Wake Man de Tornike Bziava

Troisième film et deuxième sélection au festival de Clermont-Ferrand pour Tornike Bziava qui, avec « Wake Man », concourant en compétition nationale, plonge à nouveau au cœur de ses racines pour dresser un portrait naturaliste d’une Géorgie post-soviétique où il est difficile de trouver sa place.

Du cinéma géorgien on retient le nom d’Otar Iosseliani dont le style poétique a inspiré de nombreux cinéastes. Quelques décennies plus tard, Tornike Bziava déploie des mêmes tonalités mélancoliques pour dépeindre la décrépitude d’un monde. D’« Aprilis Suskhi » (en compétition internationale au festival clermontois en 2010 et détenteur d’une Mention du Jury et de la Mention Gérard Manset) à « Wake Man » en passant par « Le Nid », le cinéaste évoque la mort de façon plus ou moins explicite.

Quand le premier opus a pour toile de fond les 22 morts du 9 novembre 1989, « Le Nid » décrit le quotidien d’un vieil homme que plus grand chose ne retient à la vie. Quant à « Wake Man », Bziava y fait de la mort le décor principal du film. Par-delà ce thème, ce que nous présente le jeune réalisateur c’est la chute d’un monde et, avec lui, l’effondrement d’un système, la perte de valeurs et de repères dans une société meurtrie par les guerres civiles et frappée par la crise économique. D’un monde sécurisé, on est passé à un univers précaire qui n’offre que peu de possibilités. Car si Rezo (Rezo Chanishvili qui incarnait le professeur de danse dans « Aprilis Suskhi »), vieil homme symbolisant la pérennité d’un certain nombre de coutumes traditionnelles, s’invite à l’enterrement d’un parfait inconnu, ce n’est évidemment pas pour ses affinités avec le défunt qui sont par ailleurs nulles. C’est pour bénéficier des services offerts durant ces cérémonies où nourritures et boissons sont servies en suffisance.

Dépositaire d’un monde révolu, il porte en lui les valeurs, la prestance et la délicatesse de quelqu’un d’éduqué, condamné à se faire passer pour ce qu’il n’est pas : un proche, une connaissance, un ami du disparu jusqu’à ce qu’un ancien élève le reconnaisse et d’autres convives le surprennent à voler de la nourriture. Tout dans son comportement, de ses gestes à son clignement des yeux excessif exprime le sentiment de honte et de culpabilité. Mal à l’aise, il ne se sent à sa place nulle part car la société ne lui en accorde aucune.

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Le film s’ouvre in medias res avec un plan d’ensemble d’une petite assemblée de personnes âgées assistant à une interview télévisée (en hors champ). Derrière elles, une immense image de forêt luxuriante figure l’idée que le « paradis » ne serait en définitive que virtuel. Le contraste cynique fait mouche. On est dans une maison de repos. Ici, il n’est plus question d’embellir la réalité comme dans « Aprilis Suskhi » mais au contraire de la montrer fidèlement au travers de ses imperfections afin d’en révéler les failles. Plus de noir et blanc esthétique, plus de plans bien cadrés mais des plans où les personnages sont parfois coupés, perdus ou isolés, et assurément en marge. Rezo s’est assoupi, on le voit à peine, il se réveille, se lève et sort du champ. D’emblée, Tornike Bziava plante le décor et donne le ton. Un ton que le film ne quittera pas jusqu’au plan final, pathétique à souhait. Le rythme est volontairement lent et laisse apparaître l’ennui de la vacuité existentielle.

Avec une grande économie de moyens et un traitement vériste, « Wake Man » est à la fois un terrible constat et une critique acerbe du capitalisme sauvage.

Marie Bergeret

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