Précieux est le premier film professionnel de Paul Mas. Filmé en stop-motion, ce court-métrage d’animation qui concourait pour les César 2022 nous fait entrer dans la dure réalité de la cour de récréation. Là où les moqueries, les jugements et la conformation sociale commencent à naître. Nous avons rencontré le jeune cinéaste. Il revient sur son parcours et ses deux premiers films qui laissent entrevoir une carrière prometteuse.
Format Court : Être nommé aux César à 25 ans, pour son premier film, c’est un très bon début. Qu’as-tu ressenti à l’annonce de la nomination ?
Paul Mas : C’est la première fois que je suis sélectionné dans une compétition plus institutionnelle, plus suivie également par le grand public. Ce n’est pas du tout le même registre que les festivals d’animation dans lesquels j’ai pu précédemment présenter mes films. Le milieu de l’animation est bien spécifique et un peu niche. Ça fait à la fois très plaisir d’être légitimé par une telle instance que celle des César, et en même temps c’est totalement différent de ce dont j’ai l’habitude.
Connaissais-tu déjà le travail des réalisateurs en lice avec toi ?
P.M. : Pas tous. J’ai fait la même école, l’EMCA, que Marine Laclotte, la réalisatrice de Folie douce, folie dure (ayant reçu depuis notre entretien le César du meilleur court d’animation 2022). Elle était en troisième année, et moi en première. Elle avait réalisé le film FrancK Krabi, sur un type avec des crabes. Il y avait une collaboration entre les première et troisième années, et on pouvait aller donner un coup de main aux réalisateurs. Et en vrai, on voulait tous travailler avec Marine parce que le projet était génial. Du coup, c’est hyper marrant de se recroiser maintenant.
Justement en parlant d’école, peux-tu dresser ton parcours en quelques mots ?
P.M. : L’animation en stop motion, c’est quelque chose que je pratique depuis un long moment. C’était vraiment une baffe que j’ai prise quand j’étais ado, vers 13-14 ans. J’ai regardé le making of de L‘Étrange Noël de Monsieur Jack (de Henry Selick) et j’ai été totalement fasciné par la manière de faire le film. Des personnages sortaient de moules en plâtre, et je trouvais ça totalement fou. Du coup, j’ai commencé à en faire moi-même en regardant des tutoriels sur Internet, et je me suis installé un petit atelier dans ma cave. D’ailleurs c’est drôle parce que je n’ai jamais trop changé de lieu : j’y ai réalisé mon premier court-métrage pour le bac et je continue à y travailler aujourd’hui.
J’ai commencé en faisant des marionnettes, j’expérimentais les techniques, je dessinais un peu aussi. Mais c’est vrai qu’en arrivant à l’EMCA, j’ai rapidement confirmé mon choix de la stop motion. Tout le monde dessinait incroyablement bien, et je n’avais aucune envie de me mettre en compétition avec les autres étudiants. Et comme assez peu de personnes faisaient de la stop motion, je me suis dit que c’était pour moi. C’est une technique tellement riche et exigeante que je m’aperçois que j’en suis vraiment qu’au début de mon apprentissage, et que j’ai encore un milliard de choses à apprendre. Je pense qu’une vie, ce n’est même pas suffisant, mais de toute manière je ne me vois pas faire autre chose.
D’ailleurs en sortant de l’EMCA, j’étais content d’avoir terminé mon film de fin d’étude Children, mais je ne me voyais pas forcément en réaliser d’autres. Je voulais surtout travailler en tant que technicien. Du coup, j’ai fait des stages notamment sur La Mort Père et Fils (de Denis Walgenwitz et Winshluss), un film produit chez Je Suis Bien Content. Puis après, j’ai essayé de faire de la stop motion pour d’autres réalisateurs, mais ce n’était pas évident. Du coup, j’ai entamé le travail sur Précieux. Faire un nouveau film à ce moment-là, c’était surtout l’opportunité d’avoir un job. J’ai commencé et puis finalement, j’ai eu d’autres opportunités après.
Dans tes deux films, tu traites de l’enfance et surtout de l’univers terrible de la cour de récréation. Pourquoi ?
P.M. : Ce n’est pas tant l’enfance et l’école que la différence, l’altérité, et le comportement de l’individu face au groupe. Mais j’aime situer mes films à cette période car l’enfance, c’est le moment où on l’apprend pour la première fois. Et finalement, l’apprentissage du rapport et de la conformation au groupe est assez brutal à cet âge. Après on grandit, on intègre ces principes, qu’ils soient bons ou mauvais. On fait avec.
Mais Précieux est loin d’être un film pour enfants. Pendant l’écriture, plus je me remémorais mon expérience personnelle et plus j’interrogeais les personnes autour de moi, plus je réalisais la violence et la dureté des situations que tout un chacun a pu vivre au moins une fois durant son enfance, à plus ou moins grand degré. Ce n’est vraiment pas drôle du tout. Je pense que ces conversations ont servi à nourrir le ton du film. Finalement, les adultes sont plus touchés quand ces rapports de force concernent des enfants, ça leur va droit au cœur. Mais finalement, est-ce réellement moins dur après ?
Dans ton précédent film Children (2016), la fin est violente et radicale. On en vient à la mort. Finalement, tu t’es adouci dans Précieux, pourquoi ?
P.M. : Avec un peu de recul, je trouve que mon film de fin d’études est vraiment sombre. J’ai l’impression que sur les premiers films, tous les réalisateurs ont une tendance à augmenter le curseur de dureté. Ça s’inscrit certainement dans une peur de ne pas être légitime. Pour Précieux, je ne trouve pas que la fin soit si horrible. C’est révoltant, mais c’est aussi la vie.
Dans Children, je joue beaucoup sur les questions de moralité. Je n’ai pas envie de provoquer ça, parce que je n’ai pas envie de prendre le spectateur en otage. Mais l’idée, c’est effectivement de prendre un petit biais sur les choses, de laisser entrevoir un autre angle. Je montre des réalités plurielles. J’aime bien les zones grises morales.
Est-ce plus facile d’aborder ces sujets par le biais de l’animation ?
P.M. : Je ne crois pas que l’animation en tant que médium permette d’aborder certains sujets plus facilement que d’autres.
Une seule fois pendant la réalisation, je me suis fait la réflexion que l’animation était plus pratique. Mais ça ne concernait pas le sujet en lui-même, uniquement le jeu des acteurs : les cabines de la piscine. Dans cette scène du film un petit garçon et une petite fille se retrouvent seuls dans une cabine. Le petit garçon est en serviette et fait une crise d’angoisse car il a oublié son maillot. La petite fille essaie de le consoler, et ce moment-là, la serviette du petit garçon tombe et il se retrouve nu.
Honnêtement, j’aurais été incapable de demander ça à deux jeunes enfants en live. Ça aurait été hyper gênant pour moi, certainement traumatisant pour eux. En réalité, dans Précieux, le live aurait rendu le rapport aux comédiens très compliqué. Ici, je trouve que l’animation est plus accommodante.
As-tu déjà d’autres projets en tête ou te laisses-tu un peu de temps ?
P.M. : En ce moment je travaille sur un Short Cut, un court-métrage d’une minute, pour Arte sur les oiseaux d’Hitchcock. Après Précieux, pendant le confinement, j’en ai profité pour renforcer un peu mon atelier. Comme tout le monde à cette période, j’ai regardé beaucoup de films. Je me suis d’ailleurs rendu compte que les films vers lesquels je me tournais naturellement étaient des films fantastiques et assez grand public, avec des codes bien particuliers. Du coup, j’ai commencé à travailler sur un nouveau projet qui mélange stop-motion, science-fiction, comédie… C’est génial parce que j’apprends de nouvelles manières de faire des histoires, de nouveaux codes et c’est super excitant ! J’espère qu’on trouvera les financements pour produire le film.
Synopsis : 1975. Ingrid travaille pour l’agence de renseignements chilienne. Sa relation avec son chien, son corps, ses peurs et ses frustrations révèle la fracture brutale de son esprit et du pays tout entier.
Prix du meilleur court-métrage d’animation à Clermont-Ferrand en 2022, en lice pour les Oscars 2022, Bestia de Hugo Covarrubias, a rencontré de nombreux succès dans les festivals de courts-métrages à l’international depuis sa sortie en 2021. Le film était également en compétition lors de la troisième édition du Festival Format Court en novembre dernier lors duquel il a reçu la mention spéciale du Jury Presse.
Qui est la Bestia ?
Glaçant. Le premier mot qui vient pour décrire ce court d’animation de 15 minutes qui révèle un personnage que le public connait peu : Ingrid Olderöck. Cette fille d’immigrés allemands affiliés au nazisme, née au Chili et agente de la police secrète du pays pendant la dictature de Augusto Pinochet, plus connue sous l’alias « La mujer de los perros », a commis de multiples actes de barbarie envers les opposants du régime chilien de l’époque. Morte en 2001, elle n’a jamais été juridiquement reconnue coupable de ses crimes. Hugo Covarrubias a choisi de mettre en lumière son histoire et de l’exposer au plus grand nombre car une partie de la population chilienne et internationale reste dans le déni et l’ignorance des événements cruels qui se sont déroulés à cette époque dans le pays.
Pour la réalisation de ce film, Hugo Covarrubias s’est appuyé sur le livre de Nancy Gùzman “Ingrid Olderöck the Woman with the Dogs” paru en 2014. Si Bestia n’est pas uxfne adaptation à proprement parlé de cet ouvrage, le court-métrage se sert des diverses informations, interviews et témoignages portés à la connaissance de Nancy Gùzman pour décortiquer le personnage complexe qu’était la tortionnaire, et corroborer l’histoire narrée dans Bestia.
Le récit d’une vie ordinaire et sordide
Les premières scènes de Bestia semblent banales. Le bruit d’un avion, le plan fixe sur un plateau repas, une femme fumant ses cigarettes au-dessus des nuages nous ramenant avant les années 2000. Rien d’anormal ou plutôt rien de plus ordinaire. Oui, mais c’est finalement sur un visage que se rabat l’image : coupe carrée, visage disgracieux fait de porcelaine vernie semi-fissurée et troué à la tempe… Quelle est l’histoire de cette femme dont le profil atypique nous interroge ?
C’est dans ce destin que Hugo Covarrubias nous embarque, dans la dualité de ce personnage. Un quotidien qui semble tout aussi paisible que routinier. Réveil, petit dej, boulot, dodo. Mais peu à peu la bestia se révèle plus sombre, plus torturée et de moins en moins « humaine ». La lumière se fait sur sa vie où s’accumulent ordre, secrets et violences. De plus en plus visibles, les actions d’Ingrid mènent de l’indifférence, à la peur et au dégout.
Image sans voix : entre rêves et paranoïa
Tout l’histoire de Bestia se construit sans voix. On observe contentieusement, les moindres détails qui pourraient nous ramener à une histoire que nous connaissons. Avec une subtilité remarquable, Hugo Covarrubias fait naître une atmosphère anxiogène par la colorisation et le rythme des plans, l’alternance des scènes avec une présence musicale brutale et dérangeante (signée par Ángela Acuña), et d’autres totalement vierges de son. Grâce à ces enchaînements, on entre dans la psyché de Ingrid Olderöck, sans la comprendre et surtout sans vouloir le faire, entre colère, hallucination, paranoïa et perversion.
