l’ascendant, en particulier sur les hommes autour d’elle. Si on se souvient bien, elle est rejetée de sa ville parce qu’elle a couché avec un lycéen. Je n’avais jamais fait cette connexion avant… Quand je parlais avec l’actrice, j’essayais toujours de lui donner cette histoire de fond : une femme qui souffre et qui veut ressentir le contrôle, le pouvoir. C’est pour ça qu’elle fait irruption de la vie de cet adolescent.

Qu’est-ce qui a porté ton choix vers cette comédienne ? Elle porte particulièrement bien cette dimension ambivalente et intriguante.

L. P-O. : En vérité, la mère et la femme mystérieuse ont toutes les deux été castées pour les deux rôles. J’ai longtemps hésité à faire jouer quoi à qui. L’actrice qui joue la mère aurait été plus directement liée, pour les spectateurs, à ce côté séducteur parce que dans la vraie vie, elle dégage beaucoup … d’énergie [sourire].

L’actrice qui a finalement joué la femme mystérieuse est actrice de métier mais aussi professeure de jeu. Elle a quelque chose qui se situe davantage dans l’apparence d’une mère typique. À la fin, on a inversé tout ça, je voulais que la femme mystérieuse ait l’air la plus « normale » possible, même en ce qui concerne ses habits, je voulais les affadir… Je ne voulais pas de maquillage mais quelque chose de complètement naturel, rien où la séduction puisse se loger, contrairement à ce qu’il y avait dans le scénario où je l’avais affublée de vernis à ongles rouge etc… Parce que dans le scénario on doit laisser des indices pour faire comprendre ce qui est à l’oeuvre. J’ai gardé au montage les prises où l’actrice était le moins possible dans la séduction.

Peux-tu nous dire un mot sur le décor et le rôle qu’il tient dans le film ? Ces immeubles soviétiques vétustes t’étaient-ils familiers ?

L. P-O. : En fait, c’est là où j’ai grandi. Pas l’exact appartement mais la configuration, l’architecture, tout est identique à ce que j’ai connu. Même la chambre de Davka : je la voulais exposée plein Nord comme la mienne à l’époque, je voulais qu’elle soit sombre, il fallait qu’elle porte cette atmosphère de quasi donjon.

Dans le cinéma mongol, cette partie d’Oulan-Bator est rarement montrée, les réalisateurs préfèrent explorer la vie moderne, la ville moderne, pourtant ce type d’architecture est présent partout dans les anciens pays soviétiques. C’est aussi ma façon de documenter ces endroits avant qu’ils ne soient complètement transformés […]. Même l’appartement dans lequel on a tourné avait été rénové mais par chance, il avait toujours l’air vieux.

Comment as-tu abordé ces lieux avec ton chef opérateur Amine Berrada ? Quels sont les défis que vous y avez rencontrés ?

L. P-O. : Le travail avec Amine était très fluide. Il est très talentueux, très intuitif, c’était un bonheur. Mon but était que l’image, la lumière, ne soit pas réaliste, parce que pour moi, le réalisme ne concerne pas tellement le cinéma, mais je voulais qu’on aille vers un naturel, qu’on sente quelque chose d’organique mais qui ne soit pas poussé. Avec Amine, on essayait de travailler dans une idée de minimalisme au niveau de la lumière. On voulait utiliser l’espace tel qu’il était pour raconter cette histoire. Le gros défis du tournage, c’est avant tout que j’étais enceinte de 5 mois, on n’avait pas de talkies, je devais courir de partout pour parler aux acteurs… !

Un jeune chaman était à Venise en septembre, il sortira en France en avril chez Arizona … Est-ce que tu œuvres déjà à de nouveaux projets ?

L. P-O. : Oui, je commence à écrire un deuxième long. C’est une nouvelle aventure, très différente, où j’explore de nouvelles émotions. Ça se concentre sur la relation entre un père et ses fils [sourire, elle n’en dira pas plus.]

Propos recueillis par Gaspard Richard-Wright

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Julia Kowalski : « Je n’avais pas envie de montrer du doigt et de critiquer bêtement »

Julia Kowalski est réalisatrice. Elle a réalisé en 2023 J’ai vu le visage du diable, un court-métrage qui suit une jeune femme, Majka, torturée par son homosexualité, qu’elle perçoit comme un signe de possession. Elle décide alors de se faire exorciser. Ce film, qui s’inspire de la réalité des pratiques d’exorcisme en Pologne, mêle esthétique documentaire et surnaturel. Il fut présenté à de nombreux festivals, dont Cannes à la Quinzaine des Cinéastes, a remporté le Prix Jean Vigo du court-métrage et est en lice aux César 2024. Rencontre.

Format Court : Quel est le point de départ de ton travail sur cette fille que l’on voit se battre contre son homosexualité ? Est-ce cette dimension qui t’a intéressée ou la question de l’exorcisme ?

Julia Kowalski : Depuis quelques années, je prépare mon deuxième long-métrage : c’est l’histoire d’une jeune fille qui est convaincue d’être possédée. Dans ce film, il y avait initialement un exorcisme. Afin d’écrire ce film, j’ai donc enquêté sur le sujet et je me suis rendue compte de cette manière que la pratique de l’exorcisme était ultra répandue en Pologne de nos jours. Je me suis donc dit : « Incroyable ! Je vais enquêter un peu plus là-dessus en profondeur ! ». Au départ, je voulais en faire un documentaire, évidemment avec mon prisme principal, qui est qu’une jeune fille est convaincue que son homosexualité est quelque chose de démoniaque.

J’ai rencontré des dizaines de filles qui étaient passées par là et des prêtres qui étaient partants pour être filmés, mais je me suis retrouvée confrontée à un mur, qui était la hiérarchie ecclésiastique : il y a une confrérie des exorcistes de Pologne qui dépend du Vatican ; on ne peut pas faire ce qu’on veut. Quand j’ai fait les démarches officielles, je me suis retrouvée confrontée à ce mur : le nouveau coordinateur en chef des exorcistes de Pologne s’est révélé assez inaccessible et quand je l’ai rencontré, il m’a dit : « Je suis d’accord pour que tu fasses un film, mais pas celui que tu veux ! » Il était presque partant pour que je fasse un film de propagande, quoi ! Ce n’était évidemment pas mon sujet et donc, avec mes producteurs, on s’est dit : « Bon bah, on passe à la fiction ! ». C’est donc devenu un film de fiction, mais qui est très empreint du documentaire, parce que, à part les deux personnages principaux, ce sont des gens qui jouent leurs propres rôles. On a évidemment filmé dans les vrais lieux où ça se passe. Les paroissiens sont de vrais paroissiens, on a plein de scènes dans le film qui sont des scènes documentaires, mais les scènes d’exorcisme sont fausses.

Par ailleurs, dans une autre vie, j’ai été JRI [Journaliste Reporter d’images] pour Arte et j’ai fait un documentaire sur l’homophobie en en Pologne. J’ai donc découvert les exorcismes et thérapies de conversion et, depuis, ça m’habite pas mal.

L’idée première était donc l’exorcisme, la question de l’homosexualité est donc venue après, en creusant ?

J.K. : Tout à fait !

L’exorcisme est effectivement un service officiel du Vatican, qui existe ailleurs qu’en Pologne : est-ce que tu as l’impression qu’il y est si important, que c’est si massif, ou que ce sont uniquement des îlots ?

J.K. : Non, non, c’est extrêmement massif. Mon premier rendez-vous avec un exorciste, c’était il y a un peu moins d’un an. Il avait un sanctuaire de santé, qui avait parfaitement pignon sur rue. Quand je suis sortie, il y avait des dizaines de personnes qui attendaient pour des séances d’exorcisme l’heure d’après. Il y a vraiment des centaines de personnes par semaine qui se font exorciser.

Après, ça a effectivement été fait dans le monde entier : mon film, par exemple, cartonne au Brésil, parce que c’est un pays très pratiquant où l’exorcisme est très fréquent. C’est très méthodique, on ne fait pas n’importe quoi : il y a un rituel très précis. Il y a d’abord la litanie des saints, des questionnaires psychologiques… J’ai essayé dans le film de respecter ça, même si j’ai « squeezé » des étapes. Mais ça se fait comme ça de manière très ritualisée et ordonnée.

Est-ce que les personnes qui ont recours à l’exorcisme le font essentiellement pour des questions d’orientation sexuelle ou d’identité de genre ou pour des raisons beaucoup plus diverses ?

J.K. : Moi, c’était mon axe. Après, je n’ai pas les statistiques en tête, parce que je n’ai pas fait de travail sociologique, mais j’ai quand même rencontré beaucoup de gens et tout le monde trouve ça normal quand je fais des festivals. En Pologne, il y a même des gens qui ne voient pas la dimension critique du film. Ici, les gens trouvent normal que des gens fassent un exorcisme pour des questions de sexualité. Mais ce n’est pas l’unique raison.

Après, de ce que j’ai vu dans mes repérages, il y a deux types d’exorcistes : ceux qui disent que tout est bon à exorciser et ceux qui disent que les cas de possessions sont rares. Il y a des gens qui viennent pour tout type d’addiction (alcool, drogue, adultère…). Après, on peut évidemment y voir du charlatanisme, mais moi j’ai vu des choses quand même qui dépassent l’entendement. C’est pour cela que je n’avais pas envie de montrer du doigt et de critiquer bêtement : ça n’avait aucun intérêt et je trouve le film beaucoup plus fort si chacun peut se positionner par rapport à ça. La plupart des prêtres que j’ai pu rencontrer étaient des gens qui pensaient véritablement faire le bien en faisant des actes de torture. Je trouvais cela beaucoup plus fort de montrer des gens qui font des choses horribles en étant convaincus du bien que ça provoquerait.

Comment a évolué l’écriture du scénario, notamment sur la question de cette relative neutralité du film, qui ne conclut pas à la place du spectateur ou de la spectatrice ?

