In Loving Memory de Jacky Goldberg

Présenté en compétition nationale au Festival du Court Métrage de Clermont-Ferrand (programme F6), le quatrième court métrage de Jacky Goldberg ouvre une fenêtre très personnelle sur un thème cher au cinéma : la mémoire.

« In Loving Memory » est un titre comme un hommage sans adresse, dans une version anglaise qui sonne, et résonne sans doute plus que sa traduction dans la langue de Molière. « In Loving Memory » est un film sur le souvenir, la filiation et le manque.

Les neuf minutes du court métrage suffisent à transporter les spectateurs dans l’univers de Jacky Goldberg. Entre images pop, tournées en super huit, symboles d’une période inspirante (les sixties) et voix off féminine anglophone, on retrouve ici tout l’imaginaire du réalisateur déjà esquissé dans son précédent film « Far from Manhattan ». D’ailleurs, les deux films semblent se répondre aussi bien formellement que dans leur contenu. L’image d’une femme fragile en quête de sa vie, un rôle délicieusement incarné par la comédienne Cassandre Ortiz dans les deux films, ainsi que la figure du héros/monstre enfermé dans une armure/carapace sont deux récurrences qui suggèrent, si ce n’est la construction figée d’un diptyque, un travail dans la continuité, une recherche thématique autour de l’accomplissement personnel.

L’oubli et le souvenir

Dans la première partie du film, la narratrice raconte, avec une certaine résignation, l’Evènement fondateur de son histoire, un évènement qui fait partie de ceux qui construisent un caractère et déterminent une personnalité. Il s’agit ici d’un « accident » dont on ne saura guère plus, ni la cause ni le contexte. En revanche, ce moment marque tragiquement et radicalement la fin d’une époque, celle du bonheur familial, celle des images de vacances et de liesse qui défilent à l’écran. La narratrice évoque ainsi comment sa mère a dû faire un choix irrévocable qui l’a conduite à effacer littéralement de sa mémoire sa vie d’avant l’Evènement. Une table rase nécessaire qui inclue inévitablement le souvenir de sa famille et donc de sa fille.

Dans la seconde partie du film, la narratrice replace le récit en fonction de son propre ressenti, celui d’une fille oubliée, effacée, anéantie de la mémoire de sa mère. Le désenchantement dans sa voix se fait plus présent même si le texte dit toute sa volonté à retrouver une place dans le cerveau d’une mère amputée d’une partie de réalité.

La magie du sensible

Cinéphile averti et cinéaste inspiré, Jacky Goldberg prend le parti d’une réalisation sensible qui ne bouscule pas. Ici, rien de brusque ou de vif, les tons sont doux tant dans les images que dans la voix-off en anglais, calme et mélodique. Le spectateur entre dans un monde qui a quelque chose de flottant, qui semble osciller entre un temps révolu et un espace moderne.

En utilisant le super 8, Jacky Goldberg joue sur les sentiments provoqués par des images appartenant au passé. Elles sont ici les traces d’un temps heureux mais révolu et provoquent inévitablement une certaine nostalgie. Evoquer visuellement la parenthèse enchantée des années soixante et opposer auditivement celle-ci à une modernité plus douloureuse, via la voix-off, permet au réalisateur de faire résonner le monde fini et le monde réel. Techniquement, la perméabilité d’un espace sur l’autre est retranscrite par l’usage du datamoshing. Les images se superposent, s’entrelacent comme pour combler les trous dans la mémoire de la mère. Le processus d’oubli est inversé, la narratrice force le souvenir à se reconstruire.

Le film propose un point de vue de prime abord assez critique qui opposerait la beauté et la candeur d’un passé radieux à une modernité noire et sans humanité où la vie peut être tronquée sous couvert d’un accès à une survie dont il faudrait se contenter. Pour autant, l’idée majeure restera celle de la force de la volonté personnelle, la capacité humaine à ne jamais oublier tant qu’elle souhaite maintenir en vie le souvenir. Entre expérimentation et conte Markerien, « In Loving Memory » est un film extrêmement moderne et universel porté par une réalisation qui joue sur la corde sensible sans tomber dans la sensiblerie.

Fanny Barrot

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