Il aura fallu 3 ans et demi à Hugo Covarrubias pour réaliser ce film et condensé dans cette animation de 15 minutes, qu’il a co-écrite avec Martín Erazo, la violence des agents de la dictature chilienne, et particulièrement celui de cette « femme aux chiens ». Ce film politique est à la fois bouleversant et écœurant. En tout cas, la motivation premier d’Hugo Covarrubias est respectée : il y a peu de chance que vous oubliez Ingrid Olderöck après avoir vu Bestia.
Et si votre passé vous retrouvait entre deux paquets de biscuits dans une innocente aile de supermarché ?
Partir un jour, César du meilleur court-métrage de fiction 2023, est une histoire de souvenirs et d’oublis, de passé et de futur, de courage et de peur, d’amour et d’indifférence. Ce court-métrage, sélectionné entre autres au Festival de Namur, à Paris Courts Devant, à Villeurbanne, a remporté le prix de la critique, du public et d’interprétation au festival Off Courts de Trouville ainsi que le prix du public et celui de la meilleure musique originale à Clermont-Ferrand.
Dans ce film musical d’Amélie Bonnin, on retrouve Bastien Bouillon dans le rôle de Julien, François Rollin et Lorella Cravotta dans celui des parents, et Juliette Armanet, dans celui de Caroline, l’amour de jeunesse de Julien.
Amélie Bonnin parle de “film musical” car il est en effet parsemé de chansons sans vraiment être une comédie musicale à part entière. La réalisatrice se crée un genre pour son récit, qui lui permet de traduire une multitude de sentiments à la fois. Les dialogues et les chansons du film se marient très bien, ils sont même complémentaires, l’un ne pourrait exister sans l’autre.
Entre « Partir un jour », de Pénélope Marcelin, en passant par « L’Encre de tes yeux », de Francis Cabrel et « Bye Bye », de Ménélik, le voyage s’effectue entre les styles musicaux, les hauts et bas d’une relation, de l’amour, de la vie. Avec un rap léger qui traduit un jeune amour perdu, les paroles de Cabrel exprimant ce que seule la poésie peut, Amélie Bonnin réussit à passer d’une intensité à l’autre, avec une douceur qui se veut violente et vice-versa.
Julien revient à Cormolain, son village natal, pour aider ses parents à déménager. Un autre weekend banal pour cet écrivain, qui esquive les critiques sanglantes de son père et se raccroche aux paroles plates de sa mère. Mais la vie a ses tournants, et ils se trouvent souvent là où on ne les attend pas.
Julien retrouve en effet Caroline, son amour de jeunesse dans un supermarché, et après un après-midi d’hésitation, il se décide à passer quelques heures avec elle. Cette nuit, les deux âmes se retrouvent et recouvrent une part de leur jeunesse, évoquant leurs jours passés et leur futur.
À cette histoire d’amour se joint tout un débat sur les classes sociales modernes et le regard que l’on porte sur elles. D’un côté Gérard, le père de Julien, qui se définit comme un « bouseux de province » et de l’autre Caroline, l’amour oublié de Julien, qui travaille dans un supermarché.
Une simplicité environnante très rassurante se dégage de ce court-métrage, où l’on se rend compte qu’aucune vie n’est magique, ou plutôt banale. De plus, l’esthétique choisie par Bonnin renforce ce réalisme passionné : une majorité de plans filmés en caméra épaule, donnant une certaine intimité, sont accompagnés d’un son cru et matériel. Un format 4/3 présentant également des plans plus larges, laisse le spectateur découvrir des décors si ordinaires qu’ils semblent finalement magiques.
Un homme tiraillé entre ses racines et ses objectifs. Partir un jour. Voilà ce que Julien veut faire à tout prix. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait, et pourtant il revient là où tout a commencé. Partir n’est parfois pas assez, et certaines choses restent à jamais. Mais ce n’est peut-être pas plus mal. Il faut apprendre à vivre avec certaines choses, afin de consolider notre armure pour stopper une éventuelle dégradation. Partir, c’est à la fois une solution, une conséquence, une cause, fuir, oser, s’aventurer, oublier…Partir, c’est vivre.
Synopsis : Julien revient à son village natal pour aider ses parents à déménager. Alors qu’il était partit il y a longtemps, il va retrouver chez lui des souvenirs qu’il croyait avoir laissé derrière.
Genre : Fiction
Durée : 25′
Pays : France
Année : 2021
Réalisation : Amélie Bonnin
Scénario : Amélie Bonnin et Dimitri Lucas
Image : David Cailley
Son : Alix Clément
Montage : Audrey Bauduin
Interprétation : Juliette Armanet, Bastien Bouillon, François Rollin, Lorella Cravotta
Ce vendredi 25 février 2022, la 47ème cérémonie des César, pilotée par Antoine de Caunes, a primé 3 courts-métrages en fiction, animation et documentaire. Les 3 réalisateurs.trices récompensés avaient participé à nos différents After Short César organisés en partenariat avec l’ESRA.
La 47e Cérémonie des César, qui se tient ce vendredi, le 25 février, voit le retour d’une récompense qui n’avait pas été décernée depuis 1991 : le César du meilleur court-métrage documentaire. Ce César a été remis, de 1977 à 1991, à des cinéastes comme Agnès Varda, Chris Marker, Marceline Loridan et Joris Ivens, Georges Rouquier ou encore Raymond Depardon, à deux reprises.
Cette année, quatre films sont nommés dans cette catégorie. Leurs durées sont extrêmement différentes, de 8 à 59 minutes. Ce sont cependant surtout leurs formes qui témoignent d’une remarquable variété. Peut-être est-ce dû à la jeunesse du prix, sans doute davantage aux caractéristiques propres du cinéma documentaire, aux frontières difficilement définissable. Quoiqu’il en soit, les quatre films nommés dans la catégorie du César du meilleur court-métrage documentaire entretiennent un rapport au réel qui leur est propre. Chacun d’eux témoigne d’une manière particulière de faire du cinéma documentaire.
America de Giacomo Abbruzzese est une enquête sur une histoire familiale : le réalisateur se penche sur la vie de son grand-père, qui a quitté sa femme et ses enfants en Italie au milieu des années 1950 pour vivre aux États-Unis. Il revient en particulier sur les circonstances mystérieuses de la mort de celui-ci. Des quatre films en compétition, America est le seul dans lequel le réalisateur, moteur de l’enquête comme du film, se met en scène. Celui-ci est présent dans la voix off mais apparaît également à l’occasion de plusieurs discussions en vidéoconférence. Le cinéaste utilise également des archives : des photographies et des vidéos appartenant à sa famille pour donner vie au disparu, et des archives plus générales (essentiellement des vues de New York) qui constituent en quelque sorte un contrepoint des premières et dressent le portrait d’une société et d’une époque. Avec America, Giacomo Abbruzzese écrit une page de l’histoire de l’immigration italienne aux États-Unis et des conditions de vie des italo-américains des années 1950 aux années 1970. Giacomo Abbruzzese a déjà réalisé des documentaires (Fame) et des fictions (Stella Maris, I santi), America est le premier film dans lequel il se met en scène et s’intéresse à une histoire personnelle. Il vient de terminer le tournage de son premier long-métrage de fiction, Disco Boy.
La Fin des rois de Rémi Brachet est le documentaire de la sélection le plus proche du cinéma direct. En filmant des infirmières donnant naissance à des enfants, des employés municipaux aidant les habitants de logements insalubres, des footballeuses à l’entraînement et en plein match, Rémi Brachet réalise la chronique d’un lieu, Clichy-sous-Bois. Au montage, toutes ces séquences s’alternent en parallèle d’un fil narratif plus présent, qui suit un atelier de théâtre dans un lycée. Les lycéens et lycéennes travaillent sur une pièce autour de l’assassinat du roi Chilpéric 1er dans la forêt de Bondy, au VIe siècle. Les lycéennes écrivent des rôles féminins forts et redonnent aux femmes la place que l’histoire ne leur a pas donnée. Le titre est une métaphore : à l’hôpital, dans les logements, sur le terrain, au théâtre, les femmes prennent le pouvoir, quand elles ne règnent pas déjà. À toutes ces séquences filmées en cinéma direct s’ajoutent l’ouverture et la fin du film, des séquences de fiction, elles aussi sont le résultat d’un travail d’atelier, réalisé lors de la résidence CLÉA de Rémi Brachet aux Ateliers Médicis à Clichy-sous-Bois/Montfermeil. La Fin des rois est le troisième film de son réalisateur et son premier documentaire. Il est également scénariste (diplômé de la Fémis en scénario), assistant réalisateur et technicien effets spéciaux.
Les Antilopes de Maxime Martinot est à la frontière entre le documentaire et le cinéma expérimental. Le film est un montage entièrement réalisé à partir d’images trouvées sur internet. Il commence avec des images d’antilopes filmées en plongée, la voix off est une lecture d’un texte de Marguerite Duras sur un suicide collectif, d’antilopes précisément. Les plans sont longs, les mouvements amples et délicats. Puis la musique grince et le dispositif est dévoilé : toutes les images du film sont des prises de vues de drones. Lorsque les antilopes sont filmées, ne sont-elles pas également traquées, chassées ? Les Antilopes part du poétique pour s’inscrire dans le politique : Maxime Martinot termine son film par un plaidoyer contre la prolifération des drones dans l’indifférence générale. À la fois film essai (comme le précédent film du cinéaste, Histoire de la révolution) et found footage réemployant des archives internet, Les Antilopes est une critique de la violence des images volées et une fascinante expérience cinématographique.
Maalbeek d’Ismaël Joffroy Chandoutis, qui avait remporté le Prix de la Presse à notre Festival Format Court, commence par une image abstraite qui prend peu à peu la forme d’un métro. Cette image, c’est celle que recherche Sabine, rescapée de l’attentat à la station de métro Maalbeek, à Bruxelles, le 22 mars 2016. Dans le film, Sabine témoigne de sa recherche d’une image manquante, de son impossibilité à reconstituer sa mémoire à partir des images de l’événement. Ce témoignage s’accompagne d’images virtuelles animées qui s’approchent de la représentation mentale, presque onirique, d’un événement passé. La forme originale de Maalbeek, confrontation d’un témoignage et d’images numériques, est proche de celle de Swatted, le précédent film d’Ismaël Joffroy Chandoutis, dont les images proviennent d’un jeu vidéo. Nommé l’année dernière pour le César du meilleur court-métrage d’animation avec Swatted, Ismaël Joffroy Chandoutis navigue entre les catégories avec un cinéma aux frontières poreuses. Il travaille actuellement sur son premier long-métrage, Deep Fake, autour des identités numériques.
Qu’il soit construit autour d’une voix off ou uniquement en son direct, qu’il souligne la présence du cinéaste à l’image et au son, ou au contraire que celui-ci s’efface derrière le cadrage et le montage, qu’il soit composé uniquement d’images d’archives ou de prises de vues inédites, chaque film de la compétition pour le César du meilleur court-métrage documentaire témoigne d’une écriture qui lui est propre et offre un remarquable florilège du paysage documentaire contemporain. Verdict demain soir lors de la remise des prix…
Soldat Noir de Jimmy Laporal-Trésor raconte l’histoire de Hugues, un adolescent, qui se rend compte, dans les années 80, que la pigmentation de sa peau a une importance pour la société dans laquelle il vit. C’est le début d’une prise de conscience nourrie par la colère. Ce film de Jimmy Laporal-Trésor, ayant démarré sa carrière à la Semaine de la Critique 2021, fait partie des 5 courts films nommés aux César dans la catégorie meilleur court-métrage de fiction.
