Les Lézards de Vincent Mariette

Les lézards, animaux à sang froid, ont un corps dont la température varie en fonction de celle de leur environnement. Ne pouvant maitriser leur température interne, ces derniers se mettent souvent au soleil pour se réchauffer. En plaçant ses acteurs dans un hammam, Vincent Mariette réinvente en quelque sorte d’un même geste, le vivarium et le film animalier. Benoit Forgeard et Vincent Macaigne incarnent ces deux reptiles en chasse dans un film proche du buddy movie qui laisse une grande place au talent de dialoguiste de son auteur, déjà repéré dans ses deux courts précédents.

À première vue, deux corps nus, serviettes autour de la taille, que tout oppose. Un homme imberbe et chétif, un autre poilu et plus massif. Deux amis réunis dans l’espoir d’apercevoir une femme rencontrée sur le net à qui l’un deux a donné rendez-vous dans un hammam, tentative risquée pour déjouer les artifices vestimentaires et les illusions de la première impression.

Le principe d’un duo donc, dynamique déjà présent dans les deux courts précédents de Vincent Mariette, « Le meilleur ami de l’homme » (2010) et « Double Mixte » (2011) qui démontraient déjà un sens aigu du casting : Noémie Lvovsky et Jules-Edouard Moustic pour le premier, Gilles Cohen et Alexandre Steiger pour le second.

Ici, Mariette met en scène deux réalisateurs/acteurs : Benoit Forgeard, membre du Jury Labo cette année à Clermont et auteur de nombreux courts délicieusement décalés pour Ecce Films (« La course nue », « Coloscopia »…), et Vincent Macaigne, omniprésent ces dernières années dans le paysage du court métrage français. Leur duo, inattendu, est la grande réussite du film. Même si Macaigne reprend la posture du garçon sensible manquant de confiance en lui déjà vue chez d’autres (« Un monde sans femmes », « La règle de trois »), on doit bien reconnaître qu’il y excelle. Forgeard, pour la première fois dirigé par un autre cinéaste que lui-même, garde le côté pince-sans-rire qu’on lui connaît et ne démérite pas face à l’expérience de son partenaire. Vincent Mariette fait également appel à Estéban (vu récemment dans « La Vie parisienne ») acteur -et surtout chanteur -à la voix improbable qui fait son apparition au milieu du film et par là-même accentue encore un peu plus le côté étrange de ce huis-clos embué et moite.

Vincent Mariette opte pour le noir et blanc qui adoucit les corps nus que la couleur aurait rendu certainement plus triviaux. Le choix de plans souvent fixes et l’attention portée aux positions des corps ramène le film vers une mise en scène et un vocabulaire pictural. Y sont convoqués bien sûr le fantôme d’Ingres et de son célèbre Bain Turc peuplé de femmes. Ces dernières justement, au nombre de trois -à parité avec les hommes, sont l’incarnation du désir, n’hésitant pas à en jouer quitte à se jouer de leurs prétendants. Au milieu de cette tension érotique, un lézard erre seul transformant ce hammam en vivarium occupé par des créatures au sang chaud.

Amaury Augé

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Article associé : l‘interview de Vincent Mariette

L comme Les Lézards

Fiche technique

 

Synopsis : Accompagné de son pote Bruno, Léon patiente dans ce hammam où il a donné rendez-vous à une fille croisée sur Internet. De rencontres étranges en révélations vaporeuses, nos deux héros attendent fébrilement l’hypothétique venue de la mystérieuse inconnue.

Genre : Fiction

Durée : 14′

Pays : France

Année : 2012

Réalisation : Vincent Mariette

Scénario : Vincent Mariette

Image : Julien Poupard

Montage : Frédéric Ballehaiche

Son : Emmanuel Bonnat

Décors : Sidney Dubois

Interprétation : Vincent Macaigne, Benoit Forgeard, Estéban

Production : Kazak Productions

Articles associés : la critique du filml’interview de Vincent Mariette

 

Mou Ikkai (Encore une fois) de Atsuko Hirayanagi

Une architecture très ordonnée. Le roulement d’une valise. Un homme d’une quarantaine d’années descend une rue vide et calme en plein jour. Il porte à la main un sac en plastique portant l’inscription : Japan Duty Free.

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En retournant au Japon, Motokazu a pensé à acheter un cadeau pour sa mère à l’aéroport. Il semble qu’il n’ait pas eu une minute à lui pour en acheter un pendant ses quinze années passées aux États-Unis. De la fonction qu’il a exercée là-bas ou de celle à laquelle il aspire désormais, nous ne saurons rien. Nous constatons avec lui que le temps a aussi travaillé en son absence : une toile d’araignée, la sonnerie de la maison qui ne marche plus et personne pour lui répondre ou lui ouvrir la porte. Seule une certaine obscurité et le silence l’accueillent lorsqu’il retrouve la clé de la porte d’entrée à l’endroit habituel dans un pot de terre. Et puis, Motokazu revoit sa mère. Morte et seule. À cet instant, « Mou Ikkai » (Encore une fois) aurait pu devenir un film ténébreux à la peine émétique nous laissant à quai. Au contraire, il nous entraîne vers la vie. Et quoi de plus vivace que l’enfance ? Il suffit à Motokazu, dans ce fatras que lui a laissé le décès de sa mère en héritage, de retrouver sous le réfrigérateur une de ces balles de caoutchouc avec lesquelles il jouait, gamin, pour qu’il se décide à partir se promener dans les environs. Là, s’il est devenu étranger à cette ville, au point de rencontrer avec un ancien camarade qu’il ne reconnaît pas, il se rend néanmoins à une fête foraine pour, comme les enfants, participer à un jeu d’adresse où il est possible de gagner d’autres balles de caoutchouc de toutes les couleurs. Mais il n’a plus le coup de main. À côté de lui, un gamin de dix ans est plus adroit et, aussi, plus malin. Survient alors une vieille dame qui, le prenant par la main, l’aide à gagner une partie. Dès lors, Motokazu et la vieille dame deviennent inséparables. A sa hâte de lui faire des cadeaux, nous devinons assez vite qu’elle pourrait être de l’âge de sa propre mère. Puis l’inconnue disparaît. Aussi, à propos de ce que nous avons vu entre Motokazu et cette dame mystérieuse, nous hésitons : l’a-t-il réellement rencontrée ? L’a-t-il vraiment emmenée chez sa mère et aidée à prendre son bain ?