J.K. : Très vite, j’ai écrit dans ce sens. J’avais autant besoin qu’on s’attache au prêtre et à l’héroïne. Qui suis-je, moi qui viens de l’extérieur pour dire : « Oh là ! là ! Quelle bande de connards qui exorcisent des jeunes filles ?! ». Ce serait une position bien prétentieuse et je n’avais pas du tout cette volonté-là. Dans l’écriture, j’ai instauré ce doute avec mon héroïne, qui se pose la question de savoir si elle vit ça réellement ou si c’est un fantasme. C’était très important pour moi qu’elle ne soit pas si bête, qu’elle se pose aussi des questions de distance par rapport à tout ce qu’elle vit, que tous les personnages soient intelligents.
Par ailleurs, je pense que, qu’elle soit possédée ou non, ce n’est pas le sujet du film. Le sujet, c’est la croyance, l’auto-conviction et l’auto-endoctrinement.

L’autre chose qui permettait de garder cette distance, c’était le casting. Pour Majka, je n’ai pas du tout hésité, mais pour le prêtre, j’avais un premier comédien, qui me plaisait beaucoup, mais qui avait une forme de perversité qui n’était pas nécessaire et même était contre-productive. De toute façon, en voyant un prêtre qui pratique un exorcisme et qui se retrouve seul avec un enfant de cœur, tout le monde peut se poser plein de questions. Il fallait donc quelqu’un qui incarne une immense bonté et quelqu’un qui avait aussi une faille en lui. On a donc construit toute une backstory du personnage du père Marek, qui n’apparaît pas du tout dans le film, avec une histoire d’enfant qu’il n’a pas pu sauver, une fracture qui le rendait touchant et qui faisait qu’il devenait évident pour lui qu’il devait sauver Majka. C’était très important d’avoir des personnages doubles, qui ne sont ni bons, ni mauvais, mais qui font ce qu’ils doivent faire.

Ensuite, le tournage s’est déroulé très très vite. On a décidé en automne 2022 de faire une fiction. J’ai rencontré Maria Wróbel[qui joue Majka] en novembre et on a commencé le tournage le 3 ou le 4 janvier, pendant huit jours. Le 3 mars, on l’a envoyé à Cannes ; le 5 mars, on savait qu’on était à la Quinzaine [des Cinéastes]. Ca a été très vite financé par le CNC : on a eu la contribution financière du premier coup et on s’est dit : « Ok, ça suffit, on ne cherche pas plus d’argent » et on a tourné très très vite.

Pour la direction d’acteurs, je n’ai pu voir Maria physiquement que 3 fois en deux mois. Donc on a instauré, en plus des répétitions en présentiel, des vidéos qu’elle devait m’envoyer chaque semaine avec chaque fois un nouveau « devoir à faire ». Je trouve que ça désinhibe vachement. Qu’elle se filme seule dans sa chambre lui permettait d’aller hyper loin, ce qu’elle n’aurait peut-être pas osé faire devant moi. Maria et Wojciech Skibiński [qui joue le père Marek] avaient plein de choses à faire, mais on s’était vraiment énormément préparé, d’autant plus qu’on n’avait que huit jours de tournage, avec de la pellicule donc pas beaucoup de prises.

À ce propos, pourquoi le choix de la pellicule ?

J.K. : Je trouve que ce n’est vraiment pas du tout la même chose que le numérique. Il y a quelque chose d’organique, de vivant, de grouillant, qui était pour moi nécessaire à ce film-là, parce que cette histoire de possession, c’est ce qui grouille dans sa tête. Ça rendait le film beaucoup plus charnel et viscéral. J’ai aussi un attachement personnel à la pellicule et je pense que ce n’est pas du tout un surcoût. Je suis un peu psychorigide du découpage, j’ai des idées très précises en tête et, du coup, finalement, sur le plateau, on ne tourne pas beaucoup de plans.

Est-ce qu’on peut revenir sur le choix des personnes non actrices ? La foule des messes était des personnes qui était déjà là ?

J.K. : Alors, nous avons filmé deux messes : la première messe, c’est une vraie messe que nous avons filmée en documentaire. Pour la deuxième, on a proposé à tous les paroissiens de la première messe de venir. Ils sont venus massivement : c’était de vrais paroissiens locaux.

Les paysages autant que les personnages participent aussi de l’ambiguïté du film. Comment as-tu choisi les lieux ?

J.K. : Les lieux, pour moi, sont aussi importants que les acteurs. Je suis partie trois semaines en repérage. Je vais d’abord chercher les églises : j’en ai visité une centaine. Il fallait les trouver les deux bonnes, puisque c’est un binôme d’églises, avec la paroisse principale où il y a les messes et la chapelle où se déroulent les exorcismes. Ces chapelles sont vraiment des endroits qui sont un peu hors du temps, un peu paumés.

Ensuite, j’ai cherché les paysages naturels, avec cette dimension grouillante et vivante qui pour moi est aussi à l’image de ce qui l’habite [Majka]. Ce qui l’habite, c’est le vivant, c’est son désir homosexuel, c’est la vie, comme la nature. Après, il y a un plan où j’ai fait venir des lamas ! Peu de gens les voient. C’est un peu le grand jeu des projections : « Qui a vu les lamas dans le film ? » Je voulais des animaux bizarres, qui n’avaient rien à faire là. Il se trouve que des fermiers pas loin avaient des alpagas. Ils les ont amenés sur la montagne en charrette, c’était complètement fou ! Je trouve ça génial qu’on ne les voit pas vraiment. Je ne voulais pas que ce soit des évidences, je voulais qu’on se dise « Est-ce que j’ai bien vu ce que j’ai vu ? ».

Sur la question de la nature, il faudrait aussi parler du traitement des couleurs, qui participe aussi du côté mystérieux et magique du film…

J.K. : C’est encore une fois la pellicule qui permet des camaïeux de gris, de bleu… Il y a deux types de pellicules. Il y a de la T 500, qui est la pellicule basique de Super 16 ; on avait aussi deux bobines de pellicule inversible. On changeait le magasin de la caméra chaque fois que l’on voulait faire des plans destinés aux scènes oniriques. Parfois, on doublait la prise. On n’avait que des deux pellicules de trois minutes [d’inversible], donc on avait très très peu de rushes. On n’a pas pu tester et on ne savait pas quel serait l’effet. On pensait avec mon chef op [Simon Beaufils] que ce serait un traitement croisé des couleurs et que ce serait vraiment plus flashy. Au final, c’est presque la même chose. C’est un poil plus poussé, un poil plus saturé, mais ce n’était pas grave, tout ne résidait pas là-dessus. Au départ, on avait vraiment imaginé que le rendu de ces rushes-là serait vraiment très différent, mais je suis quand même très contente du rendu.

Quelle a été la réception du film ?

J.K. : C’est assez démentiel ! Le film cartonne partout ! Depuis la première projection à la Quinzaine des cinéastes à Cannes, il enchaîne les projections dans le monde entier. C’est assez fou : il a plein de prix. Moi, je ne l’accompagne pas trop parce que j’ai envie de me consacrer sur la suite, c’est-à-dire le long-métrage dont était issu ce film au départ. Ce n’est pas l’histoire de Majka, mais c’est quand même une jeune femme qui est convaincue d’être possédée : c’est une famille polonaise en France, dans la campagne française. Donc ce n’est pas exactement la même histoire, mais c’est la même esthétique, avec la même comédienne principale. On tourne en fin d’année 2024 : vous découvrirez donc ça bientôt !

Propos recueillis par Julia Wahl

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Basile Vuillemin : « J’ai besoin de l’altérité pour me questionner et me remettre en question »

Apparu à l’écran dès son plus jeune âge dans le film Roberto Succo de son parrain aux César, Cédric Kahn, Basile Vuillemin, maintenant diplômé de l’IAD en Belgique, est passé derrière la caméra et nous livre avec Les Silencieux un thriller au cordeau sur un équipage de marins qui, l’histoire d’une nuit, vont voir leur existence être bouleversée. Un film qui, malgré un tournage et une préparation en plein Covid, est à l’heure actuelle présélectionné aux César 2024. À travers cette conversation, Basile Vuillemin nous parle de la genèse de son œuvre ainsi que de son passage de devant à derrière la caméra.

Format Court : Tu viens à l’origine d’une famille de théâtre. Qu’est-ce qui t’a motivé à te tourner vers le cinéma ?

Basile Vuillemin : C’est amusant, je ne me suis jamais réellement posé cette question. J’ai l’impression que cela fait partie de moi depuis mon enfance sans que je ne le sache. Quand j’étais petit, c’était l’un des jeux que je pratiquais avec mes amis, de prendre mon petit caméscope mini-DV et réaliser des parodies, refaire des séquences de films. Sans m’en rendre compte, c’était déjà un pas vers la réalisation dès mon enfance. Mes parents m’ont toujours destiné à une carrière d’acteur depuis que je suis tout petit. A la fin du lycée, j’ai dû réaliser un court-métrage pour un projet personnel et il y a eu une évidence. Je me suis senti beaucoup plus à ma place derrière la caméra, en tant que réalisateur. Ça s’est imposé à moi et c’est ainsi que j’ai voulu ensuite intégré une école de cinéma.

Pour toi, c’était important de passer par une formation pour devenir réalisateur ?

BV : Je pense que, de manière générale, ce n’est pas nécessaire. On peut apprendre en autodidacte. Pour ma part, je sais que cela m’a aidé, car j’avais besoin, à l’époque, d’une structure. C’est un métier laborieux et rigoureux, et je pense que l’école m’a permis d’acquérir ces compétences. Cela m’a également donné l’occasion de rencontrer ma génération de cinéastes et de développer un réseau avec des personnes qui sont actuellement des professionnels du milieu. Je considère que l’école est un peu comme un accélérateur, une promesse de pouvoir réaliser des films de manière plus encadrée.

Si tu pouvais présenter Les Silencieux à quelqu’un qui ne l’a pas vu, que dirais-tu ?

BV : Pour faire court, c’est un huis clos dans lequel nous suivons un équipage de cinq marins le temps d’une nuit qui va littéralement changer leur existence.

Pour revenir sur ton passé en tant qu’acteur, tu as notamment travaillé avec Cédric Kahn dans le film Roberto Succo. Qu’est-ce que cela t’a apporté en tant que jeune acteur ?