À la veille de la cérémonie, Jimmy Laporal-Trésor nous parle de son parcours, de ses influences, de la nécessité de parler de certains sujets du cinéma aujourd’hui et de sa façon de travailler. Sont également convoqués dans cet entretien, ses co-scénaristes, son producteur et les interrogations qui l’anime.
Format Court : Quel a été ton parcours jusqu’à Soldat noir ?
Jimmy Laporal-Trésor : Je suis rentré dans le métier en tant que scénariste il y a une dizaine d’années sur un projet qui s’appelle La Cité rose et qui a eu son petit succès critique. Après, on a enchaîné avec Julien Abraham, le réalisateur, un deuxième film qui s’appelait Mon frère, qui est sorti en 2019. Entre les deux, j’ai monté une boîte de production avec un pote, Sébastien Birchler, qui s’appelait « Watchyourback ». En attendant que les projets se fassent, on avait envie d’expérimenter des choses. On a ainsi produit mon premier court, Le Baiser puis 2 autres courts (Boom Boom de Steve Tran, Libérable de David Ribeiro). L’idée, c’était vraiment de se faire plaisir et de ne pas attendre. Et puis, sur ma route j’ai rencontré Manuel Chiche, un peu avant que Mon frère sorte. Il m’a proposé d’écrire un film, un long-métrage qui s’appellerait Rascals. À la base, je ne devais pas forcément le réaliser. Il pensait qu’un premier film, d’époque, en costumes, avec de l’action, c’était peut-être un peu compliqué pour un jeune metteur en scène, ne serait-ce que pour rassurer les financiers. Au départ, ce n’était pas prévu. Et puis, au fil de la collaboration, il a changé d’avis, il m’a dit un jour : « non, c’est toi qui va faire le film, ça va peut-être être compliqué à financer, mais c’est toi qui va le faire et j’aimerais bien que tu refasses un court avant ». J’ai dit : « ok on y va ». Et ça a donné Soldat noir.
Que représente pour toi le court-métrage ?
JL-T : Le court-métrage, c’est vraiment quelque chose de très personnel. Je ne sais pas si tout le monde partage ça, mais pour moi, c’est vraiment un art à part entière. Souvent, je fais le lien avec les nouvelles et les romans. La nouvelle, c’est vraiment un courant littéraire à part entière. On ne peut lire que des nouvelles si on veut et prendre beaucoup de plaisir à en lire et ce n’est pas du tout la même chose que de lire un roman.
Je pense la même chose pour le court-métrage et le long-métrage. Je ne conçois pas le court métrage comme étant un passage obligé pour faire un long. Je le vois vraiment comme un champ d’expérimentation pour raconter un certain type d’histoires que l’on ne pourrait pas raconter dans un long. Pour raconter un film en court, il faut vraiment trouver une histoire qui peut se raconter vite, de manière un peu vive, un peu directe, un peu frontale même je dirais. C’est ça qui m’intéresse dans le court-métrage. Et effectivement, ça permet d’expérimenter des choses qu’on n’a pas forcément le loisir de faire en long-métrage parce que il n’y a pas les mêmes enjeux économiques, et donc pas la même pression. On a donc plus de place pour respirer. Ca ne me semble pas incompatible de faire des longs et arrêter les courts. Je pense que l’on peut faire les deux, passer de l’un à l’autre, selon ce qu’on a à dire.
Pourquoi était-ce nécessaire de raconter l’histoire de Soldat noir ?
JL-T : Tout au début, quand on a commencé à collaborer avec Manuel Chiche et mon équipe de co-scénaristes Sébastien Birchler et Virak Thun, on est arrivé avec une idée de série qui parlait de la jeunesse qui chassait les skins. Avec mes camarades, on est né à la fin des années 70. Dans le milieu et la fin des années 80, c’était vraiment la grande époque des skinheads qui faisaient un peu régner la terreur dans certains quartiers de Paris. Et il y a eu cette jeunesse qui s’était organisée en bande pour aller chasser le skin et sécuriser certains quartiers. Pour nous, c’était « nos grands » qui étaient concernés et qui faisaient l’objet de sujets de conversations qu’on avait dans la cour de récréation. On se racontait toutes les rumeurs, tous les faits divers qui s’étaient passés dans Paris. C’est un truc qui est resté dans ma tête pendant très longtemps et que j’ai oublié par la suite. Un jour, je suis tombé sur un livre de photos qui s’appelle « Viking et panthère » de Gilles-Elie Cohen. Un livre de photos, ça n’a rien à voir avec les chasseurs de skins mais ça montrait en fait les bandes du début des années 80. En feuilletant le bouquin, ça a ravivé ces souvenirs de gosse. C’est vrai qu’à l’époque, il y avait des bandes à Paris avec des mecs incroyables qui avaient des styles, qui faisaient peur. On ne pouvait pas aller à Châtelet, à République ou à Montparnasse. J’ai appelé mes potes et je leur ai proposé de raconter une histoire sur ce sujet. Quand on discute avec les gamins qui ont 20 ans, pour eux, ça n’a jamais existé et au mieux, ils nous prennent pour des mythos quand on leur en parle. Alors que pour moi, c’est la mémoire de Paris, ça raconte aussi un autre Paris qui n’était pas celui d’aujourd’hui qui est très propre. C’est un Paris qui était un peu crade dans certains quartiers, qui était aussi un peu un coupe-gorge parfois et j’avais envie de raconter ce Paris d’où l’on vient, notre patrimoine culturel et urbain. Du coup, on a commencé à écrire un projet de série qui a plu à Manuel Chiche. Et quand on a écrit le long-métrage, bizarrement, on est parti sur une autre histoire. Quand Manuel m’a demandé si je voulais faire un court, j’ai repensé à cette histoire de chasseurs de skins. Avec mes camarades, on avait justement une histoire qui permettait de raconter ça de manière concise, une ligne droite, un truc assez rugueux.
À travers le personnage de Hugues, qui est le personnage principal de ton film, est-ce qu’il y a une part autobiographique ? Qu’est-ce que tu as mis de toi dans ce projet ?
JL-T : Ce que j’ai mis de moi là-dedans, c’est ma colère. Celle de réaliser un jour que je n’étais pas considéré comme un citoyen à part entière. Ça m’est arrivé beaucoup plus tard que Hugues. Finalement, il est beaucoup plus précoce que moi car il l’apprend quand il a seulement 17 ans. Moi, je me suis mangé ça en pleine tronche quand je suis sorti du système scolaire. J’avais la chance d’être bon élève. Même si j’ai grandi dans un quartier populaire, j’ai vécu avec ma grand-mère, on était pas du tout riches, mais j’étais plutôt le mec du quartier qui disait qu’il ne fallait pas se plaindre, que si on voulait faire des choses, il fallait juste se bouger. Mes copains me disaient qu’en tant que noirs et arabes, c’était compliqué, je leur répondais que ça l’était parce qu’ils le voulaient bien. À l’école, ça se passait bien. J’étais en plus plutôt populaire parce que j’étais marrant, bon élève, sympa. On se référait toujours à moi avec des qualificatifs qui étaient plutôt plaisants, mais qui n’avaient jamais de rapport avec ma couleur de peau. Je sors du système scolaire avec ma maîtrise de communication et là je me rends compte que pour la société, la pigmentation de la peau à son importance. Et de fait, je tombe des nues parce que je n’ai jamais eu ça en tête. Je cherche un appartement, c’est compliqué. Trouvé un boulot, aussi. Je me retrouve à me faire contrôler par la police alors que je suis le genre de mec qui n’a jamais fait de conneries. Il y a des humiliations un peu au quotidien, comme ça. Et là, je me rends compte que je pensais qu’on avait des problèmes avec la police ou la société en général seulement si on se comportait mal. Si on se comportait bien normalement, c’est la même chose pour tout le monde. Quand je me suis rendu compte que c’était à cause de la couleur de ma peau, j’ai été en colère pendant très longtemps parce que j’ai vraiment vécu ça comme une injustice profonde. Ça a nourri le personnage de Hugues qui se rend compte de cette injustice.
Comment travailles-tu avec tes co-scénaristes ?
JL-T : Comme je te l’ai dit, à la base, je suis scénariste. J’ai appris le métier de la narration en passant par l’écriture. Je ne peux pas écrire une scène si je ne la vois pas. Même quand je n’’étais que scénariste pour La Cité rose et Mon frère, si je n’arrivais pas à visualiser les séquences, je ne pouvais pas les écrire. Ça, c’est un principe de base : déjà, à l’écriture, il y a des images qui se créent quand on lit le scénario. Je travaille avec Seb et Virak que je connais depuis longtemps. On a fait partie du même collectif à l’époque (« Renoash ») quand j’étais encore en maîtrise en cinéma. On faisait plein de courts-métrages, c’était un laboratoire de pleins de trucs, pas super bons (sourire), mais en tout cas, on a vraiment kiffé cette expérience, ça nous a appris pas mal de choses. Quand on écrit, quand on se raconte des scènes, on se demande ce qu’on va voir. Ça nous permet d’écrire un premier scénario qui est déjà une base commune. On écrit ce scénario a plusieurs mains. En général, je passe derrière une première fois. Après, on fonctionne étape par étape. On sépare les choses. Et après, je reprends toutes les parties pour qu’il y ait une espèce de cohérence littéraire dans le scénario. Là, je m’investis comme scénariste. Je suis juste scénariste comme mes camarades. Et après, seul, je découpe, je rafistole ce qu’on a écrit, je remodèle car il y a des choses qu’on écrit qui ont finalement du mal à fonctionner en termes de mise en scène. C’est le travail de réécriture que normalement tout réalisateur doit faire quand il s’approprie un scénario.
Est-ce que tu penses que le sujet de Soldat noir est peu ou pas assez représenté dans le cinéma aujourd’hui, notamment dans l’époque que tu filmes, celles des années 80 ?
JL-T : Ce type de film d’époque et même de film qui questionne le racisme et l’histoire de notre société confrontée au racisme, il y en a très peu en fait. Je suis en train de chercher des films qui traitent de ça sans toutefois passer par le prisme « banlieue/banlieusards » car Soldat noir ne parle pas du tout de ça, et je ne suis même pas sur qu’il y en ait. Mon film parle d’un gamin qui se rend compté que la couleur de peau a une importance pour la société.