Ces questions n’ont plus aucune d’importance et l’on s’affranchit de toute obsession de vraisemblance. Imaginé ou vécu, devant ce présent recomposé, on prend plaisir avec Motokazu à son attention pour sa mère ainsi qu’à cet hommage qu’il lui rend au travers de cette vieille dame.

Tel un conte que l’on nous dirait afin d’endormir la douleur d’un deuil, « Mou Ikkai » nous suggère que quels que soient les rendez-vous manqués avec les êtres chers, il reste possible de les saluer ; les années passées loin d’eux n’auront pas été vaines. Et lorsque à la fin du film, Motokazu, aveuglé par le soleil, regarde à nouveau le corps de sa mère, c’est par son amour pour elle que nous sommes éblouis.

Franck Unimon

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« Mou Ikkai » est projeté au Festival de Clermont-Ferrand dans le programme international I11

M comme Mou Ikkai

Fiche technique

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Synopsis : Motokazu, vient d’obtenir la Green Card aux Etats-Unis. Il retourne voir sa mère au Japon pour la première fois après 15 années d’exil. Il la retrouve morte, assise près de ses plantes.

Genre : Fiction

Durée : 14’29 »

Pays : Japon, Singapour

Année : 2012

Réalisation : Atsuko Hirayanagi

Scénario : Atsuko Hirayanagi

Interprétation : Satoru Kamata, Hiroko Ninomiya, Tadayuki Kawase, Yoshinori Ito, Hiroaki Miyagawa, Koudai Fujita, Haruna Fujita, Megumi Fujita, Tomoko Fujita

Image : Mitch Arens

Son : David Briggs

Production : Yuka Kubonoya

Article associé : la critique du film

Jean-Gabriel Périot à l’honneur au Festival de Clermont-Ferrand

Jean-Gabriel Périot, à qui nous avons déjà consacré un focus, est un habitué du Festival du Court-métrage de Clermont-Ferrand puisque sa première participation à l’événement auvergnat remonte à 2004 avec son film « We are winning, don’t forget ». Depuis, la filmographie de cet auteur prolifique n’a cessé de croître, explorant tour à tour la diversité des styles du court métrage, parfois expérimental, fiction ou documentaire, mais toujours avec cet indéfectible attachement à la recherche du sens et au questionnement par l’image. Pour sa 35éme édition, le Festival de Clermont-Ferrand témoigne une nouvelle fois de son intérêt pour le travail de cet auteur multiforme en intégrant pas moins de trois de ses films à sa grille de programmation : « Nos jours, absolument, doivent être illuminés » dans la compétition nationale, « The Devil », dans la compétition labo, et « Nijuman no borei » diffusé lors des séances Courts de Rattrapage (programme CR2).

The Devil

Avec « The Devil », Jean-Gabriel Périot décortique en à peine plus de 7 minutes l’histoire du mouvement des Black Panthers dans l’Amérique des années 60 et 70. Sur la base d’archives audiovisuelles en noir et blanc, Périot renoue avec un style de montage percutant qu’on ne lui avait plus connu depuis 2009 et « L’art délicat de la matraque ». Il nous livre cette fois le portrait d’une lutte saisissante, celle d’une communauté réagissant à la violence par la violence, au nom de la reconnaissance des droits et de l’égalité.

Le film s’ouvre par les quelques mots d’une jeune femme noire, « Vous ne savez pas qui nous sommes… « , comme pour nommer l’ignorance propre à toutes formes d’intolérance. Puis, la musique de Boogers démarre, sur un rythme lent qu’illustre une galerie de portraits d’enfants dans les rues de ghettos misérables et une série de gros plans sur les visages d’hommes noirs. Les regards sont durs et nous mettent bien face à l’humanité qui s’en dégage. Ils soulignent en même temps la question raciale, ces traits négroïdes conditionnant la ségrégation. Les images d’archives choisies par Périot sont marquées par le temps, renforçant le côté brut des scènes présentées. Comme une partition visuelle en parfaite harmonie avec la musique, Périot cadence les images sur le rythme du morceau de Boogers pour nous faire traverser cette histoire du mouvement social noir américain. Des séquences symboliques de l’escalade insurrectionnelle s’enchaînent sur un montage qui alterne les phases. Des scènes de violence ordinaire où des « blacks » se font tabasser par des « pigs » tournent en boucles syncopées alors que la guitare électrique fait rage. À la mobilisation pacifique pour les droits civiques et l’émergence des leaders noirs, succède la répression brutale, à laquelle répond comme une nouvelle boucle de plus, la militarisation du mouvement Black Panthers et sa radicalisation. Une chorégraphie de poings levés accompagne les défilés marchant au pas entre des drapeaux brandis et des postures martiales en lunettes noires et bérets de guerre. Peu à peu, la musique s’estompe pour laisser la place aux discours révolutionnaires au sein d’assemblées mobilisatrices. La colère, l’orgueil, la révolte, le sacrifice, l’affirmation s’expriment alors à pleine voix dans des gros plans d’images recentrées. Et comme pour boucler la boucle et répondre à la question initiale posée par la jeune femme au début du film, « The Devil » s’achève sur cette phrase à l’écho prolongé : « We are beautiful ».