BV : J’avais 9 ans à l’époque du tournage de Roberto Succo, et c’est la première fois que je mettais les pieds sur un plateau de cinéma. C’était une expérience totale qui m’a passionné, étonné, bouleversé. Cela est dû notamment à mon rôle, qui était secondaire, mais qui, sur le temps de ces scènes, était vraiment central. En fait, j’interprète un enfant qui est kidnappé avec sa mère par Roberto Succo. Le fait d’être au centre du cadre m’a permis de voir toute une équipe qui se mettait en place tout autour de moi. Cette expérience a dû planter une graine en moi, sur une certaine magie du cinéma. Cependant, je ne pense pas que cela m’ait conditionné dans ma façon de réaliser. J’étais très jeune, et j’en garde avant tout un très bon souvenir de tournage. Je pense que je prendrais maintenant beaucoup de plaisir à voir Cédric travailler sur un plateau et à apprendre de cela, mais avant tout en tant que réalisateur.

D’où est venue ton envie de parler dans Les Silencieux d’un métier aussi peu représenté que celui de pêcheur ?

BV : Premièrement, d’une découverte de ma part, je ne connaissais pas ce milieu et ce métier. C’est en apprenant et en regardant travailler les pêcheurs qu’est née une fascination en moi. C’est de là que je me suis dit qu’il y avait un potentiel cinématographique dans un huis clos en mer, d’autant plus dans un endroit aussi claustrophobique qu’un chalutier. Je me suis dit qu’une situation qui dégénère sur un bateau était une promesse cinématographique adaptée à la forme du court-métrage. Petit à petit, d’autres thématiques ont été ajoutées, comme la thématique autour de l’écologie. Mais l’initiative venait du métier des pêcheurs pour parler de décisions et de dilemmes moraux.

Comment as-tu conçu ta mise en scène dans un espace aussi confiné que ce chalutier ? Et comment s’est passé le tournage ?

BV : C’était l’un des gros enjeux de la conception de ce film, c’était ce décor qui était à la fois un cadeau en termes de beauté visuelle, mais aussi un endroit très hostile pour un tournage. Ce sont des bateaux faits pour protéger les hommes de la mer et pas pour stocker toute une équipe de tournage. On a travaillé avec Olivier Boonjing, mon chef opérateur, pour trouver un découpage qui puisse jouer sur des moments de tension tout en étant relativement pudique pour rester dans l’intimité de ces hommes. Un travail qui a été assez fastidieux parce que le bateau sur lequel on a pu faire les repérages et sur lequel on a basé tout notre découpage nous a lâchés deux jours avant le tournage. Du coup, on a dû tout réinventer la veille du tournage sur un bateau différent.

Le personnage de Jorick est interprété dans ton film par Arieh Worthalter, qui est plus connu pour le long métrage que pour le court. Qu’est-ce qui t’a intéressé chez cet acteur ?

BV : Je trouve qu’Arieh a quelque chose d’incroyable déjà à travers son regard, il y a une force qui s’en dégage. Juste à travers son regard, il a cette capacité à nous raconter beaucoup de choses. Il m’a aussi dit que dans sa vie, il faisait du bateau, et je pense qu’Arieh est vraiment un aventurier. Assez tôt dans le processus d’écriture, son incarnation s’est imposée, nous avions sa référence pour créer le personnage. Il a accepté le film un an et demi avant le tournage, et c’était génial d’avoir un comédien aussi investi. Il arrivait chaque matin avec des suggestions pour les séquences que nous allions tourner, et même si c’était un court métrage, il avait une implication totale dans ce projet. Il essayait toujours d’aller plus loin, et c’était vraiment exaltant d’avoir quelqu’un comme ça sur le plateau.

Est-ce que ton passé en tant qu’acteur a déterminé selon toi tes relations avec ces derniers ?

BV : Je pense que cela fait partie de l’appétit que je peux avoir de les diriger, de savoir combien il est difficile d’être laissé tout seul devant une caméra. Pour moi, c’est l’un des éléments les plus importants, de travailler avec ces comédiens, de chercher avec eux la justesse et d’aller dans l’exploration. Le fait aussi que mes parents soient comédiens a, je pense, aussi conditionné mon rapport avec mes acteurs.

Comment s’est passée la conception du scénario et quelle était l’envie derrière ?

BV : J’ai tout d’abord collaboré avec une scénariste bretonne qui s’appelle Blandine Jet, et on a écrit ce scénario à quatre mains. On discutait pendant des heures pour, au final, écrire en parallèle souvent les mêmes séquences que l’on finissait par échanger pour pouvoir alimenter l’écriture de l’autre. Dans le travail, j’avais besoin de l’altérité, de quelqu’un à qui parler et qui pouvait me permettre de raconter ce qu’il y avait en moi, tout en me questionnant et en me contredisant. Cette collaboration m’a vraiment permis, avec Blandine, de pousser la réflexion. Avec ce film, nous avons vraiment voulu dépasser ce côté social qui nous était donné par son sujet et en faire un vrai objet de cinéma qui agrippe le spectateur.

Tu as pu officier du côté du documentaire à la sortie de l’IAD, est-ce que ça t’a inspiré pour Les Silencieux ?

BV : Je pense que ce que je garde du documentaire pour Les Silencieux, c’est le processus de préparation, notamment pendant l’écriture du scénario et le tournage. Cependant, avec ce film-là, je ne voulais pas être dans un cinéma réalité, je voulais m’approcher plus d’un cinéma spectacle proche du thriller. En piochant dans des éléments du réel pour les accoler à de la fiction, pour parler de la réalité de mes personnages.

Quel a été l’impact de la pandémie sur le film ?

BV : Comme tous les films sortis dans ces années-là, le Covid a vraiment complexifié les choses. Le fait que je sois un réalisateur belge et que le film ait été tourné en France faisait que les déplacements étaient compliqués, ce qui a conditionné la période de casting qui s’est déroulée en grande partie par Zoom. Il y avait aussi la complexité des gestes barrières et des masques dans un endroit déjà assez petit. Cependant, on a eu de la chance pendant la diffusion du film, d’arriver à un moment où les festivals proposaient de plus en plus d’offres en public. Je me sens très chanceux de ne pas avoir eu à projeter mes films via un écran d’ordinateur.

Est-ce que le fait d’avoir un budget plus large a été libérateur pour toi ?

BV : Je ne sais pas si c’était libérateur, mais c’était une étape importante, du moins pour aller ensuite vers le long-métrage. J’ai pu faire plusieurs courts métrages auto-produits, sans budget, et je pense qu’à ce moment-là de ma carrière, j’avais besoin de me confronter à un budget conséquent avec ses responsabilités et ses possibilités. Ce budget nous a offert du temps et nous a permis de prendre notre temps pendant la production et la post-production, de ne pas nous contenter de la première idée.

Propos recueillis par Dylan Librati

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F comme De la folie des hamsters

Fiche technique

Synopsis : Quittant son père et sa ville d’enfance, Inès, idéaliste et maladroite, fait tout pour convaincre sa sœur de la garder dans son petit appartement parisien. Esseulée et en perte de repères, elle se lie d’amitié avec un hamster qui ne cesse de tourner en rond.

Genre : Fiction

Durée : 40’

Pays : France

Année : 2022

Réalisation : Juliette Marrécau

Scénario : Juliette Marrécau, Mathilde Cadrot

Image : Charles Lesur

Musique : Pierre Fourchard

Son : Matthis Goldfain

Interprétation: Anaëlle Fournier, Juliette Savary

Production : GREC – Groupe de Recherches et d’Essais Cinématographiques

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De la folie des hamsters de Juliette Marrécau

Parmi les courts-métrages de fiction en lice pour les César 2024, figure De la folie des hamsters de Juliette Marrécau, produit avec l’aide du GREC (Groupe de Recherches et d’Essais Cinématographiques). Le film accompagne Inès (Anaëlle Fournier), une jeune femme, issue de la campagne qui emménage à Paris. Tout est prêt pour son arrivée : elle a trouvé un emploi dans un restaurant et sa sœur Alice (Juliette Savary), déjà bien installée dans la capitale depuis des années, dispose d’une chambre réservée où elle peut rester pendant qu’elle trouve son propre appartement. Pourtant, Inès finit par ne pas être engagée et la relation avec sa sœur ne s’épanouit pas comme elle l’avait imaginé. Seule, sans emploi et incapable d’avouer la vérité à sa famille, la jeune femme se rapproche de son seul ami : un hamster qu’elle trouve abandonné dans la rue.

Anaëlle Fournier, aux joues roses et à la queue de cheval en désordre, apporte un charme enfantin à son personnage, qui n’a jamais été forcé de grandir car elle était confortablement sous l’aile de son père jusque là. Cette jeune femme aux T-shirts de chérubins et aux tons pastels contraste avec cette ville grise, à laquelle elle ne sait pas comment s’adapter. Ce n’est pas une héroïne, mais une grande enfant qui n’est pas habituée à avoir de l’autonomie, et qui développe une codépendance invasive envers sa sœur face à sa nouvelle vie à Paris. C’est justement cette incapacité à cacher ses difficultés qui fait d’Inès un personnage si charismatique.

Paris n’apparaît pas comme le lieu des opportunités dont elle a rêvé, mais une ville hostile qui la pousse dehors. Cette adversité est présente à l’écran à travers les espaces : l’entrée de l’immeuble d’Alice, sale et pleine de déchets; la chambre d’Inès n’est pas organisée pour y vivre, occupée par des boîtes qu’elle n’a pas osé ouvrir car son séjour chez sa soeur est censée être temporaire; et les toilettes, espace confiné, fait pour l’usage individuel mais qu’Ines insiste à utiliser en même temps que son aînée, créant une claustrophobie qui affecte Alice et le spectateur.

« Les hamsters sont très solitaires, il ne faut pas les mettre avec d’autres », explique le youtuber spécialiste qu’Inès suit pour apprendre comment s’occuper de son petit animal de compagnie. Le rongeur devient le miroir de cette jeune femme, qui se confine dans sa chambre, tout comme lui dans sa cage. Intimidée par la capitale écrasante où elle se trouve, Inès se heurte face aux premiers petits échecs de son déménagement. Elle délire, parle toute seule ou avec son hamster, et se plonge dans une solitude douloureuse. Ce sentiment se traduit non seulement par son comportement, mais aussi par les images de son appartement, vide, sombre et mélancolique.