Les Anglais, les Américains, même les Espagnols, n’ont pas de mal à faire des films qui questionnent leur histoire un peu plus sombre. Nous, à part à part la Seconde Guerre mondiale, on a du mal à parler de tout le reste. Je trouve ça dommage parce que finalement, c’est notre histoire. J’ai l’impression que quand on aborde ces sujets-là, il y a une espèce de suspicion. On suspecte les auteurs et les réalisateurs de ne pas aimer leur pays alors que non en fait, j’aime mon pays, j’en parle. Il n’y a pas de mauvais sujets. Quand on voit la société d’aujourd’hui, on se dit souvent que pour parler du présent, c’est bien de parler du passé. Ça nous permet de voir qu’il y a des erreurs à ne pas refaire. On est en plein dedans là avec la montée de l’extreme-droite et même la pensée de l’extrême-droite qui s’est plutôt normalisée. Parler des années 80 où il y avait une lutte antiraciste avec SOS Racisme ou même des choses plus rugueuse avec ces bandes qui s’organisaient dans la rue, c’est une façon de dire qu’à un moment donné, notre société refusait ça, ne voulait pas prendre la mauvaise direction. Et finalement, on n’a pas écouté, pas appris. Je me rappelle que quand j’étais petit, Jean-Marie Le Pen était diabolisé C’est un mec qui disait que les chambres à gaz étaient un détail de l’histoire et aujourd’hui, il y a des gens qui se permettent de dire des choses horribles et « c’est normal », personne n’apprend des leçons du passé.
Ça me questionne vraiment sur la société dans laquelle on vit. Ce n’est pas une question de couleur. On nous dit que le racisme, ça ne concerne que les Noirs, les Arabes et les asiatiques. Alors que le racisme c’est une vraie question, un vrai problème de société.C’est un problème, c’est un danger pour le vivre ensemble. On vit dans le même pays, c’est notre pays à nous, on vit tous ici avec nos origines. On participe tous à la même société. On parle tous la même langue et on est bien content aussi de goûter aux spécificités locales de chacun. C’est ce qui fait la richesse du pays et c’est ce qui a toujours crée la richesse de la France. Ça me fait peur d’entendre des gens dire : « Non, ce n’est pas ça la France ». Moi, vraiment, ça me questionne. Il suffit de regarder notre histoire. Dans toutes les strates de la société, que ce soit au niveau des artistes, des hommes politiques ou des grandes personnalités de notre histoire, il y a eu des gens de tous les horizons qui n’étaient pas forcément comme on dit des « français de souche ». Ce qui fait la grandeur de notre pays et on ne peut pas remettre ça en question. Pour paraphraser Fritz Lang, le cinéma rassemble les gens dans une même salle, la première chose qu’on a à faire, c’est de les divertir. C’est la moindre des choses : les gens payent leur place. Mais ce n’est pas parce que on fait ça, que derrière, on n’a pas la responsabilité d’essayer de nourrir leur esprit avec une nouvelle façon de voir la société, de poser des questions de fond sur la façon dont elle fonctionne et dysfonctionne. Le cinéma, c’est un outil très puissant parce que finalement, sans faire la morale, on peut poser des questions. Et c’est dommage de réduire le cinéma et d’avoir peur de poser des questions de fond.
Ça te fait quoi de te retrouver dans les cinq nommés aux Césars ?
JL-T : La première chose bien sûr, c’est que je suis fier, je suis super heureux. Ça c’est indéniable. Je me dis aussi que Soldat noir est un film particulier qui, à la base, a été compliqué à faire. Naïvement, au début quand on a commencé à le faire, je me suis dit que c’était un film sur l’antiracisme, qu’on pourrait le faire facilement. Ça n’a pas été si simple. Qu’on ait réussi à le faire le film, ça a été un miracle. Après la sélection à la Semaine de la critique, ça a été super. Et là, les César, symboliquement pour moi, c’est l’industrie qui te dit que l’on a besoin de ce type de films. C’est un vrai encouragement. On peut faire du cinéma autrement. Faire du cinéma, justement, qui interroge la société, qui pose des questions pertinentes, qui peuvent être des dérangeantes, mais qui sont essentielles pour tout simplement continuer à vivre dans le pays qu’on aime. On a une devise quand même très forte : « Liberté, égalité, fraternité » qui est souvent bafouée en ce moment. Pouvoir questionner notre société par rapport à cette devise à travers la fiction, je trouve que c’est très fort et que c’est essentiel. Cette nomination aux Cesar me donne l’impression qu’on me dit : « T’as raison, continue à le faire ».
Quel est la suite pour toi ?
JL-T : Déja Rascals qui sort le 23 novembre prochain. Là on finit le mixage. On espère être pris à Cannes. Ce serait bien. Ensuite, en parallèle, il y a l’adaptation de Soldat noir en série qui s’appellera Black Mamba qu’on est en train de developer avec Canal +. Là c’est pareil, c’est une nouvelle aventure qui commence : on commence à écrire. Enfin, je me remets à l’écriture de mon prochain film Mai 67 qui traite d’un fait divers qui s’est déroulé en Guadeloupe en mai 67. Des ouvriers en bâtiment étaient en grève. Ils demandaient juste à être augmentés. Ironie du sort : ils demandaient 2% d’augmentation. Ça a été refusé, ça a fini en bain de sang et après, ils ont obtenu 20% d’augmentation. La gendarmerie nationale a tiré sur eux alors qu’ils étaient des citoyens français. Il y a eu une centaine de morts, ça s’est fait dans le plus grand silence. C’est un oubli de l’histoire.
À quelques jours de la cérémonie des César 2022, Format Court vous propose de (re)découvrir (après un premier reportage publié il y a un mois dans lequel seul Le Départ de Saïd Hamich reste en lice) un florilège de jeunes talents que nous avons le plaisir de suivre et dont les courts-métrages singuliers, profonds et émouvants, font preuve d’une grande diversité aussi bien stylistique que thématique.
Avec Les Mauvais Garçons (entre temps récompensé du César 2022 du meilleur court, depuis notre article), Elie Girard, auteur de nombreux courts-métrages, également en développement d’un projet de long, signe un premier moyen-métrage à la fois vif et mélancolique, sentimental et contemplatif, ayant pour sujet l’amitié entre de jeunes hommes se connaissant depuis le lycée, et qui approchent de la trentaine.
Un soir de février, Victor, Guillaume et Cyprien courent pour échapper à une forte pluie et trouvent refuge dans un snack au coin de la rue. Le « Milles et une Nuits » est l’adresse de leurs rendez-vous hebdomadaires, et ce soir comme tous les autres, ils s’attablent autour d’une bière et de plusieurs barquettes de frites. Tel un petit cocon chaleureux aux papiers peints oranges, ce lieu se rappelle de toutes les joies, malheurs et secrets confiés par notre trio d’habitués. Cet effet d’enfermement non-claustrophobique, très agréable au contraire, est subtilement rendu grâce aux plans filmés depuis l’extérieur à travers la vitrine. La caméra d’Elie Girard magnifie les clairs-obscurs de la ville nocturne, créant des beaux plans, qui rappellent par l’utilisation des couleurs l’ambiance conviviale du café de My Blueberry Nights de Wong Kar-Wai.
Sortant de son sac trempé une bouteille de champagne, Victor (Jonas Bloquet) annonce joyeusement la nouvelle à ses amis : sa compagne et lui-même vont bientôt devenir parents. Dès lors, leur équipe n’est plus au complet : le futur papa ne se rend plus au snack ni pour regarder un match de NBA, ni pour amener ses amis à la crémaillère de son propre cousin, malgré ses promesses. Guillaume (Raphaël Quenard) et Cyprien (Aurélien Gabrielli) se retrouvent alors dans un même bateau de célibataires. Durant leurs conversations, outre les regrets, les questionnements, les taquineries et les réévaluations, surgit une prise de conscience face à l’arrivée prochaine d’un bébé : les voilà maintenant, devenus des véritables adultes. Ils ont des choses à se dire, parfois difficiles, mais qu’ils devront assumer, car c’est là l’essence de toute amitié qui se cultive. Le moyen-métrage capte les dialogues nourris d’aisance frappante, sans jamais paraître bavard. Les acteurs Raphaël Quenard et Aurélien Gabrielli rendent palpable le lien fort qui unit leurs personnages, avec une interprétation tendre et sincère, dans un scénario qui évite soigneusement les clichés éculés du genre du buddy movie.
Avec Des Gens Bien, le réalisateur Maxime Roy (dont le premier long-métrage, Les Héroïques, est sorti en salle en octobre dernier), réussit un drame intimiste et charmant, tissé de réalisme. Diffusé à notre Festival Format Court 2021, le film raconte l’histoire de Manon (Clara Ponsot) enceinte de 8 mois, qui se débat au milieu des problèmes financiers, administratifs et familiaux. Ceux-ci pèsent lourd sur sa santé morale. Contre toutes recommandations qu’on fait généralement aux femmes enceintes, elle vit dans un monde où la tranquillité semble inatteignable. Les tribulations se succèdent sans lui accorder le moindre répit : Pôle emploi conteste le virement qu’elle vient de recevoir, son grand-père est sur le point de mourir, sa relation avec Ludo, le futur papa (interprété par Maxime Roy lui-même), est soumise à l’épreuve des difficultés financières. Arriveront-ils tous deux à résister au stress et à l’anxiété face à ces événements alors que la naissance de l’enfant se rapproche de jour en jour ? Contre toute attente, la fin du film laisse le spectateur dans l’expectative, mais laisse planer l’espoir. Co-écrit avec Clara Ponsot, elle-même criante de vérité dans le rôle de Manon, Des Gens Bien joue avec nos émotions, entre empathie, inquiétude et tendresse.
L’Age tendre, réalisé par Julien Gaspar-Oliveri raconte l’histoire de Diane, 16 ans, une ado typique, qui cherche à s’émanciper au plus vite et explore les possibles dans l’excès et la provocation, en quête d’identité et de féminité. Son quotidien, entre la maison et le lycée, se remplit d’expériences nouvelles : les premiers flirts, une grosse soirée de camarades de classe, la peur face au sentiment étrange de l’éveil du désir. Bien que souvent livrée à elle-même, la jeune fille vit une relation fusionnelle avec sa mère, célibataire permissive et désinvolte, qui ne pose aucune limite. Si l’une préfère au rôle maternel celui de sa sœur ainée ou de copine et cultive leur ressemblance, l’autre cherche, au contraire, à se démarquer en colorant pour la première fois ses cheveux bruns en blond.
La couleur est ratée, métaphore évidente de la tentative d’émancipation encore trop précoce. Lorsque dans la scène finale, on voit Diane en pleurs se réconforter sur les genoux de sa mère, son portrait se complète d’une façon logique. Derrière la tenue vulgaire et les talons à paillettes, se cache une petite fille fragile en manque d’affection maternelle.
La jeune actrice Noée Abita (nommée pour le César 2022 du Meilleur Espoir Féminin, pour Slalom de Charlène Favier) parvient à exprimer avec justesse les frustrations et les tournements qu’accompagnent cet âge tendre, et même frivole, pourtant marqué par l’aquisition de nouveaux rôles et responsabilités. Bien que cette thématique soit suffisamment explorée par le cinéma français, son interprétation solaire inspire autant de l’énergie dans ce teen movie, qu’on aurait voulu voir les mêmes pistes scénaristiques posées dans un format plus long.
Dans son court-métrage d’animationEmpty Places, Geoffroy de Crécy crée un monde imaginaire coloré, où les lieux comme les aéroports, les supermarchés, les bureaux, les restaurants et piscines, se retrouvent totalement vidés d’êtres humains. Le spectateur est exposé à travers une série de plans statiques, au ballet hypnotique des machines qui tournent en rond, tout comme le disque de La Sonate au clair de lune de Beethoven qui fournit la musique diégétique. Cette bande sonore vise à renforcer le sentiment de pensivité mélancolique, induite par les images animées et par un mouvement répétitif produit par les machines (imprimantes, escalators, arroseurs automatiques, tapis roulants …). Le temps semble s’étirer à l’infini pris au piège dans l’attente de quelque chose qui briserait enfin cette monotonie. Réalisé peu de temps avant le confinement, Empty Places acquiert une résonance particulière dans le contexte de la pandémie, et prédit, en quelques sortes, une nouvelle réalité.