Jean-Gabriel Périot aime interroger l’Homme à travers son histoire, et son regard sur la lutte nous pousse à réfléchir sur la récurrence des schémas historiques. L’Amérique d’Obama n’est peut-être plus tout à fait celle des Blacks Panthers, mais il est difficile d’oublier qu’aujourd’hui en France, les réactions se hérissent contre l’ouverture de droits aux minorités sexuelles, se superposant aux ardeurs xénophobes du récent débat sur l’identité nationale.

Nos jours, absolument, doivent être illuminés

Avec « Nos jours, absolument, doivent être illuminés », Jean-Gabriel Périot réalise un film documentaire de 22 minutes à la charge émotionnelle déroutante. L’histoire de ce film est liée à celle de l’auteur avec la maison d’arrêt de la ville d’Orléans. Suite à une projection de ses films dans les lieux quelques années auparavant, Périot organise en 2011 un concert avec les détenus pour un public rassemblé à l’extérieur, sous les murs de la prison. C’est le projet initial, il ne s’agit alors pas de faire un film, mais plutôt de créer un lien entre ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors, de bâtir un pont vibratoire au-delà des murs. L’idée du film est venue après, et s’est greffée sur le projet de façon presque accidentelle.

Le film débute par un plan large de l’installation telle qu’elle est configurée dans la rue, une simple paire d’enceintes aux pieds des hauts murs de la prison. On entend des chants d’oiseaux, puis les premiers accords d’un piano, et enfin des voix d’hommes qui commencent à entonner  » La chanson pour Pierrot » de Renaud. La caméra est installée côté rue, ne s’intéressant exclusivement qu’à saisir les réactions du public recevant les voix de ces hommes et femmes enfermés de l’autre côté du mur. Dans un rythme très lent, se succède à l’image une série de portraits dans des plans-séquences très longs et resserrés sur les visages qui nous confrontent aux personnes de façon étroite. Très vite, tout devient intérieur. Parfois à la limite du champ, le mouvement naturel des individus est à l’intérieur du cadre fixe de la caméra, tout comme sont intérieures les émotions qu’ils ressentent. On ignore le pourquoi de leur présence. Simples badauds, ou parents de taulards ? La question est ouverte et sollicite notre imagination. L’esprit humain est ainsi fait qu’il cherche à comprendre… Comprendre les histoires et les vies de ces hommes et de ces femmes réunis ici sous les murs, pour un instant de communion avec ceux de dedans. On est alors amené à scruter le moindre détail de ces visages anonymes pour en percevoir l’émotion brute ; on se surprend à questionner chacune des rides de ces visages marqués par la vie, à guetter les éclats miroitants au fond des pupilles, à interpréter les sourires, les attitudes et les postures de chacun, pour envisager leur vie et se projeter, au plus profond de leur intimité. Il y a quelque chose qui tient du voyeurisme qui est renvoyé au spectateur, quelque chose de tellement intrusif qu’il pourrait presque en devenir gênant.

Il n’y a pas de mots échangés pour la caméra, sauf bien sûr ceux des chansons puisées dans un répertoire populaire qui laisse difficilement indifférent. Comme un dialogue avec l’extérieur, les voix de l’intérieur interprètent, parfois avec une maladresse touchante, les textes de Piaf (« Mon amant de Saint-Jean »), de  Balavoine (« Tous les cris, les SOS »), d’Aznavour (« Emmenez-moi ») ou de Polnareff (« On ira tous au paradis »). Autant de chansons qui résonnent comme des cris d’humanité, d’espoir et de fraternité par dessus les murs d’une prison. Pour le spectateur l’empathie alors devient complète, et l’on vibre à l’unisson de cet instant magique, submergé d’émotions.

Xavier Gourdet

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Festival de Clermont-Ferrand 2013

Plus grand rendez-vous mondial du court métrage, le festival de Clermont-Ferrand fête sa 35ème édition. Des centaines de films venus de contrées lointaines comme du village d’à côté en font un festival à la programmation large et éclectique qui finit toujours par satisfaire tous les goûts, son incroyable succès public en est à chaque édition la meilleure preuve.

Cette année plus que jamais, Format Court, partenaire du festival, couvre celui-ci de bout en bout en déployant toutes ses petites mains dans la capitale auvergnate. Compétition internationale, nationale, labo, programmes spéciaux, hommage à l’Inde… rien ne sera oublié et les publications seront légion et pluri-quotidiennes !

Retrouvez dans ce Focus nos articles inédits

International

National

Labo

Carte blanche Ecce Films

Water Project

Inde

Particules imaginaires

Les actus

Nos articles déjà publiés, en lien avec la programmation

Les actus

International

National

Inde

Carte blanche ECAL

Particules imaginaires

Films en région

Collections

Courts de rattrapage

Hard to Say d’Ana Candela

« Hard to say » est sélectionné au Festival Pointdoc dans la catégorie « Première création ». Ce qui frappe dans ce premier film d’Ana Candela c’est, de prime abord, la sobriété avec laquelle elle met en scène la confession de son protagoniste.

