Solipsist d’Andrew Thomas Huang

Petit phénomène en soi dans le milieu artistique branché, Andrew Thomas Huang a su imposer avec « Solipsist » un univers coloré et texturé, marqué par une direction artistique très aboutie et un syncrétisme parfait dans l’utilisation de marionnettes et d’effets spéciaux. Ce petit bijou lui a valu de nombreuses louanges et récompenses, ainsi que l’attention d’un des grands noms de la musique islandaise, Björk, qui lui a confié, les yeux fermés, la réalisation de son nouveau clip : Mutual Core. Saluons le travail de défrichage de la programmation Labo du Festival de Clermont-Ferrand pour nous proposer une telle œuvre dans sa sélection 2013.

« Solipsist » se découpe en trois grands tableaux qui mettent en scène la fusion d’êtres distincts dans quelque chose de plus grand et de plus beau, une sorte d’entité mystique et supérieure qui dépasse le Moi original.

Dans le premier tableau, deux femmes assises dos à dos entament une chorégraphie dansée sous forme de transe synchronisée. Elles sont habillées de diverses fourrures, planctons et autres plumes qui, sous l’effet du va-et-vient musical, vont se répandre et constituer un costume de matière. Au son de la musique zen, la transformation s’opère inexorablement et une entité fusionnelle émerge des deux corps, monticule de textures et de couleurs évoquant quelque nature séculaire.

Dans le deuxième tableau, des êtres aquatiques de même type communiquent entre eux à l’aide d’impulsions sonores et lumineuses, quand soudain ils se retrouvent accostés par une autre espèce qui se met elle aussi à communiquer avec eux. Au détour d’un ballet enivrant de sons et de couleurs, une union s’opère entre ces différents êtres et aboutit à la création de nouvelles formes et espèces qui créent un tout d’une homogénéité parfaite.

Enfin, dans le dernier tableau, deux hommes sophistiqués et très semblables se croisent sur une plage déserte, mais s’évitent sciemment en se tournant le dos. Leurs visages et nombrils respectifs se rétractent alors sur eux-mêmes et s’éparpillent en grains de sable colorés pour aller à la rencontre de l’autre. Les deux flots de sable se rejoignent dans une gerbe d’explosion qui contamine les autres tableaux.

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« Solipsist » semble fonctionner en prenant le contrepied de la théorie philosophique du « solipsisme », à savoir qu’ « il n’y aurait pour le sujet pensant d’autre réalité que lui-même », en somme que l’ego est la seule chose dont nous ne puissions douter et que tout élément extérieur appartient à la représentation que l’on s’en fait. Tout au long de ces trois tableaux, Andrew Thomas Huang s’essaie à démontrer les écueils d’une telle forme de pensée en utilisant plusieurs figures et symboles évocateurs, comme par exemple ces nombrils et visages se désagrégeant en poussière. Le jeune réalisateur américain croit en la fusion des êtres, à un éveil à la conscience de l’autre et à la nature environnante. Il invite le spectateur à se transcender soi-même et à se laisser envahir par l’autre, il nous convie à une explosion de l’ego et à la création d’une nouvelle forme, supérieure et positive. Ce n’est pas anodin si Björk a fait appel à ses services. Elle a su reconnaître, au-delà de sa virtuosité graphique, la volonté du réalisateur de partager certaines valeurs d’union et d’ouverture qu’elle dispense également dans sa musique.

Julien Savès

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