Ces lieux « de passage » qu’on n’a jamais eu l’habitude de voir déserts, Geoffroy de Crécy les conçoit aussi en référence au peintre étasunien Edward Hopper. Ce dernier avait également un attrait particulier pour les espaces identifiés par l’anthropologue Marc Augé comme « des non-lieux », avec une absence de repères spatio-temporels, qui n’appellent pas à y rester indéfiniment.
Empty Places fait se succéder des machines privées des humains et prisonnières de leurs mouvements perpétuels. Derrière une aussi simple idée, se découvre un propos richement universel : le film cherche à mettre en valeur un mouvement utopique, qui touche du doigt l’idée de la mort. Le même cercle sans fin mortifère qu’étudiait en son temps le road movie classique hollywoodien.
Réalisé par Sandrine Stoïanov et Jean-Charles Finck, Le Monde en soiest un court-métrage d’animation bouleversant, traitant de l’hypersensibilité de l’artiste. L’héroïne principale est une jeune peintre montmartroise qui prépare sa première exposition. Face à cet évènement important, tiraillée entre la nécessité de travailler dans l’intimité de son imaginaire et celle de ressortir dans la rue pour prendre les transports bondés, elle n’arrive plus à maîtriser le stress, la fatigue, l’exigence excessive envers soi-même, la peur de la page blanche … Les hallucinations inspirées par ses propres dessins surviennent et commencent à dominer son esprit fragile. Le dessin tout en aquarelles nous immerge pleinement dans la perception et les sensations de l’artiste et de son quotidien en pleine tempête : aux fragments de vie chaotique, se mêlent de soudains épisodes de lévitation. Doublement engloutie, aussi bien par une foule réelle que par un flot de couleurs, l’artiste est accompagnée par son alter ego, sous la forme d’une figure féminine dénudée, à la beauté parfaite. Le film donne lieu à une image très frappante, et une mise à nu de l’âme d’artiste.
Hospitalisée, la jeune femme est plongée dans un profond désarroi, indiqué par l’absence de couleurs chez elle, comme dans le décor blanc et stérile de sa chambre. Mais après avoir reçu une boîte à couleurs d’un patient anonyme, elle commence, grâce à l’objet à la fois dangereux et salvateur, à reprendre vie. La crise cède la place à la créativité. Le Monde en soi est une œuvre émotionnellement saturée, car décidément très personnelle, qui explore les puissances et les faiblesses d’un cerveau captivé par un talent extraordinaire.
Il y a quelques jours, nous vous parlions des 3 films en lice pour le Prix du Meilleur film de court métrage 2021, établi par le Jury court-métrage, composé de journalistes et membres du Syndicat Français de la Critique de Cinéma (SFCC).
Hier soir, à la Cinémathèque française, ce Jury, composé de Valérie Ganne, Pascal Le Duff, Francis Gavelle, Grégory Marouzé et Katia Bayer, Présidente du Jury (et créatrice de Format Court), a annoncé le lauréat : il s’agit de Nicolae réalisé par le cinéaste roumain Mihai Grecu et produit par Barberousse Films. Le Jury a souhaité récompenser « un film sur un retour. Le film primé est un moyen-métrage abordant la question du souvenir, un film mélangeant technologies, humour et bocaux à cornichons. Un film qui questionne la démocratie au moyen du virtuel » a évoqué Katia Bayer avant d’attribuer le prix au cinéaste et à son producteur. Mihai Grecu avait déjà intéressé notre site par le passé à travers plusieurs courts : The Reflection of Power, We’ll become oil et Centipède Sun.
En lice pour le César du premier film, La Nuée de Just Philippot est une œuvre ambitieuse, hybride, à la frontière des genres. Nous vous proposons de redécouvrir le film à travers le coffret DVD et Blu-Ray récemment édité par la société Capricci, agrémenté de bonus, de scènes coupées, des interviews de l’équipe de réalisation, des effets spéciaux et de deux précédents courts-métrages du réalisateur. Nous vous offrons même 3 exemplaires de ce coffret pour les plus rapides.
Il y a déjà sept ans, Just Philippot dévoilait Ses Souffles, court-métrage dans lequel nous suivions les rêves de Lizon, coincée entre les quatre portes de sa maison – la voiture de sa mère – et Karine, une mère éreintée, qui peinait à joindre les deux bouts. En 2018, le réalisateur nous étonnait avec son troisième court-métrage Acide, où la tension et les maux d’un territoire périclitant sous un nuage toxique nous étaient propulsés en pleine figure en moins de vingt minutes.
Pour son premier long-métrage, il se montre plus réservé dans l’horreur, préférant un naturalisme légèrement mâtiné de fantastique au service d’une diégèse vraisemblable pour défendre un propos de société. Cette œuvre hybride portée par des acteur.rice.s habiles – Suliane Brahim et Marie Narbonne en tête – étonnera les curieux par sa forme sans convaincre totalement les aficionados du genre horrifique et gore.
Initié par un appel à projets porté par le CNC pour peu ou prou renouveler le film de genre en France, le film de Just Philippot estampillé Semaine de la Critique 2020 esquisse le portrait d’une armada de sauterelles sanguinaires sans jamais se laisser porter ou déstabiliser par les impératifs du genre.
La Nuée est un projet cinématographique pluriel défendu par une équipe de scénaristes, Jérôme Genevray et Franck Victor, d’un réalisateur Just Philippot, d’Antoine Moulineau et Pierre-Olivier Persin, l’un est un talentueux superviseur des effets visuels dont le talent s’exporte à l’international – The Dark Knight, Avatar – et l’autre un esthète des effets spéciaux de maquillage. S’ajoutent deux producteurs ambitieux, Thierry Lounas – Capricci – et Manuel Chiche – The Jokers – pour relater l’abnégation toute personnelle d’une mère qui tente de ne pas faire faillite sur fond de thriller fantastique.
Laura (Marie Narbonne) et Gaston (Raphaël Romand) grandissent dans une ferme isolée avec leur mère célibataire Virginie (Suliane Brahim) – les contours de la disparition du père au milieu de ses chèvres n’étant jamais clairement évoqués -, persuadée que les sauterelles comestibles représentent l’avenir face à la catastrophe alimentaire des prochaines décennies. Réduites en farine ou grillées et aromatisées, leur richesse nutritive est sans égale et leur exploitation économe en eau finit de la convaincre de la pertinence d’un dessein auquel personne ne croit.
La réalité économique la rattrape rapidement, le prix d’achat de sa farine est constamment revu à la baisse par ses acheteurs tandis que ses rendements sont trop faibles et ne peuvent coller aux attentes d’un marché ultralibéral. De plus, les sauterelles ne semblent pas décidées à se reproduire, elles meurent prématurément, l’exploitation va alors de mal en pis. Prise d’un accès de rage suite à une énième humiliation auprès d’un acquéreur, Virginie envisage de détruire la serre où grandissent les insectes et se blesse avant de perdre connaissance. Lorsqu’elle revient à elle, les insectes paraissent se délecter de son sang. À cet instant commence pour la protagoniste une lente descente aux enfers dans un asservissement charnel et insensé qui mettra sa famille en danger.
Le trio familial entretient des relations contrastées avec les orthoptères ; l’aînée les exècre, déteste cette vie faite de sacrifices, de rafistolages, un mode de vie alternatif où la marge se veut normalité et dans lequel ses camarades se jouent d’elle et des choix de sa mère. Gaston, lui, adopte une attitude plus nuancée et montre un réel intérêt pour ces bêtes qu’il scrute avec minutie au travers de son vivarium.
Difficile d’apposer un épithète sur la relation de Virginie aux sauterelles, ni passionnée ni opportuniste, elle y voit seulement le moyen écologique de préserver la planète et de nourrir le monde de demain. Elle se trompe, au lieu de ça elle contribuera – à une échelle très minime – à le détruire par la menace qu’elle fomente malgré elle.
L’un des points forts du long-métrage est d’entretenir tout du long l’ambiguïté sur la menace planante, de son origine à son incarnation. D’où vient-elle ? S’incarne-t-elle sous les traits de Virginie qui donne corps et sang à ses sauterelles ?
L’appétit des sauterelles pour le sang existe en dehors des limites du récit et c’est Virginie qui le découvre et le perpétue. La protagoniste devient-elle pour autant monstrueuse ? Non, c’est avant tout une femme dépassée, abîmée par les responsabilités et la quête de l’amortissement. Finalement son seul but est de répondre aux besoins de sa famille en alimentant les penchants féroces de son exploitation agricole, un cycle qui ne pourra prendre fin que dans la violence et la destruction. L’horreur tient ici sa place dans le sujet invoqué, elle est économique, sociale, et prend le pas sur le déroulé cinématographique tant le scénario reste plausible et endosse les atours d’une réalité déconcertante. La crédibilité du scénario renforce l’horreur de la situation et nous amène à repenser le flegme de ces petits animaux chantants.
Jamais le réalisateur ne prend le parti du gore ou de l’horrifique et se détourne ainsi du film de genre généralement admis – il n’a rien d’un film d’exploitation mais s’épanouit plutôt dans un doux équilibre entre le fantastique vraisemblable et le naturalisme. La nuée est effrayante par sa multitude, son nombre mais aussi par sa sonorité imposante – à ce titre les bourdonnements croissants des sauterelles lorsqu’approche une victime et leur enracinement dans le paysage sonore de la ferme sont remarquables par leur intensité et leur justesse – mais pas par son individualité. Seule, la sauterelle – ou plus exactement le criquet migrateur casté pour le film – même en gros plan, ne revêt pas un caractère monstrueux mais plutôt fascinant, elle s’impose par une présence amplifiée mais rappelle au spectateur que seule elle est toujours inoffensive.
Si les intentions sont louables et plutôt bonnes, l’on regrette parfois le manque de profondeur de certains arcs narratifs comme la relation avec Karim – Sofian Khammes, excellent acteur aperçu dans Acide – ou encore la scène à la plage qui en substance n’apportent que peu de corps au récit. Mais l’on retiendra surtout une remarquable première œuvre, un réalisateur à l’écoute de ses personnages et de ses acteurs et l’on ne peut que se réjouir de le voir s’atteler à la préparation actuelle de son second long-métrage qui n’est autre que le développement d’Acide.
Léa Vezzosi
La Nuée de Just Philippot : combo Blu-ray + DVD. Edition Capprici. Film et bonus : courts Ses souffles et Acide, commentaire audio de l’équipe du film, présentation des films par Just Philippot, effets spéciaux expliqués par Antoine Moulineau, entretien croisé entre Christophe Lavelle (CNRS) et Just Philippot, entretien avec Jérôme Genevray et Franck Victor, scènes coupées et commentées, storyboard du film par Giuseppe Liotti
Le Départ de Saïd Hamich fait partie des 5 films nommés au César du meilleur court-métrage 2022. Cette chronique ultra maîtrisée relatant le départ d’un enfant (Adil, 11 ans), déchiré entre sa terre natale, le Maroc, et son nouveau pays, la France, avait remporté un prix d’interprétation pour son jeune acteur (Ayam Rachdane) et une Mention spéciale pour l’ensemble des acteurs du film lors de notre Festival Format Court (novembre 2021, Paris). Le film sera à nouveau diffusé le 7 avril prochain à l’occasion de la reprise de notre palmarès au Studio des Ursulines.