Le dispositif est des plus simples: un homme qui a fait ses armes dans les forces spéciales fait son mea culpa devant la caméra, s’adressant aussi bien à la réalisatrice qu’à une foule anonyme sans visage, parmi laquelle les familles de quelques unes de ses victimes. Sa fascination pour le meurtre, l’engrenage de la violence, la description d’une scène de meurtre dans une école, rien n’est épargné et pourtant l’essentiel est en filigrane. Le parti pris de la réalisatrice est d’évoquer cette violence en contre-pied par le prisme d’une sérénité retrouvée: les scènes en plans fixes dans un parc évoquent la contemplation du personnage regardant son propre destin.

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Cliquer sur l’image pour voir le film

Ces moments de plénitude, le calme apparent du visage de cet homme sont contrebalancés par la difficulté de verbaliser les actes de violence. L’homme parle avec hésitation, bégaye, mais parvient à confier, d’une manière parfois crue, ce qu’il a fait. Le titre du film « Hard to say » témoigne de cette difficulté non pas d’avouer mais de décrire, au sens premier du terme, la violence comme si le sujet prenait ainsi conscience de ses actes pour la première fois. C’est en cela qu’on est bien loin de l’interrogatoire. Les fragments contemplatifs insérés entre les moments de parole vont de pair avec la scène durant laquelle le personnage bétonne un mur, un geste on ne peut plus trivial et nécessaire pour une personne qui doit réapprendre à reconstruire sa vie.

Au fur et à mesure du film, la réalisatrice s’éloigne donc du témoignage convenu, face caméra, et dépasse le stade de la confession pour procéder à une sorte de maïeutique. La parole devient cathartique, elle est une manière, pour ce protagoniste, d’évacuer ses anciens démons. Le dispositif simple mis en place par la réalisatrice permet d’écarter tout jugement. Elle n’épargne pas son sujet, le relançant dès qu’il hésite un peu trop. En ce sens, le film n’est pas un moyen d’excuser cet homme, ni de le rendre sympathique. La réalisatrice ne pose pas de regard tendre sur lui mais tente par un cadre rigide et des effets d’accélération (les nombreux jump cut) de faire « accoucher » les mots.

Dounia Georgeon

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M comme Le Mur

Fiche technique

Synopsis : Odette et Douglas se sont connus à 18 ans. Ils en ont maintenant 90 et affrontent ensemble la vieillesse. Aujourd’hui ils se livrent à leur petit fils âgé de 22 ans.

Genre : Documentaire

Durée : 30’

Pays : Belgique

Année : 2012

Réalisation et écriture: Lancelot Berheim

Image : Lancelot Bernheim

Mixage : Nicolas Royere

Montage : Clément Candelara

Musique : Samson Penot

Production : ESRA (École supérieure de réalisation audiovisuelle)

Article associé : le reportage « Filme-moi un homme »

Festival Pointdoc 2013 : « Filme-moi un homme »

La troisième édition du Festival Pointdoc a ouvert ses portes virtuelles le 13 janvier 2013 et les gardera ouvertes aux internautes amateurs du cinéma documentaire jusqu’au 13 février 2013. Une édition encadrée par un chiffre porte-bonheur qui ne pouvait que présager des surprises. Toujours animés par la volonté farouche de promouvoir et diffuser des films souffrant de visibilité, les organisateurs du Festival ont sélectionné pas moins de 20 documentaires répartis en “Première création” et “Film jamais diffusé”.

Portrait d’une société

Il semblerait que les documentaristes contemporains soient plus habités par l’envie de filmer l’Autre dans son quotidien pour tenter de déceler ce qui fait sa particularité à leurs yeux. Ainsi, nous sommes frappés par le nombre de portraits cinématographiques de la sélection de cette année. Les réalisateurs esquissent davantage la réalité plus qu’ils ne l’affrontent, se focalisent sur la partie plutôt que sur le tout. La difficulté est bien de sortir du discours anecdotique pour frapper le spectateur et l’élever dans sa conscience de l’Autre et du Monde. Si pour la plupart des films sélectionnés cette année, il n’était pas toujours évident de (re)sentir cette “élévation” de façon intense et originale, certains films en revanche réussissent le difficile pari d’émouvoir et de faire réfléchir en même temps. Aux côtés de longs-métrages documentaires, dont le magnifique « Michel » de Blaise Othnin-Girard, deux courts métrages ont retenu notre attention.

Portraits de famille

Dans Le Mur et Cet homme-là (est un mille feuilles), Lancelot Bernheim et Patricia Mortagne filment leurs proches pour les ancrer dans leur vie, dans le temps qui passe et pour s’en rapprocher aussi.

Le Mur de Lancelot Bernheim

Sélectionné dans la catégorie des “film jamais diffusé”, Le Mur de Lancelot Bernheim présente un couple de retraités, Odette et Douglas, ses grands-parents. Par le biais d’un dispositif somme toute assez simple – face caméra en plan rapproché pour la plupart du temps – Bernheim tente d’arrêter le temps, d’immortaliser son sujet en filmant avec beaucoup de délicatesse et de tendresse la vieillesse de ce couple qui s’est connu à 18 ans et qui approche les 90 ans. “La retraite, c’est l’ennui et l’ennui c’est le début de la mort”, déclare Douglas en début de film.

En toute sincérité, le couple se livre et se dévoile à la caméra de leur petit-fils qui les questionne. Et le point de vue de la caméra et le sien ne font naturellement qu’un. Dans ce portrait de famille simple et émouvant, Lancelot Bernheim arrive à transcender les frontières de l’intime et à toucher à l’universel grâce à une mise en scène où l’importance est axée sur la captation du présent pour (re)donner vie à la nostalgie du passé.

