Je criais contre la vie. Ou pour elle. de Vergine Keaton

Lorsqu’un film s’ouvre sur des gravures romantiques animées du XIXème, le spectateur s’arrête pour regarder. Sélectionné à l’ACID (à Cannes) cette année, « Je criais contre la vie, ou pour elle » est une véritable symphonie en sépia qui innove sur le plan formel. Son auteure, Violaine Tatéossian, alias Vergine Keaton, historienne d’art et animatrice française, démontre qu’elle a plus d’un tour dans son plumier.

Dans un cadre très classique, Keaton dépeint une chasse à courre à l’anglaise. Une scène forestière classique, rompue lorsque le ciel assombri commence à se dégager, et que les cerfs se retournent contre les chiens et que les chasseurs deviennent les chassés.

« Je criais contre la vie, ou pour elle » s’inspire de la mythologie antique d’Antigone, réinterprétée par le traducteur Henri Bauchau sous la forme d’un rêve fait par l’héroïne éponyme. Vergine Keaton va plus loin que la simple citation, en revisitant les mythes fondateurs comme l’apocalypse (le ciel qui s’écroule sur la tête), la cyclicité (la référence au dicton Post nubila, Phoebus – Après la pluie, le beau temps) ou la régénération (la mue des cerfs). Ce jeu de symbolisme sophistiqué, la réalisatrice l’opère par le biais d’un travail soigné et laborieux de décomposition et de recomposition d’authentiques gravures d’époque.

Au même titre que l’image, la musique occupe une place centrale dans ce film. Elle est en quelque sorte le ‘’cri’’ du titre. Signée Vale Poher, la partition prend la forme d’une toccata bien rythmée, aux accords électriques évocateurs de Pink Floyd. Obstinée, elle mène, au gré de ses modulations rythmiques, une fantastique chorégraphie de flore et de faune, aux tournures tantôt à la Bewick tantôt à la Escher. D’un côté, la constance de la représentation en profil renforce le dynamisme de ces gravures classiques. De l’autre, l’allusion aux œuvres géométriques d’Escher se fait remarquer dans les superbes plans de corbeaux, mais aussi dans le va-et-vient incessant entre les deux pôles de cette vision naturaliste (la célébration de la nature dans toute sa splendeur, et l’horreur de sa face chaotique et impitoyable). « Je criais contre la vie, ou pour elle » : ce titre, provenant du texte de Bauchau, résolument indécis, recouvre lui aussi cette dualité.

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La force de ce court énigmatique et saisissant réside dans son style singulier. Entre la stase sobre du dessin, l’adresse inattendue des mouvements saccadés, et la limpidité de l’eau délicatement animée, le film fait preuve d’une adéquation réussie entre une recherche esthétique formelle et une trame narrative bien approfondie. Mariant l’original et le familier, « Je criais » imprime cette sensation : l’animation pourrait être, en quelque sorte, la suite logique de la gravure.

Adi Chesson

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