Les deux sœurs forment aussi une antithèse : Alice est réaliste, endurcie par la vie et par la ville, spécialiste dans la dératisation. Sa cadette est rêveuse, effrayée, sensible et la meilleure amie d’un hamster. Comme toutes les sœurs, elles se disputent, mais finissent par rire de la situation, elles essaient d’apprendre à apprécier et à accepter leirs différentes façons de traverser la vie. Ce lien précieux crée une expérience chaleureuse pour le spectateur.

Le film est accompagné de la même chanson qui prend des formes différentes, tout au long de sa durée. Les paroles, écrites par la réalisatrice Juliette Marrécau, traduisent l’égarement d’Inès dans son déménagement à Paris.

Il y a d’infinies façons de filmer le coming of age, et dans De la folie des hamsters, on est guidé par des petites ellipses qui font évoluer l’histoire de ces personnages imparfaits et, surtout, charismatiques. Le charme de ce court métrage est fait des contrastes entre les espaces, les actions et les protagonistes, dont les défauts deviennent les forces du film.

Bianca Dantas

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Des récits ancrés dans nos réalités. Retour sur les courts-métrages documentaires aux César 2024

Le 24 janvier, seront publiées les nominations des César 2024. Dans la catégorie court-métrage documentaire, 12 films ont été présélectionnés. Du film d’animation sur le temps qui passe pour L’effet de mes rides de Claude Delafosse à l’essai cinématographique féministe post-numérique avec La mécanique des fluides de Gala Hernández López, ce choix se constitue de divers compositions cinématographiques, chacune portée par un récit et une vision sur notre monde actuel. Guillaume Brac parle de la jeunesse dans une forme de cinéma direct avec Un pincement au coeur. Saintonge Giratoire de Quentin Papapietro nous narre des excursions d’une part historiques et bucoliques aux abords des ronds-points de la Saintonge. Thun-le-paradis ou la balade d’Eloise de Eléonor Gilbert s’intéresse de manière métaphoriques aux changements technologiques de notre quotidien. Dans Langue des oiseaux, Erik Bullot explore avec virtuosité le chant des oiseaux comme langage d’une biodiversité en voie de disparition.

Deux films proposent une immersion globale du spectateur, Sauvage, de Léonore Mercier auprès des chevaux de Galice et d’une pratique des plus surprenante, et Le passage du col de Marie Bottois qui filme son propre rendez-vous gynécologique, la pose d’un stérilet. Avec Pacific Club, Valentin Noujaïm met en scène l’émanation souterraine dune ancienne boîte de nuit et avec Tutto apposto gioia mia, Chloé Lecci López raconte un récit intime et filme avec tendresse la Sicile de ses proches. Pour finir, La lutte est une fin d’Arthur Thomas-Pavlowsky propose de suivre un collectif de boxe prolétaire et inclusif à Marseille, quant à L’Acteur, ou la surprenante vertu de l’incompréhension, Hugo David et Raphaël Quenard créent le making-of du film Chien de la casse, un film aussi incongru que son personnage principal. Dans cet article, nous reviendrons en détails sur cinq de ces films.

La lutte est une fin de Arthur Thomas-Pavlowsky

Grand prix de la compétition nationale du Festival de Clermont-Ferrand 2023, ce film est un portait vif du collectif Boxe Massilia à Marseille. Au sein de la Bourse du travail, lieu symbolique de leur engagement pour une boxe prolétaire et inclusive, deux jeunes membres s’expriment. L’un parle de son émancipation par la boxe dans sa vie quotidienne, que cela soit physiquement ou mentalement vis-à-vis des agressions qu’il a pu subir. L’autre explique les débuts du collectif, l’importance de ce lieu, et le symbole de pouvoir boxer pour des personnes qui ne peuvent jamais « rendre les coups » dans la vie, qui se voient subir une violence systémique sans pouvoir y répondre. Ici la boxe est un exutoire. Au son rythmé du beatboxing, les combats et entrainements s’entremêlent, les corps s’animent et les coups fusent. Leur énergie fulgurante est palpable. Le film émane d’un désir de justice et de liberté. Le film est vivant, aussi vivant que ce collectif hors norme que met en lumière avec dynamisme Arthur Thomas-Pavlowsky.

La mécanique des fluides de Gala Hernández López

Après un long parcours en festival (Clermont-Ferrand, Cinéma du Réel, …) et de nombreux prix, le film de Gala Hernández López est aujourd’hui présélectionné aux César. Rien de surprenant pour cet objet atypique, étrange et magnétique qu’est La mécanique des fluides.

Suite à une lettre de suicide d’un incel trouvé sur un forum Reddit, la réalisatrice se met en quête de comprendre cet individu ainsi que ses compères, et tente de lui répondre. Comme une lettre ouverte à un inconnu qui ne verra peu- être jamais ce film, Gala Hernández López s’interroge sur le rapport des hommes aux femmes et au numérique. Leur haine, leurs troubles sont-ils les mots symptomatiques d’une société soumise aux algorithmes ? Plastiquement innovant, ce desktop movie s’appuie sur un montage de sources Internet mêlées à des séquences d’animation. Le spectateur est happé par les profondeur de l’écran, par ce flux constant d’informations et d’images qui lui parviennent. Son film nous parle de manière poétique d’une fin imminente, d’un désastre humain qu’on ne peut retarder, des sentiments de ces hommes pour qui tout s’effondre, du silence et de la solitude qu’ils ressentent, que la réalisatrice ressent elle aussi. La mécanique des fluides captive par sa singularité, hypnotique et mélancolique.

Sauvage de Léonore Mercier

Ce sont des chevaux sauvage en Galice. Une semaine par an, les Hommes les emmènent pour les mettre dans une arène. Léonore Mercier les filment depuis leurs instants de liberté, là où ils s’épanouissent le restant de l’année. Puis, vient le temps de les rassembler et de les amasser dans cette arène. Ils sont réunis dans le cadre d’une tradition archaïque qui consiste au rasage des bêtes. Violemment, des hommes montent sur les chevaux, les mettent à terre, et leur coupent la crinière et la queue. Dans ce qu’ils et elles présentent comme un spectacle, la réalisatrice filme le point de vue de l’animal : un désarroi et une peur accablante.

Ce film est une réelle immersion, premièrement sonore, travail de prédilection de la réalisatrice, puis visuelle, au coeur de cette pratique des plus dérangeantes. Le film consiste en une interrogation sur la place du vivant au sein de notre société, comment l’homme conçoit-il de cohabiter avec le vivant? Comment peut-il évoluer vers plus de considération et de respect pour les animaux ? Ainsi, le film met en exergue cette dualité entre la violence manifeste des Hommes spectateurs et moteurs de divertissements face aux bêtes, les chevaux, animaux de proie qui fuient par conséquent l’Homme et se retrouvent submergés dans ce lieu exigu. Cette humiliation est vécue depuis l’oeil de l’animal; nous respirons avec ces chevaux, depuis leur halètement à leur moindre mouvement, une plongée sensorielle intense, une force pour retranscrire la brutalité du réel. Un récit des plus marquants récompensé par le prix du court-métrage au FIPADOC 2023.

Le Passage du col de Marie Bottois

Marie Bottois filme une procédure des plus intimes, la pose de son stérilet. Émouvant et important, son court-métrage a été sélectionné dans de nombreux festivals (FIFF, FID Marseille hors compétition, …). Telle une expérimentation, le film se construit sous nos yeux. Nous l’entendons dire « action » ou demander à rejouer une séquence, les coupes sont aussi visibles pendant que le son continue de tourner. Ainsi le film se monte face à nous, avec nous. Marie Bottois approche l’expérience de la manière la plus réaliste possible. D’abord, une discussion instructive avec la sage-femme nous explique comment le rendez-vous va se passer et permet de répondre aux interrogations de la patiente. Puis, vient la pose. Les cadres sont simples mais précis : son visage, son corps, la sage-femme, puis son vagin. Face à la caméra, nous observons le col de l’utérus, le stérilet, les détails d’une anatomie souvent méconnue, incomprise voire stigmatisée. Nous sommes témoins des craintes de la réalisatrice, du moment d’inconfort et de douleur. Nous voyons tout en même temps qu’elle, à travers la lentille d’une caméra 16mm et d’une super 8. L’image la plus crue est pourtant la plus vraie, voici à quoi cela ressemble, chasser les peurs par la marque du réel, voilà en quoi ce film est percutant.

Un pincement au coeur de Guillaume Brac

Deux amies évoluent devant la caméra de Guillaume Brac. Sélectionné lui aussi dans de nombreux festivals (Visions du Réel, Côté Court, …), ce court métrage suit deux lycéennes pour qui Tik Tok et école rythment les journées. Linda et Irina sont meilleures amies. Seulement Linda, doit à nouveau déménager, l’heure est à la séparation et le coeur se serre. Calmement, le film nous dévoile le quotidien de ces deux jeunes filles. C’est la fin de l’année, les vacances d’été approchent et l’humeur est estivale. Sur les bancs de l’école, les sentiments sont hagards. Guillaume Brac s’immisce dans leur adolescence, avec une caméra à la fois proche et distante, au coeur de leur discussion et les laissant respirer dans leurs mouvements. Chacune parle de sa famille, de l’avenir et on perçoit les inquiétudes naissantes chez les deux jeunes filles. Des sentiments profonds, dissimulés par le voile de l’insouciance. Un équilibre qui se voit troublé par le départ de Linda. La friction se créée, la proximité des deux amies est bousculée. La mélancolie prend peu à peu place au sein de leur humeur journalière. Avec tendresse, le réalisateur nous conte ce récit, celui d’une amitié et d’un début d’été. Celui d’une adolescence, fragile et douce, pleine de pluralité. Le film berce les souvenirs épars d’un quotidien lointain et des amitiés perdues.

Garance Alegria

Vincent Fontano : « Je ne fais que poser une question, une douleur, une urgence »

Originaire de La Réunion, Vincent Fontano revient au court métrage avec son deuxième film Sèt Lam, lauréat du prix de l’image au Festival Format Court de 2023. Il est à nouveau présélectionné aux César, après son dernier film Blaké (2021). Dans cette conversation, Vincent Fontano évoque son parcours, ses débuts au théâtre, ses inspirations, et l’envie originelle qui a donné naissance à Sèt Lam. Il aborde également l’évolution démographique de l’île de La Réunion et son impact sur la création de son film.