Cet homme-là (est un mille-feuilles) de Patricia Mortagne

Dans la catégorie “Première création”, le film de Patricia Mortagne ne passe pas inaperçu tant sa mise en scène, un rien « westernienne », rend service à l’histoire. Celle de son père, Xavier, qui tout au long de sa vie s’est séparé des personnes qu’il a aimées sans vraiment les quitter. D’abord, il quitte sa femme Dominique avec laquelle il a eu 3 enfants pour François, ensuite après 26 années de vie commune, il quitte ce-dernier pour Guillaume, un homme beaucoup plus jeune que lui.

Filmer pour mieux se comprendre, semble être la démarche de Mortagne pour ce film aux accents de thérapie familiale. La citation introductive de Pasolini le démontre bien « L’Histoire, c’est la passion des fils qui voudraient comprendre les pères ». En filmant son père, la réalisatrice désire légitimiser (la caméra devient un outil derrière lequel elle peut se cacher) sa volonté de le comprendre et en définitive de se comprendre et d’accepter cet héritage familial si original et particulier.

Si elle ne tombe pas dans l’excès ou le trop plein, c’est grâce à l’humour qu’elle parsème tout au long du film qui lui permet de garder une distance critique par rapport à ce père complexe, à cette personnalité solaire qui a l’habitude que l’on gravite autour d’elle.

Serait-il révolu le docu militant voire militantiste qui voyait les Depardon et comparses filmer une réalité conflictuelle pour la dénoncer. Il faut croire que de nos jours, l’idéologie aurait un peu perdu de sa superbe au profit de la sacro-sainte intimité tant nous constatons que le portrait comme concept cinématographique est une récurrence dans les documentaires d’aujourd’hui car le désir des réalisateurs est de faire apparaître l’individu tel qu’il est dans sa diverse et banale complexité.

Marie Bergeret

Consultez les fiches techniques de Le Mur et de Cet homme-là (est un mille-feuilles)

P comme La Plaine de Sodome

Fiche technique

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Synopsis : A moins 398m sous le niveau de la mer, à la frontière Israëlo-jordanienne, Neot Hakikar est un village agricole coupé du monde dans la plaine désertique de Sodome. Construit dans les années 50 par des aventuriers habités par le rêve sioniste, ce village est aujourd’hui une zone d’expérimentation agricole. 400 Thaïlandais y sont arrivés pour compenser la disparition de la main d’œuvre palestinienne depuis les années 90. Dans ce microcosme surplombé par le Mont Sodome, le croisement du mythe ancien et la désillusion du sionisme nous racontent l’histoire contemporaine d’Israël.

Genre : Documentaire

Durée : 59’

Pays : France

Année : 2012

Réalisation : Yaël Perlman

Production : Zeugma Films

Image : Roland Edzard

Son : Ori Tchechik

Montage : Thomas Marchand

Diffusion : Vosges Télévision Images plus

Article associé : la critique du film

La plaine de Sodome de Yaël Perlman

Parmi les films en compétition dans la catégorie « Première création » du Festival de films documentaires Pointdoc, « La plaine de Sodome » de Yaël Perlman nous emmène sur le terrain brûlant des mythes de Sodome, Sion et Babylone pour faire le point sur un phénomène social mal connu en France, l’organisation internationale du marché de la main d’œuvre globalisée. Le film, déjà repéré en 2012 au Festival Traces de Vie de Clermont-Ferrand, nous immerge au cœur des rapports d’exploitation néo-esclavagistes entre agriculteurs des plaines désertiques du sud d’Israël et travailleurs agricoles venus de Thaïlande.

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Le film débute par les citations d’Ezéquiel relatant l’histoire biblique de l’orgueilleuse ville de Sodome, détruite pour son absence de compassion humaine. Puis, à travers un long mouvement de travelling, on découvre la plaine aride de Sodome et ses conditions climatiques désertiques qui semblent la vouer à tout sauf à l’agriculture. Le plan se termine pourtant par le survol d’une exploitation agricole sophistiquée où systèmes d’irrigation précis et bâches agricoles semblent aller à l’encontre des conditions physiques naturelles. Car dans la plaine de Sodome, l’occupation des terres par des agriculteurs n’est pas non plus un phénomène naturel. Une première rencontre avec un agriculteur israélien nous permet de comprendre comment cette occupation est le fruit de l’histoire d’Israël et de son fondement idéologique sioniste. La présence d’hommes sur ces terres, loin d’être guidée par l’intérêt économique ou la simple volonté d’exploitation des ressources, apparaît en fait comme le prolongement naturel d’intérêts éminemment politiques d’expansion coloniale sur le territoire de la Palestine.

Mais dans des conditions aussi dures, sous un soleil de plomb et une chaleur avoisinant les 50°C, la main d’œuvre agricole est rare, voire inexistante. D’autant plus que les conflits répétés entre Israéliens et Palestiniens et la politique de séparation menée par Israël après la première intifada en 1993 ont finalement privé ces exploitations de la main d’œuvre arabe. Pour pallier cette pénurie de bras, les agriculteurs peuvent s’adresser à l’administration qui leur fournit par le biais d’agences d’intérim internationales des travailleurs venus d’Asie, principalement de Thaïlande. Une visite des exploitations caméra à l’épaule, derrière un « patron » ou son contremaître, nous permet de découvrir ces hommes au travail. Protégés du soleil par des chechs qui leur masquent complétement la peau et le visage, ils apparaissent symboliquement sans traits, silhouettes sans identité de travailleurs invisibles, populations déracinées des misères locales de villages étrangers aux cercles de la mondialisation, venues servir la misère bien plus globale, d’intérêts qui les dépassent.