A quelques jours de la cérémonie des César, Saïd Hamich revient sur son premier film (Retour à Bollène, un long) et son premier métier, producteur, totalement compatible avec celui de réalisateur. Il est également question dans cet entretien d’expérimentation, de registres, d’intuition, de confiance mutuelle et de regards portés vers le long-métrage.
Format Court : Qu’est-ce qui t’a incité à te lancer dans la production et créer une boîte de production alors que tu étais encore à la Fémis ?
Saïd Hamich : A la Fémis, la plupart des producteurs qu’on rencontre sont souvent très installés. Ce sont des grands producteurs et des grandes productrices. Le modèle est un peu écrasant, mais souvent, les producteurs qu’on y rencontre sont des entrepreneurs : ce sont des gens qui ont monté leur boîte. Je pense qu’inconsciemment, le modèle de monter sa boîte et de produire du cinéma indépendant est majoritaire. Après moi, j’ai monté ma boîte (Barney Production) de manière un peu inconsciente, mais de manière très intuitive. Je voulais vraiment faire ça. Je l’ai montée quand j’étais encore à l’école. A la Fémis, on a une chance inouïe et on ne s’en rend compte que bien après : un producteur n’existe que par les réalisateurs et les réalisatrices qu’il produits. On ne se rend pas compte de la chance qu’on a d’appartenir à une génération qui nous permet de nous lancer. Il ne s’agit pas forcément de gens qu’on va produire toute notre vie, mais bien de gens qui nous permettent de faire le premier pas. Moi, j’ai commencé par produire Leyla Bouzid, Xavier Sirven, Vincent Tricon, Kamal Lazraq. Ce ne sont que des gens de ma promotion. C’est par eux que je me suis retrouvé à produire d’autres personnes. J’ai produit quatre films de Vincent Tricon, deux films de Xavier Sirven, deux films de Kamal Lazraq. Là, je produis son long, je développe le premier long de Vincent Tricon, donc il y a une espèce de continuité.
Dans ton parcours, tu as commencé par réaliser un long, Retour à Bollène, et puis, tu es passé au court-métrage. C’est bien dur de démarrer par un long-métrage et de faire un court après. C’est lié à quoi ?
S.H. : Le fait de réaliser a été une nécessité. Un an avant Retour à Bollène, je ne savais même pas que je voulais faire ce film. J’ai grandi dans cette ville. J’y ai passé quatre ans charnière de ma vie pendant l’adolescence. Je n’ai pas eu d’adolescence malheureuse mais j’ai vraiment eu de la rancœur vis-à-vis de cette ville. Quand ma mère a décidé de partir de Bollène, c’était plutôt une bonne nouvelle puisque pour moi, c’est une ville que j’avais associé à une forme de racisme ordinaire, de pauvreté de la communauté maghrébine, du chômage, de la ghettoïsation de plein d’endroits. Du coup, j’étais plutôt content qu’elle s’en aille vivre dans une ville un peu plus grande. Et pourtant, cette nouvelle m’a mis dans une forme de mélancolie un peu bizarre, de tristesse, de nostalgie très, très forte. Le film est venu de là. Comment une ville qu’on rejette peut en même temps représenter une telle identité ? Ce discours plutôt intime sur l’immigration, sur l’identité, j’avais l’impression de ne pas beaucoup le voir. La banlieue, je la voyais plutôt associée à de l’action, à des gangs, à du trafic de drogue, à des choses très rythmées. Je manquais d’une représentation d’un film de banlieue intime avec une déchirure, des silences, des non-dits. Retour à Bollène est né vraiment de cette urgence. J’ai écrit le film très vite. Il s’est tourné très rapidement et ensuite, la durée de ce film s’est imposée. A force de travailler la matière, on est arrivé à 1h7. Le film est sorti en salle avec Pyramide, j’étais plutôt content de l’avoir fait.
Après, je me suis demandé si je voulais continuer à réaliser ou pas. Je me suis posé la question après ce premier film. Je me suis dit que j’allais faire comme tout le monde. J’ai fait un court-métrage financé avec Arte, le CNC, .… A la Fémis, pendant les cours de production, on avait beaucoup de cours de scénario et j’avais un peu commencé à travailler sur cette idée du Départ qui est né d’une scène autobiographique. C’est un film personnel, mais pas autobiographique. La scène finale de l’enfant qui quitte le Maroc est une scène autobiographique : j’avais quitté le Maroc à 11 ans. Progressivement, j’ai écrit le film mais il s’est fait plus dans la réflexion et moins dans l’urgence que dans Retour à Bollène. La question de la durée du Départ est venue après, toute seule au montage.
Quelles qualités associes-tu au court ?
S.H. : Il y a une qualité qui est, pour moi, principale et énorme : c’est celle de l’expérimentation. L’économie du court en France est une chance inouïe de financer de manière structurelle un système de production de courts-métrages, en se basant quasi exclusivement sur des critères artistiques et d’expérimentation. Et nous, en tant que producteurs, on bénéficie aussi de l’aide aux programmes. On peut encore, au-delà des critères sélectifs des commissions, miser sur tel ou tel projet. Sukar, le film de Ilias El Faris, s’est monté par exemple avec l’aide aux programmes. Du coup, c’est un film de dix minutes où il n’y a pas de narration. La vraie force du court métrage, c’est d’expérimenter, de ne pas être contraint par des choix économiques de casting, de ne pas être trop gêné par des questions de durée. Les courts se font aussi avec des économies restreintes, grâce aux contributions des techniciens et des comédiens. Ce n’est pas quelque chose qu’il faut minimiser : les techniciens et les comédiens qui participent aux courts-métrages font un sacrifice énorme. C’est tellement libre dans la pratique que pour moi, c’est une chance inouïe. Par exemple Bab Sebta de Randa Maroufi est un film quasi expérimental dans un hangar sur une reconstitution documentaire d’un lieu, Vincent Tricon réalise un film de montage dans un premier temps, puis Sami La Fugue qui est une fiction vraiment très ancrée dans le réel. On a fait quatre courts métrages ensemble et il expérimente encore des choses, il se cherche. C’est passionnant de suivre ces réalisateurs et de voir comment une personne passe d’un registre à l’autre. On était à la Fémis ensemble, on a fait plusieurs métrages ensemble. Mine de rien, ce n’est pas pareil que de rater un court qu’un long, ça donne plus de liberté, ça a moins d’incidence économique. En réalité, le financement se fait quasi exclusivement sur des critères artistiques.
Est-ce que tu cherches encore des auteurs ou tu te concentres-tu sur les auteurs que tu suis déjà ?
S.H. : Déjà, je ne produis pas seul le court métrage, je travaille avec Sophie Penson. On choisit ensemble. Après, elle gère l’exécutif de la fabrication des courts. C’est la boîte au Maroc ( (Mont Fleuri Production) qui gère l’exécutif des courts au Maroc. Après moi, pour être honnête, j’ai moins de désir sur le court-métrage classique, parce que j’accompagne aussi les réalisateurs sur le long. En fait, je suis presque plus demandeur d’expérimentation que les projets que je reçois. J’essaye vraiment d’aller chercher des courts-métrages atypiques . Ce qui m’intéresse, ce ne sont pas des mini histoires mais des signatures, des réalisateurs et des réalisatrices.
Ça se trouve où ?
S.H. : Je crois que la production se résume quasi exclusivement à l’intuition des personnes. C’est mon approche. Il faut rencontrer les gens et sentir, repérer leur vivacité, leur intelligence. Je produis des gens, je ne produis pas des produits.
Comment perçois-tu cette nomination aux César ?
S.H. : Une sélection, ça fait toujours plaisir (rires). Le Départ a très bien marché, on a fait plus de 100 festivals, il a eu plus de 25 prix. Ça peut être un peu présomptueux, mais je suis content par rapport au film que j’ai fait. Comme c’est aussi très personnel, j’avais besoin de le trouver juste. Du coup, je suis très content de l’expérience. Après, les César, c’est un peu la cerise sur le gâteau. C’est super que les gens l’aient vu, que le comité de présélection l’ait mis dans les 24 films du premier tour, que les votants l’aient gardé dans les 5 nommé.
(…) J’ai envie de continuer à produire et réaliser. La production, c’est vraiment quelque chose que j’ai envie, que j’adore. J’ai monté ma boîte quand j’étais à l’école, ça fait déjà dix ans qu’elle existe et que je suis un producteur à plein temps. En termes de réalisation, il faut que les projets s’imposent à moi. Là, j’ai un projet de long que je voudrais faire. Ça traite toujours de la question de l’exil, cette fois à Marseille dans les années 90, autour de la musique, du raï. C’est un projet qui, tant dans le fond que la forme, me tient à cœur et que je porte depuis longtemps.
Est ce que t’as l’impression que les choses vont mieux pour le court depuis quelques années ?
S.H. : Franchement, je ne sais pas si c’est mieux ou pas. En tout cas, j’ai l’impression que la profession s’est vraiment structurée. Il y a de plus en plus de boîtes de production qui font du long mais qui poursuivent dans le court aussi. Il suffit de voir une société comme Kazak Productions qui gagne une Palme d’or et qui continue encore dans le court. J’ai l’impression de voir chaque année de vrais pros, des courts qui émergent avec une vraie proposition formelle. Là, cette année, je pense par exemple à Dustin de Naïla Guiguet qui incompréhensiblement n’est pas nommé aux César alors que c’est quand même un Grand Prix à Toronto. C’est un film que je trouve assez dingue. Je ne sais pas si c’est un film qui se finance sur du long, mais la proposition en tant que court me satisfait.
C’est un film que tu aurais pu produire, par exemple ?
S.H. : C’est un film que j’aurais aimé produire (rires) mais il a été très bien produit.
J’ai deux questions. Qu’est-ce qui t’a donné envie de produire au Maroc ? Et c’est quoi un film bien produit ?
S.H. : J’ai commencé à produire au Maroc parce que je cherchais un partenaire pour le deuxième court-métrage de Kamal Lazraq, avec qui j’avais fait un moyen métrage, Drari, son film de fin d’études de la Fémis qui avait bien marché (le film avait été primé à la Cinéfondation et avait gagné le Grand Prix à Belfort). Quand on a voulu faire son court-métrage L’homme au chien, on n’a pas trouvé de partenaire qui était vraiment sensible à l’économie du court-métrage tel que nous, on l’envisageait. On ne voulait pas faire un court-métrage en deux jours, rapidement, avec les moyens du bord. On avait vraiment en tête un court métrage ambitieux. Du coup, j’ai monté une boîte de production là-bas (Mont Fleuri Production). On a tourné pendant 10 nuits avec un vrai temps de casting. C’est comme ça que je me suis retrouvé à produire d’abord ce court-métrage, puis à être le producteur exécutif de Hope de Boris Lojkine et de Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore. Je me suis retrouvé à faire de la production exécutive et à produire du cinéma marocain sur place. Dans le cinéma marocain, en tout cas en termes de longs-métrages, il y a des auteurs et même une nouvelle génération : Sofia Alaoui, Yasmine Benkiran ou encore Kamal dont je parlais. Mais en courts-métrages professionnels, ça reste quand même soit des films d’école soit des films assez modestes dans leur économie.