Format Court : Tu es issu du théâtre, qu’est-ce qui t’a donné envie de passer au cinéma ?

Vincent Fontano : J’ai toujours aimé le cinéma, et je me l’étais toujours interdit parce que je pensais que ce n’était pas pour les gens comme moi. C’était très étrange. Je pensais qu’il fallait faire des écoles, qu’il fallait de l’argent, des codes que je n’avais pas. Et puis c’est en faisant du théâtre que j’ai rencontré de plus en plus d’artistes et c’est comme ça que je me suis autorisé à rêver de ce média. Je crois que ce qui est intéressant, c’est de se mettre dans un endroit dont on ne sait rien et dont on a beaucoup de chose à apprendre, il y avait cette curiosité-là aussi.

Si tu pouvais pitcher Sèt Lam a quelqu’un qui ne l’a pas vu, que dirais-tu ?

VF : Sèt Lam, c’est un film qui parle de comment on prépare ce qui reste après nous, à travers l’histoire d’une grande-mère qui raconte à sa petite-fille une histoire étrange d’un pêcheur qui refuse de mourir. Cette fille est très attentive parce qu’elle sent qu’on ne lui raconte pas cette histoire pour rien.

Tu as créé une compagnie de théâtre du nom de “Ker béton”, d’où t’est venue cette envie ?

VF: Moi, j’ai commencé le théâtre sur un choc esthétique. Je faisais des études de lettres, c’était à un moment très étrange de ma vie ou j’ai découvert le travail de Shakespeare. C’est à ce moment-là que je me suis dit que c’était ça que je voulais faire. J’ai écrit du coup une première pièce que j’ai essayé de monter, le problème, c’est que personne ne voulait la lire, parce que je pense je n’avais pas le physique d’un dramaturge donc peu de gens me prenaient au sérieux. Aussi, à l’époque, ce n’était vraiment pas commun d’écrire une pièce en créole, et moi, je voulais écrire des histoires sur mon île parce que je me disais que personne, sinon, n’allait le faire. Je me suis lancé dans cette compagnie comme ça de façon un peu politique et par nécessité.

On sent dans ton cinéma et dans Sèt Lam une énergie revendicatrice, pour autant considères-tu ton cinéma comme militant

VF : Non, pour le coup, vraiment pas. Je vais te raconter un truc. Il y a quelques années, quand j’étais encore un jeune auteur revendicatif et politisé, j’ai rencontré un grand monsieur du théâtre libanais qui s’appelle Roger Assaf. On a discuté et il m’a dit : “Nous, en tant qu’auteurs, notre premier travail c’est d’être humble, nous ne sommes rien, nous ne sommes pas grand-chose”. Sur le coup, j’étais un peu fâché, et il m’a expliqué qu’en tant qu’auteur, on donne trop nos avis sur tout comme si on avait compris et qu’on devrait plutôt poser des questions que d’essayer d’y répondre. J’envisage mon travail comme celui d’un observateur qui pose des questions. Alors évidemment, il y a un côté politique parce que je suis dans la cité, mais je ne m’autorise pas à dire aux gens comment penser. Je ne vois pas ma légitimité à le faire. Je ne fais que poser une question, une douleur, une urgence. Je la partage et j’espère que quelqu’un trouve un écho là-dedans.

De tes débuts dans le théâtre, qu’est-ce que tu as retenu et transvasé dans le cinéma ?

VF : Je pense, une forme de méthodologie du rapport à ce que tu racontes. Au théâtre, on est sur du temps long, la parole a vraiment le temps de se déployer, dans ses intérêts et ses inconvénients. La parole doit être portée par les comédiens, par la lumière et la mise en scène. Les outils et les croisements que j’ai apportés du théâtre m’aident à porter cette voix au cinéma et de me dire que si ce n’est pas urgent, il vaut mieux que je me taise. C’est cette exigence que j’ai ramenée du théâtre où chaque erreur se paie cher quand tu es face à un public pas très réceptif.

Est-ce que tu as pu retrouver via les festivals que tu as pu faire avec Sèt Lam, le même rapport au public ?

VF: Non, si je suis honnête, c’est un peu différent. Avec Sèt Lam , quand je vais dans un festival, j’arrive avec un objet fini à l’inverse du théâtre où j’arrive avec un objet en mouvement. En même temps, je trouve que dans une salle de cinéma, il y a quelque chose de plus franc. Soit j’y suis soit je n’y suis pas. A l’inverse du théâtre ou le spectateur comme la pièce est en mouvement.

D’où est venu ton envie de faire Sèt Lam ?

VF : D’un chagrin, je venais de perdre ma grand-mère. C’était elle qui m’avait élevé et j’étais à un moment de ma vie où je me suis demandé ce que j’allais faire face à ce vide. Il se trouve que ma grand-mère me préparait à son départ et j’ai trouvé ça beau. Même si cela n’empêche pas la peine et le chagrin. Et je ne sais pas, peut-être pour exorciser ou mettre des mots dessus, j’ai commencé à écrire Sèt Lam . Et cela survient aussi à un moment terrible où je me rends compte que des quartiers, comme celui ddans lequel se passe le film, le quartier des pêcheurs, allaient être rasés. C’était la fin d’une époque. En fait, j’avais l’impression que tout ce qui m’avait construit n’allait plus exister et qu’il allait me rester que de la nostalgie. Sèt Lam est né de ce chagrin-là .

Pour toi, était-ce important de montrer une mythologie, un univers différent de ce qu’on peut voir dans le cinéma français et francophone ?

VF: Oui, forcément, puisque tout mon travail a été de mettre des images sur mon imaginaire. Cela semble évident comme ça, mais ça ne l’est pas, car on est forgé avec d’autres images. Notamment quand on parle de la mort, chacun a un imaginaire très fort, très posé.

Très européen aussi.

VF: Oui, tout à fait. Et moi, j’arrive et je me dis qu’il faut que je construise quelque chose d’autre en accord avec moi et mon vécu. Je voulais aussi parler d’une France à plusieurs milliers de kilomètres de l’Hexagone, avec un imaginaire différent. Et aussi, pendant longtemps, j’avais peur que les gens n’aient pas les clés pour comprendre le film tellement il évoquait des images et une culture différentes. Et j’avais peur aussi que les gens ne fassent pas de pas en avant vers le film parce qu’il vient des Outre-mer à l’instar des films de Weerasethakul. C’est un peu ce que je demande au public français et européen, d’accepter de ne pas avoir les clés et de se plonger dans le film.

Comment le film a-t-il été accueilli à La Réunion ?

VF: Plutôt bien, c’est très étrange parce que j’ai l’impression qu’il sert un peu de valeur patrimoniale. Il y a dans le film des actrices comme Françoise Guimbert, qui interprète la grand-mère et qui est morte récemment. C’était une grande figure de l’île et le film est sa dernière œuvre. Je ne sais pas, j’ai toujours un peu de chagrin avec ce film. Par exemple, le lieu où se déroule tout le début de Sèt Lam est un gallodrome où l’on organisait des combats de coqs. Cet endroit existe depuis au moins le début de l’île et il a été rasé. Donc voilà, le film a été reçu avec joie, mais il cache une peine.

Tu utilises beaucoup dans ton film le motif de la danse. J’y vois une empreinte de la culture afro-américaine, est-ce le cas ?

VF: En réalité, tout cela s’est entremêlé, ça provient de plusieurs sources, notamment de Madagascar avec ses cérémonies malgaches. J’ai pris conscience de cela lorsque j’étais à La Nouvelle-Orléans, où j’ai observé des cortèges funèbres et où j’ai vu à quel point ça dansait. Tout ça s’est croisé, mais je crois que c’est ça qui fait mon île. De ce moment où tout le monde est venu sur l’île avec sa culture.

Pour revenir au cinéma afro-américain, était-ce une inspiration ?

VF : Étrangement, je crois que c’est plutôt le cinéma indien qui m’a inspiré car c’est celui qu’aimait ma grand-mère. Mais oui, le premier plan qui ouvre le film sur ce jeune homme qui court, tu le retrouves dans plusieurs films afro-américains. Et aussi, il y a une inspiration dans le jeu des comédiens dans mon film qui est ancré vers l’étrange. Cette non-fluidité, l’envie d’enlever l’ordinaire du jeu, je la tire du cinéma africain.

Tu as pu travailler en tant qu’acteur et notamment dans ton film Blaké, qu’est que tu en gardes maintenant que tu es passé derrière la caméra ?

VF: Ça m’a permis de savoir ce que ça coûte de jouer, parce que quand on est derrière le combo, on peut ne pas se rendre compte à quel point on peut vite épuiser les comédiens. Jouer m’a vraiment permis de me rendre compte que devant ou derrière la caméra, ce n’est pas la même énergie.

Ton film a été primé au festival Format Court 2023 pour le prix de l’image. Comment as-tu été amené à collaborer avec ton chef opérateur, Vadim Alsayed ?

VF: À l’origine, je devais travailler avec un autre chef opérateur qui a eu un accident de moto. A quelques semaines du tournage, on s’est donc retrouvé sans chef opérateur, et c’est la production qui nous a recommandé Vadim. En fait, moi, j’avais des impératifs pour le tournage en voulant quelqu’un qui travaille vite, parce que je savais qu’avec ce que je voulais faire, je n’avais pas beaucoup de temps. Après, le noir et blanc nous a aidés à pouvoir mettre en place des plans rapidement.

Et le noir et blanc était présent avant l’arrivée de Vadim ?

VF: Ah oui, c’était présent dès le début, et ce qui était fou, c’est que je devais convaincre l’équipe qui n’était pas du tout séduite par le noir et blanc et le format 4:3. Il a fallu que j’organise une réunion pour expliquer pourquoi j’avais choisi cette direction dans une île avec autant de couleurs. Je n’avais pas envie, avec la couleur, d’y mettre une temporalité, et je voulais parler avant tout de l’histoire de ces personnes qui vivent dans cette cité de pêcheurs qui allait être détruite. Formellement, je voulais, via le format 4:3, me concentrer sur les visages et, via le noir et blanc, faire en sorte que le film traverse le temps.

Quel est l’état actuel du cinéma réunionnais, notamment en ce qui concerne les courts métrages ?