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À travers les différents témoignages recueillis par Yaël Perlman, on comprend comment l’organisation de cette migration du travail est un système parfaitement huilé. En Thaïlande, les candidats à l’immigration sont réunis par le ministère du travail pour des stages de formation, puis dispatchés en groupes en fonction de leurs destinations (Israël, Etats-Unis, Corée du Sud ou Japon). Pour financer leur exode, les futurs travailleurs doivent alors s’endetter auprès de banques pour payer les services d’agences d’intérim thaïlandaises et israéliennes qui les placent auprès d’un patron. La somme est importante puisque l’un des témoignages évoque un montant de 16 000 dollars. Comme toujours, le principe de la dette fonctionne à merveille pour conditionner l’esclavage. Dès lors, le migrant travaille pour rembourser ce qu’il doit, et c’est seulement sur la durée (plusieurs années) qu’il parviendra peut-être à gagner l’argent qui l’a fait venir si loin de chez lui. La relation avec le patron est quasi féodale puisque c’est lui qui fournit le logement dans des campements insalubres ou rien ne semble fonctionner. C’est lui qui fournit aussi l’argent de poche courant que le travailleur dépense pour ces besoins de base à la boutique du village. C’est aussi lui qui joue le rôle d’intermédiaire avec l’administration migratoire et exerce un contrôle sur le travailleur en conservant le passeport, le privant par là même de sa liberté de mouvement. C’est enfin aussi lui qui le protège des harcèlements policiers en payant les amendes ou en le prévenant des contrôles intempestifs. Car dans cet univers dur où le principe masculin semble dominer, les travailleurs ne peuvent vivre en couple, se marier et encore moins avoir d’enfants. Et sur ce sujet, la police veille, contribuant à entretenir un climat d’insécurité et de peur parmi les travailleurs thaïlandais.

Dans un tel contexte, on mesure les difficultés que la réalisatrice a dû rencontrer pour s’insérer dans son milieu d’étude et obtenir la confiance et les témoignages des différentes parties. Car le film ne prétend pas être un document à charge contre les exploitants agricoles israéliens. Bien au contraire, il veut porter un regard objectif sur cette partie du monde où, comme dans l’antique Sodome, les hommes acceptent les règles d’une exploitation humaine décomplexée, illustrant dans le même temps, l’état d’un rêve sioniste désenchanté. Avec une démarche de terrain proche de la socio-anthropologie du développement, Yaël Perlman parvient à nous fournir avec « La plaine de Sodome » un documentaire particulièrement engagé dont la portée est universelle.

Xavier Gourdet

Consultez la fiche technique du film

Festival Pointdoc 2013

Pointdoc est le premier festival en ligne de films documentaires. 
 Du 13 janvier au 13 février 2013, à travers des thèmes aussi divers que la famille, l’agriculture, le handicap ou encore la prostitution, 20 auteurs donnent à voir leur vision sensible du monde.

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Gratuit, visible à n’importe quel moment et partout dans le monde, le festival met à l’honneur des documentaires aux sensibilités et aux regards différents. Prenez le temps d’apprécier ces œuvres délicates en les visionnant sur le site du Festival : www.festivalpointdoc.fr

Retrouvez dans ce focus :

La critique de « Hard to Say » d’Ana Candela (Royayme-Uni, 2012)

Le reportage “Filme-moi un homme”

la critique de « La plaine de Sodome » de Yaël Perlman (France, 2012)

Festival Pointdoc, le palmarès 2013

Le focus pointdoc 2012

Myriam Boyer :  » J’ai passé ma vie de comédienne à ne jamais lâcher. Quand vous regardez ma carrière, il n’y a que des personnages bien ancrés dans la vie »

Elle joue actuellement la chanteuse Fréhel, dans la pièce « Riviera », au Théâtre du Petit Montparnasse. Que ce soit au théâtre, au cinéma ou à la télévision, Myriam Boyer, mère de Clovis Cornillac et d’Arny Berry, a cumulé les rôles de personnages singuliers, alors qu’elle n’était pas franchement prédestinée aux planches et aux plateaux. Dans « Le Monde à l’envers » de Sylvain Desclous, récompensé du Prix Format Court, du Prix d’interprétation et du Prix du Jury étudiant, elle nous a charmés et émus. Films de copains, expériences en courts, sous-texte, … : Myriam Boyer (se) raconte avec franc-parler et dérision.

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On vous a découverte dans le film de Sylvain Desclous, « Le Monde à l’envers ». Recevez-vous beaucoup des propositions de courts ?

J’en fais très peu des courts métrages, j’ai eu des mauvaises expériences. Quand on est sympa, il peut y avoir des abus de temps en temps. Il m’est arrivé une chose terrible. Une petite qui sortait d’une école m’a demandé de jouer dans son film. Elle n’avait pas de scénario, j’étais partante. C’était une aventure un peu spéciale où elle ne disait pas ce qui allait se passer. J’ai joué le jeu à fond et puis, elle m’a téléphoné en me disant : « Je vais montrer le court métrage mais je vous préviens : vous n’êtes pas dedans ». Alors, là, je n’ai pas aimé (rires) ! Je n’ai pas trouvé ça bien : au moins, on vous montre ce que vous avez fait, même si on ne l’aime pas.

Cette expérience et la manière peu élégante dont ça s’est passé ne m’ont pas plu du tout. Au nom du court, j’ai eu deux-trois coups du genre. Je trouve que quand on fait un court métrage, on peut aussi être dans le professionnalisme. On peut comprendre les problèmes, être là pour les partager, mais il faut faire attention à ce que ça ne soit pas traité par dessus la jambe parce qu’on donne de soi et de son temps. Faire du court pour du court en se disant que ce sont des jeunes et qu’il faut les aider n’est pas une bonne idée. D’accord, ils ont besoin de vous, vous avez plus ou moins besoin d’eux mais ça ne suffit pas. Ce n’est pas un métier. Non, vous avez besoin de cette comédienne-là parce qu’elle raconte ça et de ce réalisateur-là parce qu’il raconte ça.