Sinon, un film bien produit, ça, c’est une question ! Il y a trop de données. Est-ce que c’est bien financé ? Bien fabriqué ? Des fois, on peut faire un film pas très bien fabriqué, pas très bien financé, mais on a eu une intuition de départ avec le film…C’est triste pour les producteurs, mais un film bien produit, c’est un bon film.
L’auto-production, on la perçoit comment quand on fait de la production ?
S.H. : Comme en France, il y a ce système d’étiquettes, je pense que ce n’est pas très bien vu de se produire soi-même. Après, je comprends l’idée que quand on réalise un film, c’est bien d’avoir un partenaire qui a du recul. Personnellement, je ne produis pas seul mes films. Le Départ, c’est Sophie qui l’a produit intégralement. Bien évidemment, j’ai des notions de production. Je ne suis pas un réalisateur qui ne sait rien de la production. Je ne peux pas mettre de côté mon cerveau de producteur quand je fais un film. J’ai fait du cinéma parce que j’aimais le cinéma. J’ai fait une école d’art, je n’ai pas fait une école de commerce. Mon rapport à la production est en rapport avec la mise en scène. Après, ce n’est pas un monde de bisounours : il faut avoir des considérations économiques. Mais je fais du cinéma pour le cinéma, pas pour autre chose. Après moi, j’aime bien l’idée que sur mes films, il y ait quelqu’un d’autre avec qui j’échange. Sur le projet de long à Marseille, dans les années 90, on rencontre des coproducteurs. On va certainement le co-produire parce que c’est un film un peu plus ambitieux et qui demande encore plus de recul. L’idée après tout, c’est que la production soit un outil au service du film.
Dernier film de la réalisatrice française Alice Diop, Nous dresse une observation profonde, tendre et bienveillante des banlieues qu’elle suit dans la plupart de ses films. Nous, produit par Athénaïse et distribué par New Story, sort ce mercredi 16 février. Format Court accompagne la sortie de ce film documentaire singulier et humaniste qui, 5 ans après Vers la tendresse, récompensé du César du meilleur court-métrage 2017, nous amène à nous éloigner de tout stéréotype et montre des réalités plurielles.
Les clichés sur les banlieues françaises ont la peau dure. La cinéma a d’ailleurs tendance à jouer avec une image vive, insaisissable et souvent tumultueuse. Alice Diop nous offre une vision opposée : lente, contemplative et intime à travers plusieurs personnages qu’elle suit dans le documentaire.
C’est l’histoire d’un garagiste sans-papiers. Ce sont quelques extraits vidéos – seules “traces” qu’il reste – de la mère d’Alice. C’est le récit de l’arrivée de son père en France, de la vie qu’il y a construite. Ce sont les histoires des personnes qui ont déposé leurs valises dans le 93, et dans tous les départements en périphérie de Paris, venant d’Afrique, d’Italie ou de Bretagne. C’est l’histoire d’un voyage qui ne s’arrête jamais vraiment et qui survit à travers le temps. C’est le portrait véritable d’un France simple, « normale » et altruiste; qui se démène autant qu’elle peut pour mener une vie correcte, malgré de nombreuses peines et aléas. C’est aussi le portrait d’une banlieue plus boisée, plus aisée, qui semble pourtant aussi paisible que cruelle.
Néanmoins, Alice Diop ne porte de jugement sur aucune de ces histoires. Elle raconte par l’intermédiaire de ces personnages son voyage personnel à travers cette banlieue qui l’a vue grandir, et qu’elle a – en reprenant ses mots – appris à aimer.
« Vers la tendresse »
Les procédés cinématographiques auxquels elle a recours sonnent comme un écho à son précédent moyen-métrage Vers la tendresse, dans lequel elle questionne des jeunes hommes des “banlieues” sur leurs rapports au sexe et à l’amour. Plans fixes et voix off qui laissent défiler l’histoire, alternance de gros plans et de plans larges font naître une certaine proximité. Dans ces deux films, elle semble vouloir à la fois montrer l’environnement de vie et s’en débarrasser, pour que le spectateur se concentre uniquement sur les individus et leurs histoires personnelles. Elle installe un cadre qui laisse place à l’empathie, la compréhension et à la justesse des propos.
La voix off s’inscrit dans une sorte de pudeur et d’intimité. Comme si l’on regardait un carnet de voyage ou un album de famille en présence de nos êtres chers. On partage des souvenirs, des lettres, des appels comme si nous étions avec eux et elles dans la salle, comme si ces personnes se confiaient à nous et que nous prenions totalement part à la scène que nous étions en train d’observer. Nous partageons leurs émotions, nous faisons le point sur notre propre vie et sur les personnes qui nous entourent. “Nous”, c’est finalement les confessions et les récits de vécus qui ne nous concernent pas forcément mais dont nous finissons par nous sentir irrémédiablement proches.
Dans Nous, Alice Diop laisse le temps aux silences et aux plans fixes vides d’action sur les paysages ferroviaires, les parcs, les parkings, les barres d’immeubles… Par ce temps long, la réalisatrice semble nous inviter à observer et à cultiver un regard nouveau. Il y a très peu de repères géographiques, très peu de repères temporels mentionnés dans son film. Ce sont bien souvent des clins d’œil. Comme si les villes et les quartiers n’avaient pas d’importance. Alice Diop s’attarde sur les vies qui les peuplent, les vies qui sont souvent invisibilisées. Son film s’articule autour de la même envie que celle de François Maspéro, l’auteur du livre “Les passagers du Roissy-Express » à qui elle dédie ce film : valoriser les êtres dans leur quotidien avec leurs rêves, leurs espoirs et surtout leur présent.
Avec beaucoup de douceur et de poésie, Nous nous amène à redécouvrir l’histoire de ces zones périurbaines, qui se sont beaucoup modifiées, par l’intermédiaire les témoignages poignants de leurs habitants. La caméra se rapproche d’eux comme pour laisser la trace de leurs vies et faire les faire perdurer au-delà de la périphérie. Ils deviennent centraux.
En sortant du visionnage de ce documentaire, il y a un questionnement constant qui s’installe sur le rapport à la vie, le questionnement de notre “réalité”. Si vous allez le voir en salles à sa sortie le mercredi 16 février, faites le test. Asseyez-vous seul à la terrasse d’un café, questionner la vie des gens qui vous entourent, aller au-delà de votre premier jugement. Qui sont-ils ? Quelle est leur histoire ? Que vivent-ils ? Vous verrez, c’est perturbant.
Et c’est sans doute pour cela qu’à Format Court on aime tellement les films d’Alice Diop. Grâce à une esthétique singulière et des partis-pris affirmés, elle nous amène là où ne nous nous n’attendons pas nous-même : proche des autres, dans l’espoir de fonder un avenir « véritablement » commun.
Synopsis : Shana cherche du travail, elle a besoin d’argent pour quitter la France et ses mauvaises fréquentations. Mais le passé qu’elle cherche à oublier n’est jamais loin. Et d’ailleurs, veut-elle vraiment l’oublier ?
Genre : Fiction
Durée : 41′
Pays : France
Année : 2021
Réalisation : Lila Pinell
Scénario : Lila Pinell
Image : Victor Zebo
Son : Emma Augier
Montage : Emma Augier
Interprétation : Eva Huault, Jacky Abdillah, Sarah Djourou, Anaïs Hamache, Charlène Aline
Dans ce moyen-métrage, Lila Pinell, lauréate du Prix Jean Vigo 2021, du Prix étudiant et du Grand Prix national de Clermont 2022, dépeint le portrait d’une jeune femme en pleine émancipation face aux tumultes de la réalité. Dans les banlieues parisiennes, en proie à de mauvaises fréquentations et à une certaine inconscience du danger, Shana (Eva Huault) tente de trouver du travail et de prétendre à de plus grands projets.
Le cadrage et le montage intimistes du film de Lila Pinell (interviewée sur notre site en 2014 pour son film Boucle Piqué, co-réalisé avec Chloé Mahieu) permettent au spectateur de suivre les mésaventures de la protagoniste (interprétée par Eva Huault) avec proximité et empathie. Le réalisme brut de la vie en banlieue et les nombreux obstacles de la construction de soi sont mis en valeur un à un, à travers différents sujets de société.
L’image du corps par exemple, ironiquement abordé avec le thème de la chirurgie, soulève la question du rapport à l’apparence. Parallèlement, le sujet est poétiquement mis en image avec quelques plans sur des tableaux de corps dénudés. La question du réel réside également dans le contexte, le langage et les apparences des différents personnages.
Le parti pris de la réalisatrice est fascinant. Lila Pinell choisit de cadrer en majorité la jeune femme, souvent en gros plan, plutôt que ses interlocuteurs, témoignant d’une intéressante volonté de maintenir cette femme d’action au centre de l’image et de l’histoire.
Dans Le Roi David, Shana fait preuve d’une touchante humanité, malgré ses petits délits et ses montées d’agressivité. Elle reste une jeune femme, perdue et seule, en quête d’amour et de stabilité. La performance de l’actrice Eva Huault qui l’incarne est impressionnante. Seuls quelques regards et intonations de voix suffisent à faire transparaître ses émotions les plus profondes.
Le fil conducteur de la fiction de Lila Pinell, donnant d’ailleurs son titre à l’œuvre, est le mystérieux David. Un homme, apparemment peu fréquentable, qui fait faillir le cœur de la jeune femme et qui exerce un contrôle sur ses gestes et ses pensées. Entre quelques séquences, comme hors du temps, à la manière d’un tableau vivant, David apparait emblématiquement comme un sujet de représentation. Ces scènes permettent au spectateur de comprendre le rôle central de David dans la vie de Shana.
Il faut attendre la dernière partie du film pour émettre l’hypothèse que le sentiment de solitude de cette dernière et son manque de responsabilités, provient de la relation brisée avec sa mère. Shana tente maladroitement de se prendre en main et laisse couler quelques larmes, en constatant le détachement de sa mère à son égard. Durant cette séquence de détresse, le spectateur réalise qu’elle n’est encore qu’une jeune fille, désireuse d’être aimée et soutenue.
Le film se clôture, telle une boucle, sur le départ de David dans un autre univers, extérieur à celui de Shana : la prison. Comme un coup de massue ou une chance d’entamer quelque chose de nouveau, la jeune femme est en quelque sorte libérée de l’emprise de cette figure d’ombre.
Les différentes facettes de la jeunesse, dépeintes dans ce moyen-métrage, touchent le spectateur. La proximité de cadrage de Shana et sa spontanéité donnent l’occasion de se sentir physiquement et psychologiquement proche de ce qu’elle vit, ou du moins, de mieux la comprendre. La fin laisse libre cours à l’imagination du spectateur sur l’avenir incertain de la jeune femme.
La 6ème cérémonie de remise des Prix du Syndicat Français de la Critique de Cinéma 2021 aura lieu à la Cinémathèque française le lundi 21 février 2022 à 18h30.
Le Jury du Prix court métrage élira à cette occasion le meilleur film de l’année 2021. Ce prix, créé en 1973, est décerné par un jury composé de membres du Syndicat Français de la Critique de Cinéma : Valérie Ganne, Pascal Le Duff, Francis Gavelle, Grégory Marouzé et Katia Bayer, Présidente du Jury, qui représentera Format Court.