VF: C’est très vif chez nous, on a une nouvelle génération qui arrive avec de nouvelles histoires et de nouvelles libertés. Il y a vraiment de tout, de l’efficace en passant par de l’expérimental, je trouve. C’est assez riche en ce moment.

Tu trouves qu’il y a plus d’opportunités qu’au moment où tu as pu commencer ?

VF: Ah oui, maintenant il y a plus de moyens de se former, le réseau est plus solide.

Dans Sèt Lam, tout comme dans ton film précédent Blaké, la thématique du conte est fréquemment abordée. Quelle est, pour toi, l’importance des histoires ?

VF: C’est mon héritage. N’ayant pas de lien très fort avec la famille, j’avais une grand-mère qui m’a inventé toute une cosmogonie. Elle me racontait des histoires de familles de manière tout bonnement invérifiable, en affirmant que mon grand-père avait eu 7 métiers. Mais cela m’a construit, m’a permis de me donner une colonne vertébrale et de comprendre d’où je venais. Donc, pour moi, les contes et les histoires sont extrêmement importants.

Comment s’est déroulée la recherche de financement et la production du film ?

VF: On a mis du temps, ça nous a pris trois ans. J’ai eu la chance d’avoir un producteur (Martin Mauvoisin, Dobro films) qui croyait au projet et qui s’est dit qu’on allait faire les choses bien. Du coup, cela a impliqué de retravailler plusieurs fois le scénario, donc oui, ça a pris du temps. De plus, avec Blaké, j’ai remporté le prix France TV, ce qui a entraîné le préa-chat de mon prochain film, et cela nous a beaucoup aidés.

Et est-ce que le fait que le film soit entièrement en créole n’a pas été un obstacle ?

VF: Non, la question s’est posée pour Blaké et depuis, ce n’est plus une question.

Est-ce que le fait que le film soit présélectionné aux César te permet de refléter ta culture réunionnaise et créole aux yeux du cinéma français ?

VF: Je crois que ce serait présomptueux de dire ça, je fais juste un film et tant mieux si on y trouve de l’écho. C’est ce qui m’a étonné, c’est quand j’ai pitché ce film à mon producteur. Je lui ai dit que s’il s’embarquait dans cette aventure avec moi, il ne devait pas s’attendre à un film qui ferait un carton. Et maintenant, après être allé à Dakar et au Québec, je suis étonné de voir comment les gens trouvent leur place dans ce film et de constater l’écho qu’il suscite chez eux.

Propos recueillis par Dylan Librati

Article associé : la critique du film

S comme Snow in September

Fiche technique

Synopsis : Davka est un adolescent qui vit dans les immeubles soviétiques délabrés de Oulan-Bator. Avec sa camarade de classe, Anuka, ils parlent de mangas et de sexe. Quand Davka rencontre une femme plus âgée, sa vision des rapports intimes et des relations amoureuses est forcée de changer.

Genre : Fiction

Durée : 19’

Pays : Mongolie, France

Année : 2022

Réalisation : Lkhagvadulam Purev-Ochir

Scénario : Lkhagvadulam Purev-Ochir

Image : Amine Berrada

Musique : Maxence Dussère

Son : Benjamin Silvestre

Interprétation: Sukhbat Munkhbaatar, Nomin-Erdene Ariunbyamba, Enkhgerel Baasanjav, Odgerel Bat-Orshikh

Production : Aurora Films, Guru Media

Articles associés : la critique du film, l’interview de la réalisatrice

Snow in September de Lkhagvadulam Purev-Ochir

Prix du meilleur court-métrage Orizzonti à la Mostra de Venise 2022 et présent dans la sélection officielle des 24 courts-métrages en lice pour les César 2024, Snow in September est un court-métrage de 19 minutes, une coproduction France-Mongolie réalisée par la cinéaste mongole Lkhagvadulam Purev-Ochir. En 2020, la scénariste-réalisatrice s’était déjà faite remarquer avec Shiluus (Mountain Cat), en compétition courts-métrages au Festival de Cannes, qui explorait les thèmes de la quête d’identité et de la spiritualité à travers le personnage d’une jeune fille forcée de voir un chaman pour guérir des esprits qui la hantaient.

En compétition au Festival Format Court en 2023, Snow in September est centré autour du personnage de Davka (interprété par Sukhbat Munkhbaatar), un adolescent d’apparence banale vivant dans les immeubles délabrés d’Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie. Il est proche d’Anuka (Nomin-Erdene Ariunbyamba), sa camarade de classe, avec qui il partage une passion des mangas. Dans la première séquence, surgit alors cette femme plus âgée (Enkhgerel Baasanjav), mystérieuse, qui prétend s’être enfermée dehors et se fait accueillir par Davka à contrecoeur, le temps que son mari rentre à la maison. Insistante et intrusive, elle va jusqu’à s’asseoir sur le lit de l’adolescent, et lui pose des questions intimes sur ses relations amoureuses et sexuelles.

Et puis c’est le trou noir, l’incompréhension. Quelque chose s’est passé, et nous le devinons subtilement. Un événement grave, tout du moins perturbant pour le jeune homme qui a naïvement confié son inexpérience et sa curiosité à celle qui prétendait être l’amie de sa mère. L’environnement des protagonistes occupe une place suggestive, filmé par la caméra mobile de la réalisatrice, où la décrépitude et la moisissure du bâti soviétique semblent à la fois contaminées par le poids grandissant d’un secret indicible, et contaminant le rapport à l’espace de l’adolescent. Il frappe alors à des portes se ressemblant toutes, essayant déséespérement d’obtenir des informations sur cette femme plus âgée auprès des voisins.

Au cours du film, le fil rouge se déroule dans un certain malaise : personne ne connaît cette femme, et la confusion grandit chez l’adolescent, dont le jeu de l’acteur laisse transparaître un certain effroi dans un silence absolu. Car ce silence, c’est surtout celui de la honte et du tabou, d’abord d’avoir cru si facilement une figure rassurante et séduisante, ensuite d’avoir vécu une expérience traumatisante auprès d’elle, posant la question suivante : que faire quand tout vacille ? La réalisatrice atomise avec intelligence ce quotidien si banal, et fait exister ce secret dans des endroits extrêmement intimes (dans son lit avec sa mère) ou mornes de désolation, comme dans la scène de l’aire de jeux où Anuka ne reconnaît plus le garçon avec qui elle parlait de ces mangas hyper-violents. Les passions qui les liaient ont perdu de leur saveur. Le rapport à Anuka devient instable, bloqué. Leur histoire d’amour se heurte rapidement à la réalité et au vécu de Davka, qui lui coupe une mèche de cheveux à son insu en plein cours, mais qui n’arrivera pas à se confier réellement à elle.

Avec peu de dialogues et une manière particulière de filmer le visage de Davka dans toute sa détresse tacite, la réalisatrice parvient à dire beaucoup des relations entre les personnages notamment par la lumière bleue des matins froids d’hivers ou la lumière chaude et artificielle des lampes de chevet sculptant les émotions les plus subtiles du jeune acteur. Récit d’initiation douloureux, qui changera pour toujours celui qui l’a subi, Snow in september est un conte magistral et nuancé sur l’entrée dans le monde adulte, la masculinité et la perte de l’innocence, qui nous laisse penser que le prochain long-métrage de Lkhagvadulam Purev-Ochir, Un jeune chaman qui sortira en avril 2024, dont l’acteur principal Tergel Bold-Erdene a reçu le Prix d’interprétation masculine à la Mostra de Venise 2023, brillera tout autant de justesse et de subtilité.

Mona Affholder

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Article associé : l’interview de la réalisatrice

Camille Tricaud : « Travailler en co-réalisation, c’est à la fois une contrainte et aussi une force »

Lors du Festival Entrevues Belfort 2023, Camille Tricaud a présenté son film Ralentir la Chute, co-réalisé avec Franziska Unger. Le court métrage raconte l’histoire de deux athlètes de saut à ski (Coline Mattel et Verena Altenberger) qui se rencontrent après leur rupture amoureuse pour tourner une pub pour des sponsors. La présence de Coline Mattel, la première médaillée olympique française de saut à ski de l’histoire, comme actrice principale apporte une dimension particulière à l’histoire.

Format Court : Tu es française mais tu as habité en Allemagne pendant des années. Comment as-tu commencé à y travailler ?

Camille Tricaud : J’ai commencé à faire des films un peu bricolés, toute seule et avec des amis… Réaliser n’était pas du tout mon objectif dès le départ. Je suis partie en Allemagne quand j’avais 20 ans, j’ai fait une fac de philosophie et j’ai présenté le concours de l’école de cinéma de Munich à un moment où je me suis rendue compte que le cinéma, c’était quand même quelque chose qui m’intéressait. Je me suis retrouvée dans le milieu du cinéma en Allemagne, alors que ce n’était pas forcément un parcours que j’avais prévu au départ. Je suis restée là-bas pendant tout le temps de mes études. Ce qui est marrant, c’est que le cinéma allemand ne m’a pas forcément marquée, mais il y a des rencontres que j’ai faites à ce moment-là qui ont été très importantes, notamment, les personnes avec qui je continue à travailler aujourd’hui, comme Franziska, ma co-réalisatrice, mais aussi Félix [Herrmann] et Max [Maximilian Bungarten], les deux producteurs du film. On a monté ensemble une société de production [Benedetta Films]. Notre fonctionnement est plus comme un collectif qu’une boîte de production normale. On est tous à la fois réalisateurs et producteurs et, selon les projets, on change un peu de casquette.

J’ai commencé par faire du cinéma documentaire. J’ai réalisé un premier film Les Sauvages qui a été montré au festival Côté Court, où mes personnages faisaient un peu de la performance. C’est une manière de travailler que j’ai découverte dans le documentaire, mais qui m’a de plus en plus donné envie d’aller vers la fiction, de partir de rencontres avec des gens et des lieux réels. Dans Ralentir la Chute, il y a eu aussi un point de départ qui a été la rencontre avec Coline Mattel, l’actrice, qui est surtout une athlète du saut à ski qui avait arrêté depuis 2 ans. Le film est parti de son expérience, de tout ce qu’elle nous a raconté. L’idée n’était pas de retranscrire exactement ses expériences, il y avait une transposition très libre.

Ce que tu as pris d’elle, c’est plutôt cette ambiance du sport ou son histoire personnelle ?