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Qu’est-ce qui vous a rassuré avec « Le Monde à l’envers » par rapport à vos anciennes expériences ?

Je l’ai fait parce que ça valait la peine sur tous les plans. Je me suis dit que c’était important, qu’il fallait qu’il le fasse, pour ce que ça raconte. J’ai senti que c’était quelqu’un qui faisait un film, qui savait ce qu’il racontait, qu’il avait besoin d’acteurs tels que nous pour le faire.

On était en train de faire un film, on allait quelque part ensemble, on n’était pas en train de s’amuser parce qu’on avait une caméra entre les mains. C’est quelque chose auquel il faut faire attention. Moi, je n’ai plus le temps de faire des films pour des films et des pièces pour des pièces. On fait ça quand on est jeune, il faut se trouver. Mais après, quand vous allez vers certaines personnes, il faut comprendre qu’on n’est plus dans cet état d’esprit. On peut mettre son talent au service de quelqu’un, à plus forte raison du court, des jeunes mais il faut que ça en vaille la peine. Il faut avoir l’idée que ce n’est pas un film de plus, que ça raconte quelque chose de différent.

Vous avez une très longue carrière de comédienne. Vous évoquiez à l’instant ce qu’on acceptait au début, les nouvelles expériences à embrasser. Aujourd’hui, y a-t-il des choses que vous cherchez plus activement dans les rôles que vous pourriez être amenée à jouer ?

Ce ne sont pas les rôles qui m’intéressent, c’est surtout ce que ça raconte. J’ai commencé à jouer dans des films d’auteurs dans les années 70, ce qui est peut-être l’équivalent des courts métrages d’aujourd’hui parce que ça ne coûtait pas trop cher et qu’on pouvait faire des films de copains. J’ai fait beaucoup de films comme ça, parce qu’il n’y avait pas d’argent. Après, quand ils avaient des sous, ce n’étaient plus mes copains (rires) ! Ça va jusqu’à « Série noire » de Bertrand Blier avec Patrick Dewaere. Il n’y avait pas d’habilleuse, pas de maquilleuse. Dewaere commençait à perdre ses cheveux, je les lui arrangeais comme je pouvais, il séchait ma robe de chambre après m’avoir étranglée dans la baignoire ! J’ai vécu des moments très, très forts de cinéma où on y croyait où on avait du culot et où on faisait des trucs extraordinaires. Par exemple, « Le Voyage d’Amélie » de Daniel Duval, c’était ça. Je jouais une petite jeune de la campagne qui faisait le voyage avec des petits loubards dans un road-movie absolument étonnant. On n’avait pas de sous, on est partis sans payer l’hôtel ; au niveau du cinéma, c’était absolument génial !

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Et comment était la liberté à ce moment-là ?

Elle était folle et on faisait des trucs absolument extraordinaires. Le cinéma d’auteur était très fort dans les années 70 avec des gens comme René Feret. D’ailleurs, on n’allait pas au commercial. Un comédien qui faisait des films d’auteur payait très cher le fait de faire un film commercial, comme j’ai fait « L’hôtel de la plage » (Michel Lang). Il fallait vraiment choisir. Du coup, en faisant du théâtre début 80, ça m’a donné sûrement quelque chose d’exigeant. Et je reste exigeante, même pour un court métrage. L’artistique m’intéresse, par dessus tout.

Vous êtes quelqu’un qui a besoin d’être beaucoup dirigée ?

Mais non, le talent n’a pas besoin d’être dirigé. Quand vous travaillez avec un chef op, vous n’allez pas lui dire exactement quelle lumière il doit faire, vous vous êtes compris avant, on part sur le même film, c’est le principe de la balle de ping-pong, je t’envoie ça, tu me renvois ça.

Plus que le personnage de Mado, qu’est-ce qui vous a plu dans l’histoire du « Monde à l’envers » ?

Exactement ce que ça raconte : une bonne femme de cet âge-là qui dit merde. Dans le film, un enfant désireux d’avoir son confort et d’être bien intégré sort, inquiet, à sa mère : « Tu te rends compte, à 50 berges, tu ne vas plus trouver de boulot » et en face, une mère rétorque : « Non, moi, je ne me mettrai pas un chapeau sur la tronche, j’ai le droit de dire non ». J’aime bien quand il y a du sous-texte et là, il y en a. Ce qui se passe entre cette mère et son fils, leur difficulté à communiquer, la solitude des êtres, c’est formidable. J’aime le rapport vrai. Ça pourrait être du Ken Loach. Lui, c’est mon chéri (rires) !

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C’est un secret ou pas ?

Mon chéri cinéma, parce que malheureusement … (rires) !

On a lu votre bio. Vous savez, vous êtes sur le site de Pure People !

Ah bon, c’est marrant, ça. Ça doit être à cause de Clovis ! Moi, je suis pour le mariage. Trois fois mariée. La dernière fois, j’avais 60 ans ! J’aime ce que racontent les films de Ken Loach. Quand j’ai vu le scénario de Sylvain, je me suis dit : « Ça, c’est pour moi ». L’histoire est ancrée dans le réel, au cinéma, il n’y en a plus tellement et quand on l’effleure, ce n’est pas vraiment ça.

Est-ce que c’est le côté universel de Mado qui vous a plu ?