Voici les 3 films sont en lice pour le Prix du Meilleur film de court métrage 2021 :
• L’homme silencieux de Nyima Cartier (Mabel Films)
• Nicolae de Mihai Grecu (Barberousse Films)
• Sainte Baume de Laetitia Spigarelli (Les Films de la nuit)
Format Court ne regarde jamais loin de la Belgique. Les Magritte du Cinéma (les récompenses du cinéma belge) ont primé ce weekend Une vie démente d’Ann Sirot et Raphaël Balboni (interviewés sur notre site) et Un monde de Laura Wandel, deux premiers longs-métrages remarqués en festival, réalisés par des auteurs venus du court.
Côté courts, 3 super films ont été primés.
En fiction, Xavier Seron a reçu sa troisième statuette, après L’Ours Noir et Le Plombier, pour Sprötch, récompensé par ailleurs du Prix étudiant à notre Festival Format Court en novembre dernier. Le tout premier Magritte du meilleur court métrage documentaire a été décerné à un film d’école : Mother’s de Hippolyte Leibovici.
Lia Bertels (à qui nous avons consacré un focus en 2010) a reçu, de son côté, le Magritte du Meilleur court métrage d’animation pour On est pas près d’être des super héros.
Ce mois-ci, on vous parle du DVD De bas étage, le premier long-métrage de Yassine Qnia (interviewé sur notre site en 2012). Passé par le court métrage (il était d’ailleurs cette année membre du jury du festival de Clermont-Ferrand), il est déjà auteur de deux courts-métrages signés en son nom : Fais croqueren 2011 et F430 en 2015 et d’un court-métrage co-écrit et co-réalisé avec Carine May, Hakim Zouhaini et Mourad Boudaoud : Molii en 2013.
Fais croquer racontait l’histoire d’un jeune réalisateur qui embarquait ses copains dans son premier film. Ses apprentis acteurs, non professionnels, tentaient tant bien que mal mais avec humour et générosité de transmettre ce que leur réalisateur voulait. Molii retraçait la première nuit d’un gardien de piscine qui se faisait surprendre par des enfants se laissant enfermer à l’intérieur de l’établissement. Avec quelques moments pouvant faire sourire, l’ambiance était parfois pesante. F430 annonçait déjà un virage vers la perte de l’innocence. Après un vol à l’arrachée, un jeune homme s’offrait une journée de location d’une Ferrari « F430 » (d’où le titre), avec laquelle il paradait dans la ville sous les yeux la fois surpris des habitants du quartier.
Dans De bas étage, on suit le personnage de Mehdi, un perceur de coffres d’une trentaine d’années faisant des coups avec ses complices. Les cambriolages n’étant plus aussi lucratifs qu’avant, ils ont dans l’idée de raccrocher et de se ranger, ce qui n’est pas forcément attrayant pour Mehdi (interprété par Soufiane Guerrab, excellent dans le rôle). Il se retrouve à la croisée des chemins de son parcours : « se ranger » ou continuer son activité. En parallèle, il tente de reconquérir Sarah (interprété par Souheila Yacoub déjà vu entre autres dans Le Sel des larmes de Philippe Garrel et Climax de Gaspar Noé ), son ex-compagne et mère de leur fils, qui s’est éloignée de lui, lassée de ses frasques.
Yassine Qnia explore ici un univers de truands à la petite semaine dans une atmosphère assez sombre, bien loin du ton plus léger qui pouvait exister dans ses courts métrages. Ces personnages de perceurs de coffres sont inspirés de personnes qu’il a pu réellement croiser dans le quartier Paul Bert d’Aubervilliers où il a grandi. Filmé entre autre dans ce même quartier, Yassine Qnia conserve une vraie fidélité avec cette partie de la ville d’Aubervilliers où il a vécu une grande partie de sa vie. On retrouve même parfois les mêmes couloirs, portes et façades d’immeubles dans De bas étage que dans Fais croquer ou « F430 ». En plus d’un lien aux décors, Yassine Qnia entretient une certaine fidélité avec les acteurs comme avec M’Barek Belkouk, personnage principal de Fais croquer que l’on retrouve dans le long-métrage dans un second rôle en complice des malfrats, pas vraiment à sa place.
Yassine Qnia, dans de De bas étage, filme le personnage de Mehdi dans ses ambiguïtés et ses contradictions, un personnage qui échoue, qui ne fait pas forcément les bons choix. C’est aussi le désir comme il le dira de filmer un personnage « qui a du charisme, quelqu’un qui est beau, quelqu’un qui sait parler, qui a de la répartie. Quelqu’un dont on imagine que, s’il avait évolué dans un autre milieu, n’aurait pas la place qu’il a actuellement ».
De son précédent métier de géomètre topographe, Yassine Qnia aura appris à tracer et à implanter les marques pour ceux qui viendront ensuite poser les murs pour que les bâtiments sortent de terre. L’analogie avec le cinéma peut être évidente. Ecrire et préparer le terrain pour raconter une histoire afin qu’un film existe.
Présenté à Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs 2022, De bas étage veut raconter simplement. On peut noter pour ce faire l’absence de musique. « Faire simple » comme l’expliquera le réalisateur devient sa marque de fabrique. Dans une époque où certains films font appel parfois à un montage saccadé et un grand renfort de musique, ici la façon de raconter est justement de laisser faire : laisser le temps aux situations de s’installer, au silence d’être là, au temps d’être pris, l’espace se voulant plutôt occupé par les mots et les silences des personnages. Une atmosphère qui permet de nouer une relation intime avec le spectateur.
Ce premier long-métrage laisse entrevoir de belle perspective pour cet auteur au parcours atypique inspiré par Rossellini, Bresson, Pialat ou encore Melville. Son producteur Pascal Caucheteux (Why Not Productions) lui a d’ailleurs conseillé de ne pas attendre pour écrire son film suivant. Ce que nous avons hâte de suivre et de découvrir.
De bas étage de Yassine Qnia. Distribution : Le Pacte. DVD et bonus : entretien avec le réalisateur, « De bas étage, du tournage au Festival de Cannes » + 3 courts de Yassine Qnia : Fais croquer, Molii, F.430
Sur base des 45 courts présélectionnés aux Oscars 2022 en animation, fiction et documentaire, voici les 15 films retenus dans ces 3 catégories. Bonne news : Bestia de Hugo Covarrubias (Chili), programmé à notre festival, reste dans la course.
Meilleur court métrage de fiction
Ala Kachuu – Take and Run de Maria Brendle (Suisse, Kyrgyzstan)
The Dress de Tadeusz Łysiak (Pologne)
The Long Goodbye de Aneil Karia (Royaume-Uni,Pays-Bas)
On My Mind de Martin Strange-Hansen (Danemark)
Please Hold de KD Davila (USA)
Meilleur court métrage documentaire
Audible de Matthew Ogens (USA)
Lead Me Home de Pedro Kos, Jon Shenk (USA)
The Queen of Basketball de Ben Proudfoot (USA)
Three Songs for Benazir de Elizabeth Mirzaei, Gulistan Mirzaei (Afghanistan)
When We Were Bullies de Jay Rosenblatt (USA, Allemagne)
Meilleur court métrage d’animation
L’art dans le sang, de Joanna Quinn et et Les Mills (Canada)
Bestia de Hugo Covarrubias (Chili)
Boxballet de Anton Dyakov (Russie)
Robin Robin de Dan Ojari, Mikey Please (Royaume-Uni)
The Windshield Wiper de Alberto Mielgo (USA, Espagne)
Le festival de Clermont est fini. Après les prix remis par les partenaires, voici le détail des films primés par les 3 jurys, les étudiants et le public
Compétition internationale
77 films, représentant 55 pays, ont été soumis à un jury qui réunissait Borja Cobeaga, réalisateur, scénariste, producteur (Espagne), Bogdan Mureșanu, réalisateur, scénariste (Roumanie), Joanna Quinn, réalisatrice (Pays de Galles) et Beth Sá Freire, programmatrice, réalisatrice (Brésil).
* Grand prix : Mate (Mon pote) de George-Alex Nagle (Australie)
* Prix spécial du jury : Sarira de Mingyang Li (Chine)
* Mentions spéciales du jury international : Birds (Oiseaux) de Katherine Propper (États-Unis), Fall of the Ibis King (La Chute du roi Ibis) de Mikai Geronimo, Josh O’Caoimh (Irlande), Steakhouse de Špela Čadež (Slovénie, France, Allemagne), On the Surface de Fan Sissoko (Islande, États-Unis, Mali)
* Prix du public : Three Songs for Benazir (Trois chansons pour Benazir) de Elizabeth Mirzaei (Afghanistan)
* Prix étudiant : Bolo Raz Jedno More… (Autrefois, il y avait une mer) de Joanną Kożuch (Slovaquie, Pologne)
* Mention spéciale du jury étudiant international : Ensom Cowgirl (Cow-girl solitaire) de Gina Kippenbroeck (Danemark)
* Prix du meilleur film d’animation : Bestia de Hugo Covarrubias (Chili)
* Prix du meilleur film européen et Candidature aux European Film Awards : The Bayview (Hôtel Bayview) de Daniel Cook, Royaume-Uni
Compétition nationale
Le jury de la compétition nationale devait départager 50 films, dont 8 co-productions internationales. Il était composé d’Olivier Broche, comédien, réalisateur, producteur et programmateur (France), de Vincent Maël Cardona, réalisateur, scénariste et comédien (France), de Regina Pessoa, réalisatrice, scénariste et illustratrice (Portugal) et de Yassine Qnia, réalisateur et scénariste (France).
* Grand prix : Le Roi David de Lila Pinell (France)
* Prix spécial du jury : Astel de Ramata-Toulaye Sy (France, Sénégal)
* Mentions spéciales du jury national : Churchill, Polar Bear Town (Churchill, la ville des ours polaires) de Annabelle Amoros (France) et À l’ombre l’après-midi de Marin Gérard (France)
* Prix du public : Partir un jour de Amélie Bonnin (France)
* Prix étudiant : Le Roi David de Lila Pinell (France)
* Mention spéciale du jury étudiant national : Trois grains de gros sel de Ingrid Chikhaoui (France)
* Prix de la meilleure musique originale (SACEM) : Thomas Krameyer pour Partir un jour de Amélie Bonnin (France)
Compétition labo
Alberto García-Alix, photographe, créateur audiovisuel, écrivain et éditeur (Espagne), Para One, DJ, compositeur, producteur et réalisateur (France) et Bárbara Wagner, réalisatrice et scénariste (Brésil) ont découvert ensemble 27 courts métrages internationaux (17 pays représentés).
* Grand prix : Le Boug Doug de Théo Jollet (France)
* Prix spécial du jury : Swallow the Universe (Engloutir l’univers, chier une fourmi) de Nieto (France)
* Mention spéciale du jury labo : L’Huile et le fer de Pierre Schlesser (Suisse)
* Prix du public : Arbete Åt Alla ! (Du travail pour tous !) de Axel Danielson, Maximilien Van Aertryck (Suède)
* Prix étudiant : Man or Tree (Homme ou Arbre) de Tom Hancock, Varun Raman (Royaume-Uni)