CT : Ce que j’ai pris d’elle, c’est le contexte, mais aussi ce qui l’a touchée. Il y avait des choses qui me touchaient dans ce sport, mais d’un point de vue extérieur. C’est un sport très médiatisé en Allemagne et en Autriche. Il y a quelque chose de très commercial, avec énormément de marketing. Finalement, tu as peu accès au sport en tant que tel. Une compétition de saut à ski, c’est un peu l’horreur, il y a de la musique en permanence, de la pub partout. Pourtant, le sport en soi est très simple, ce que fait l’athlète, c’est s’entraîner pendant toute l’année pour avoir une position correcte au millimètre près, pour que le corps intègre une mémoire de mouvement parfaite qui lui permettra de faire ce vol correctement. C’est ça qui m’intéressait.

Le titre Ralentir la Chute vient aussi de nos discussions avec Coline, et d’un moment où elle me disait que, dans le saut à ski, on pense à la dimension de vol, alors qu’il y a aussi l’image de la chute, et il faut que l’athlète la ralentisse. Cela m’a paru intéressant aussi pour la métaphore de la chute, qui était quelque chose qu’on pouvait relier à l’histoire du couple. Il y avait ce champ lexical qui s’ouvrait, qui était lié à la fois du au geste du saut et au parcours du personnage. J’ai trouvé cela assez beau.

En tant que binôme de réalisatrices, comment vous vous êtes réparties le travail ?

CT : On avait énormément de moments de discussion à deux. On était une sorte de trio, Franziska, le chef op Felix Pflieger et moi. Pendant le tournage, je dirigeais les comédiennes et Franziska était plus avec le chef op. On échangeait beaucoup, on se mettait d’accord sur ce qu’on faisait, mais pour simplifier la communication et pour que les actrices aient une seule interlocutrice, on a pris ces places.

Finalement, je trouve que le fait de travailler en co-réalisation, c’est vraiment à la fois une contrainte et aussi une force. Tout prend plus de temps parce qu’il faut prendre les décisions à deux, mais on ose aussi parfois tenter des trucs qu’on ne ferait pas toute seule. J’aime bien, c’est quelque chose que j’ai fait plusieurs fois.

Avec Franziska?

CT : Avec Franziska j’avais fait un premier court métrage et un clip. C’était des projets expérimentaux, sur un format très très court, mais qui au bout d’un moment m’ont moins intéressé parce que j’ai envie d’avoir de plus en plus de durée. J’aimerais bien passer à un long métrage pour avoir le temps de plus explorer des personnages.

Comment vois-tu la différence entre le court et le long ?

CT : J’ai l’impression que dans le court, l’avantage, c’est qu’on peut se permettre d’être assez extrême sur la forme. J’aime bien voir le court comme le poème en littérature; c’est vraiment très condensé. Ralentir la Chute, c’est un film concentré, chaque phrase est chargée, mais finalement ça ne prend pas le temps de raconter une histoire sur la longueur. J’aimerais bien essayer le format long parce que je ne l’ai pas encore fait, mais je pense que c’est super de continuer avec le format court pour avoir ce côté « film poème ».

Le film est très silencieux. C’est un silence très cohérent avec l’histoire parce qu’il nous met dans cet inconfort dans lequel se trouvent les protagonistes. Comment le son a-t-il été conçu ?

CT : Le son a été beaucoup créé en post-production. Une fois qu’on a été sur les lieux du tournage, on s’est rendu compte qu’il y avait une rivière qui passait en dessous du tremplin, des avions, des groupes de touristes, des drapeaux… La montagne est très parasitée par l’activité humaine, donc c’était pratiquement impossible de prendre du son direct de qualité. On s’est rapidement dit qu’on allait faire beaucoup de post-synchro, mais aussi qu’on allait enregistrer des sons ailleurs. Le son a quelque chose du collage, on a des bruits très précis à certains endroits, mais pas du tout une immersion plus réaliste. Les conditions du tournage ont défini ça, mais on s’est rendu compte que ça nous plaisait.

On ne voulait pas avoir un son réaliste qui comprenne tout ce qu’il y a dans ce lieu parce que ça serait trop. Finalement, on a choisi d’avoir une bande-son très simple, comme si on avait commencé par tout enlever pour remettre ensuite au fur et à mesure les sons. Pour moi, un des sons les plus importants c’est à la fin quand il y a le saut dans la nuit. Le bruit est discret mais on l’entend, c’est très étouffé. Pour nous, c’était important de l’avoir; mais même ce moment-là est construit en post-production.

Une image de Coline liée à une compétition apparaît dans le film. Est-ce une vraie image d’archive ?

CT : C’est une image d’archive, un saut authentique de Coline aux JO de Sotchi en 2014. Cette idée est arrivée assez tard. On a eu envie de l’intégrer ça parce que d’une part, il y a quelque chose d’assez étonnant sur le fait que notre comédienne soit aussi une ancienne championne, mais aussi, il y a un sous-texte que la plupart des spectateurs ne saisissent pas forcément : il se trouve que les JO de Sotchi étaient les premiers de l’histoire où les femmes étaient autorisées à participer au saut à ski.

Propos recueillis par Bianca Dantas

La Berlinale ouvre bientôt ses portes !

La Berlinale accueillera sa 74ème édition du 15 au 25 février prochain. Au programme, une multitude de courts comme de longs à se délecter. Dans la sélection des courts, on trouve Shuli Huang entre autres avec son nouveau court Jing guo (Goodbye First Love), qui nous avait déjà ému.es en 2022 avec Will You Look at Me, ou encore Joung Yumi avec Love Games en 2014 et The Waves en 2023. On a également hâte de retrouver Lin Yihan, Yuyan Wang, ou encore Francisco Lezama en compétition.

Au total, une sélection de 20 courts-métrages issus de 11 pays en compétition en lice pour les Ours d’or et d’argent de cette édition 2024 qui s’annonce passionnante.

Films en compétition

Adieu tortue, Selin Öksüzoğlu – France
Al sol, lejos del centro (Towards the Sun, Far from the Center), Luciana Merino, Pascal Viveros – Chili
Les animaux vont mieux, Nathan Ghali – France
Circle, Joung Yumi – Corée du Sud
City of Poets, Sara Rajaei – Pays-Bas
Jing guo (Goodbye First Love), Shuli Huang – Etats-Unis
Kaalkapje (Baldilocks), Marthe Peters – Belgique
Kawauso, Akihito Izuhara – Japon
The Moon Also Rises, Yuyan Wang – France
Un movimiento extraño (An Odd Turn), Francisco Lezama – Argentine
Oiseau de passage, Victor Dupuis – Belgique
Pacific Vein, Ulu Braun – Allemagne
Preoperational Model, Philip Ullman – Pays-Bas
Re tian wu hou (Remains of the Hot Day), Wenqian Zhang – Chine
Shi ri fang gu (Sojourn to Shangri-La), Lin Yihan – Chine
Stadtmuseum / Moi Rai (City Museum / My Paradise), Boris Dewjatkin – Allemagne
Tako tsubo, Fanny Sorgo, Eva Pedroza – Autriche
That’s All From Me (So Viel von Mir), Eva Könnemann – Allemagne
Ungewollte Verwandtschaft (Unwanted Kinship), Pavel Mozhar – Allemagne
We Will Not Be the Last of Our Kind, Mili Pecherer – France

Nans Laborde-Jourdàa : « Je veux assumer le goût de l’indécision »

Réalisateur, comédien et metteur en scène, Nans Laborde-Jourdàa nous livre dans Boléro un conte sensuel et galvanisant sur un danseur retournant dans sa ville natale et provoquant une transhumance érotique et organique, au rythme du Boléro de Ravel. Queer Palm et Prix Canal + (Semaine de la Critique 2023) et maintenant nommé aux César 2024 dans la catégorie court-métrage de fiction, Boléro est un film inédit. Après avoir également réalisé les courts-métrages Looking for Reiko en 2017, qui narre l’errance d’un homme à Tokyo à la recherche d’une chanteuse des années 1970, et Léo la nuit en 2021, qui explore les liens complexes entre un père et son fils, Nans Laborde-Jourdàa se confie à Format Court sur son travail pluriel et versatile.

Format Court : Ça fait quoi d’être nommé aux César ?

Nans Laborde-Jourdàa : J’étais nommé l’année dernière pour Léo la nuit, et ça avait été une énorme surprise ! Je ne savais même pas qu’il y avait des prénominations. Avec Léo la nuit, tout était surprenant pour moi, car je découvrais aussi le milieu du court-métrage. C’est un film que j’avais fait très vite. Pour Boléro, il y a eu forcément un peu plus d’attente, mais c’est toujours une grande surprise de savoir qu’on est nommé. Aux César, il y a un éventail très large de cinémas représentés. Et les événements proposés par l’Académie permettent de se rencontrer entre nous. Les César représente à la fois peu et beaucoup de choses. Je viens d’une petite ville des Pyrénées et j’allais peu au cinéma quand j’étais jeune. Le seul lien que j’avais avec ce milieu, c’était les César. J’ai regardé longtemps une cérémonie qui récompensait des films que je ne voyais pas. Les César me renvoient à l’enfant en moi qui voulait être réalisateur.

Tu allais très peu de fois au cinéma. Comment t’es venue cette passion ?

NLJ : Quand j’étais enfant, c’est le théâtre qui m’a vraiment attrapé. Le cinéma est arrivé un peu plus tard au collège, et ça a été de vrais chocs esthétiques et de découvertes de mondes. À l’école, on est allé voir Rue Cases-Nègres d’Euzhan Palcy. J’ai vu que d’autres mondes existaient en dehors de ma petite ville, et j’y ai découvert la grammaire du cinéma. Cela ne m’a jamais vraiment quitté. Des films comme On connaît la chanson, que j’ai vu avec ma famille, m’ont vraiment marqué. A l’époque, j’avais une amie qui venait chez moi l’été, et qui était en option cinéma. Elle me donnait des VHS, comme Les Glaneurs et la Glaneuse d’Agnès Varda, et j’ai eu des vrais chocs, j’ai été physiquement renversé. Avec Pierrot le Fou, j’ai presque eu des orgasmes visuels, cela m’a ouvert un monde que je ne soupçonnais pas. Il y a eu un avant et un après. Et puis ça a été un moyen de quitter ma ville et de faire un bac cinéma à 15 ans. Après une fac à Bordeaux où les études ne me convenaient pas, je suis parti à Paris faire une école de théâtre sur un coup de tête. Je suis devenu comédien, metteur en scène, et j’ai monté ma compagnie de théâtre. Mais je ne me sentais pas légitime à l’idée de faire du cinéma.

Tu diriges la compagnie Toro-Toro. Dans Boléro et ton premier court-métrage Looking for Reiko, la danse et le théâtre ont une place très importante. Que permettent de dire ces médium ?

NLJ : Avec le théâtre, je me suis rendu compte que j’aimais des choses intimes, qui n’étaient pas dans une forme réaliste. Ça m’intéresse de comprendre comment par la stylisation, on arrive à recréer du réel. J’ai travaillé avec des générations d’artistes sortant comme moi du Conservatoire du 5e. J’y ai découvert l’écriture au plateau. Tout part d’improvisations proposées et cadrées par le metteur en scènes et où le comédien écrit lui-même sa propre partition. Il y a quelque chose de l’acteur-créateur, et depuis toujours, je ne me suis jamais senti acteur, mais plutôt créateur. C’est comme cela que j’ai commencé à travailler comme comédien. Aussi, au théâtre, on m’a souvent fait danser. Je pense que j’aurai voulu être danseur quand j’étais adolescent, et je ne me le suis pas autorisé. Mais la danse a perlé mon travail de théâtre, puis de cinéma. Bien sûr, les dialogues sont importants, mais avec le corps, on raconte beaucoup avec très peu.

Tu dis te sentir plus créateur qu’acteur, mais tu joues beaucoup dans tes propres courts-métrages. Comment se dirige-t-on comme acteur ?

NLJ : Ça a toujours été très fluide. Dans Looking for Reiko, je reprenais le pouvoir sur des choses qui me dépassaient. Àl’époque, j’avais développé un film sur un an, dont le tournage avait été annulé un mois avant. Looking for Reiko s’est créé en secousse à ça, avec l’idée de partir avec un téléphone et de filmer à l’autre bout du monde, avec mes propres ressources, où je me suis mis au centre du dispositif. Jouer dans Léo la nuit était une évidence, je filmais des gens que j’aimais et que je connaissais très bien pour certains. Le rapport qu’on avait dans la vraie vie m’intéressait, même si c’était une fiction. Je crois dans l’idée que les relations entre les individus, qui existent avant le tournage, permettent de dire des choses au spectateur au-delà du scénario, qui sont impalpables. Léo la nuit a été fait très vite, dans des conditions très précaires. Je pense qu’il a vécu grâce à ces vibrations entre les personnages.

Dans Léo la nuit, un homme doit s’occuper de son fils de huit ans qu’il n’a pas vu depuis longtemps. Qu’est-ce qui t’a intéressé dans le rapport assez inhabituel du père envers son fils ?

NLJ : On m’a proposé de faire une pièce dans un festival : j’ai commencé à écrire une pastorale pyrénéenne sur mon adolescence. Je faisais venir un enfant qui devait m’incarner alors que je jouais mon père. J’ai rencontré Cuysa [Cyusa Ruzindana Rukundo Marcou, l’acteur de Léo] et j’ai adoré sa créativité. Il y avait quelque chose de très vivant, et je trouvais qu’il me ressemblait, je me projetais en le voyant. Il n’a pas voulu joué dans la pièce finalement car il était trop intimidé par la rencontre avec le public mais quelques années après, j’ai réfléchi à l’histoire d’un père et de son fils qui ne se connaissaient pas vraiment et j’ai pensé à Cuysa. Il a d’abord refusé puis accepté de jouer dans un film. J’aimais comment les choses circulaient entre nous. Léo la nuit est venu de questions sur l’amour, la famille qu’on a, celle qu’on s’invente, les enfants qu’on a, ou qu’on a pas… De base, cela devait être une série de courts-métrages. Finalement, j’ai tellement aimé filmer et monter Léo la nuit, que je n’ai pas eu besoin de continuer à développer cette relation-là, même si je voudrais beaucoup rejouer avec Cuysa et avec tous les acteurs du film.

Comment dirige-t-on un enfant ?

NLJ : C’est très surprenant. J’avais tout le temps peur qu’il veuille arrêter de jouer, ce que j’aurais compris. Mais j’ai beaucoup parlé avec lui, je lui ai fait rencontrer l’équipe. Il n’avait pas le scénario, il n’était pas au courant de choses qui auraient pu être traumatisantes. Je lui disais le dialogue une fois, et il l’apprenait immédiatement, c’en était presque déstabilisant. Travailler avec lui, et les autres, était un plaisir. Il y a avait une sorte de fluidité avec les comédiens et l’équipe technique, en laquelle j’avais confiance.

Tes personnages sont souvent caractérisés par une instabilité, et se définissent par leurs interactions avec les autres. Même s’ils ont une vie inhabituelle, on s’y identifie. Comment écris-tu tes personnages ?

NLJ : Mes personnages se définissent vraiment dans leur contexte avec l’autre. C’est pour cela que je les ai joués moi-même. On m’a souvent proposé comme comédien des rôles définis par les autres, comme un passeur. C’est très déstabilisant et désagréable à jouer. En tant que comédien, ça me dérange de me dire qu’on est seulement révélé par les autres. Mais le jouer personnellement, savoir ce que le personnage veut, me plaisait. J’ai un goût pour l’errance, je veux assumer un goût de l’indécision. On est dans une époque où il faut être offensif, savoir ce qu’on veut, le faire vite. Par mon cinéma, je veux dire l’inverse. On peut hésiter, ne pas savoir, et se réapproprier son rythme.

Boléro contraste avec Léo la nuit et Looking for Reiko, notamment en termes de rythme. Comment as-tu réfléchi à cette lenteur, cette indécision ?

NLJ : Dans le début de Boléro, il s’agit d’un homme qui rentre chez lui, et qui erre. Je voulais créer une expérience sensitive, courte, qui durait le temps du Boléro [de Ravel]. Mon personnage retourne dans des paysages qu’il connaît, avec des gens qu’il connaît, où tout semble fantomatique. Au-delà de comprendre le côté queer, le spectateur doit pouvoir faire l’expérience d’un rythme lent, comme j’ai pu m’ennuyer dans les Pyrénnées de mon adolescence. Je ne voulais pas seulement le dire mais aussi que le spectateur se perde dans cette expérience.

En effet, la deuxième partie développe un érotisme très organique.

NLJ : Oui, le personnage principal refait surgir des figures du passé, mais aussi des figures violentes, qui le renvoient à la condition de jeune homosexuel, qui doit se construire dans la marge. Parce qu’on est invisibilisé, on rencontre des gens qui peuvent nous faire du mal, comme il rencontre cet ancien professeur avec qui une chose a dérapé. Pour moi, c’était comme aller au bout du chemin, et décider que cette errance était finie. Mais je ne voulais pas que ce soit négatif, ni trop sexuel. Le protagoniste veut danser pour réenchanter les choses, et montrer comment par l’art, on parvient à transgresser les normes et à rassembler les gens par le biais du groupe.

Il y a quelque chose de l’ordre du Sublime à la fin de Boléro, où le personnage finit par transcender son individualité pour devenir un symbole.

NLJ : Le personnage est plein de blessures, et d’une rage à l’intérieur de lui qu’il exprime par la danse, qui connecte tous les membres de ce petit village. Il rappelle la solitude et le besoin d’être ensemble. Il montre comment on parvient à faire groupe et à réinventer les choses, à se réapproprier ce monde dans lequel on vit, fragmenté et capitaliste. Dans une société où l’on est déshumanisé, je voulais montrer comment on réinvente des récits ensemble. Je voulais le mettre en scène dans une manière simple et épurée, comme un petit conte inoffensif et porteur d’une révolution.

As-tu l’impression qu’on a donné de la visibilité à ceux qui étaient invisibilisés ?

NLJ : Ça dépend. J’évolue dans une grande ville, je pense que les choses ont changé pour des gens plus jeunes que moi. Le rapport a changé, ici ou dans des zones plus reculées. Ce que j’ai vécu n’est pas la même chose que ce que vit un jeune aujourd’hui. Les mentalités ont évolué, mais la violence est toujours présente et s’est déplacée. C’est une violence de minorités, et une violence de classes.

Tu as reçu la Queer Palm et le prix Canal + à Cannes, et Boléro est maintenant nommé aux César 2024. Comment le film a-t-il été accueilli autour de toi ?

NLJ : Ça a commencé directement avec Cannes, et le retour des gens a été très chaleureux, j’ai reçu beaucoup d’amour, alors que je m’attendais à quelque chose de très dur. Et puis il y a eu la projection du film dans les Pyrénées. Montrer le film dans ma ville natale m’angoissait autant que de le montrer à Cannes. Lorsque je suis arrivé à Oloron, je m’attendais à une trentaine de personnes. Mais petit à petit, des centaines et des centaines de personnes sont venues ! Il y a eu beaucoup d’articles, mais les gens n’avaient pas vu le film. Je me disais qu’ils allaient tomber des nues, que ça allait mal se passer. Mais les retours ont été tellement chaleureux, c’était une très belle projection. Avant le tournage, j’avais très peur de comment Fran [François Chaignaud, acteur.ice principal.e de Boléro] allait être intégré.e dans ma ville natale, ce que les gens allaient dire. En fait, il y eut une communion à tous points de vue. Pour moi, même si le film n’allait jamais être montré en festival, l’expérience collective et cette réconciliation me suffisaient.

As-tu des projets pour le futur ?

NLJ : Je suis en train d’écrire un long-métrage depuis quelques mois. Ce sont de nouveaux contes queers contemporains autour de la question de l’amour et de la folie amoureuse. J’aimerais aussi refaire des courts-métrages, c’est un format que j’aime et que je n’ai pas encore exploité complètement. Avec le long-métrage, il faut tenir sur une heure et demie, et il y a des enjeux économiques. C’est un monde différent que je découvre petit à petit. En s’entourant de bonnes personnes, il faut réussir à faire précisément le projet qu’on a en tête, et rester près de ses envies.

Propos recueillis par Mona Affholder

Article associé : la critique du film