Absolument, on est là pour ça. On n’est pas très nombreux à transmettre ça et il y a très peu de rôles de femmes comme celui de Mado. En plus, les réalisateurs ne sont pas très intéressés à l’idée de montrer une femme au centre, normale, à qui il n’est rien arrivé de spécial. Le social, maintenant, il faut que ça se passe dans un commissariat. Non, là, c’est juste une tranche de vie et je trouve que ce n’est pas emmerdant (rires) !

Je n’étais pas prédestinée à être comédienne. Si je ne l’étais pas devenue, j’aurais été Mado. Je ne me suis donc pas déguisée en comédienne et je pense que c’est important. Vous savez, j’ai passé ma vie de comédienne à ne jamais lâcher. Quand vous regardez ma carrière, il n’y a que des personnages bien ancrés dans la vie. Je trouve ça bien qu’on me donne ces rôles parce que souvent, ils sont trahis. Moi, je ne les trahis pas. Je les aime à chaque fois. J’ai beaucoup travaillé à la télévision : j’ai joué énormément d’ouvrières, de paysannes, sans arrêt. Ma carrière est traversée par mon milieu et j’y tiens. J’aime bien défendre humainement quelqu’un. Au théâtre, c’est pareil. Mais c’est de plus en plus difficile de trouver des rôles comme ça.

Les étiquettes, les avez-vous senties tout au long de votre carrière ?

Oui, on vous les colle et vous êtes fichés. Moi, je suis un électron libre. A Lyon, quand j’ai commencé, il y avait trois théâtres importants : Planchon, Maréchal et les Célestins. Quand on allait au restaurant après les spectacles, les tables ne se parlaient pas. Quand on travaillait avec l’un, on ne travaillait pas avec les autres. Moi, j’ai travaillé avec les trois ! Ma vie a toujours été comme ça : je peux faire du Blier mais on peut me retrouver dans un truc qui n’a rien à voir !

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Après avoir joué pendant quatre ans une pièce fabuleuse, « Combat de nègre et de chiens » de Bernard-Marie Koltès, mis en scène par Chéreau, avec Picolli et Léotard, on m’a proposé de la télé. À cette époque, tout le monde la boudait, moi, j’ai accepté parce que c’était là où les réalisateurs racontaient leurs histoires. Ça m’intéressait, comme ce court métrage. Aujourd’hui, au contraire, tout le monde court après la télé, et moi, je n’en fait plus.

Finalement, peu importe, pour vous, le support du moment que l’histoire est belle et que le réalisateur a quelque chose à amener !

Voilà !

On va bientôt vous voir dans une web-série !

Ah, pourquoi pas ? Je pense même que ça se rapproche beaucoup de ce que j’aime. Pour un truc superbe, je suis plus que partante. En revanche, on m’a proposé un sketch bidon de 5 minutes, comme il y en a plein à la télé. Ça, non, ce n’est pas pour moi ! C’est sympa mais ce n’est pas ce que j’aime raconter.

Pourquoi ?

Parce qu’on trompe les gens, parce qu’on fait semblant, parce que c’est de l’illusion. Je trouve aberrant qu’on fasse encore des histoires qui n’ont pas lieu d’être et qu’on ne fasse pas celles qu’il faut.

Vous avez le sentiment que la société recule ?

En tout les cas, je reconnais qu’elle me fait bien chier (rires) !

Il y a un manque d’audace ?

C’est surtout que depuis les années 80, les intermédiaires, les agents, les managers, les avocats, ont prise le pouvoir et ça a été une catastrophe. Les castings, c’est eux, le pognon, c’est eux. Qu’est-ce que c’est un artiste, s’il n’est pas singulier ?

Quand par exemple, Blier fait un film avec vous, il ne passe pas par un agent, il vous appelle ?

Oui, autrement, je n’y serais pas. Pareil pour un jeune réalisateur. Sylvain m’a téléphoné. Si vous me voyez dans un film, c’est parce qu’on m’a téléphoné.

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Pour revenir à vos débuts, comment s’est passé la rencontre avec Agnès Varda ?

Oh, ça, c’est le plus beau, c’est le début. Vous l’avez vu, « Nausicaa » ? Le film a été interdit, on ne l’a pas vu à l’époque parce qu’il critiquait la dictature des colonels en Grèce, il a été censuré à la télévision.

A l’époque, tout se passait aux Buttes-Chaumont dans les bureaux des réalisateurs. Les assistants recevaient les acteurs. Il n’y avait pas de castings, on faisait la queue devant chaque bureau. Ça s’appelait le couloir de la honte, à cause de la queue et de l’assistant qui se la jouait un peu. Avec mon môme, je me tapais tout le couloir. Je savais tout ce qui s’y passait, si on cherchait une brune une grande, avec mes photos, ma casquette et mes taches de rousseur. On était payé à la ligne et comme je n’avais pas de pognon et que j’avais mon môme, il fallait absolument que je ramène quelque chose, alors j’y allais ! Un jour, je rentre dans le bureau et l’assistant dit : « Ne bougez pas ! ». Il prend son téléphone : « Allô, Agnès, j’ai une gamine en face de moi, il faut que tu la vois, c’est exactement ce que tu cherches ». Il raccroche et me dit : « Elle vous attend ». J’ai traversé Paris dans un état de joie. Je suis arrivée chez Agnès, ça a été mon premier boulot mais manque de bol, le film n’est pas passé (rires) !

Comment vous êtes-vous habitué à la présence de la caméra ?

Très naturellement, avec des tous petits rôles de plus en plus importants. Par la petite porte, puis par de très belles choses. Quand vous approchez le talent, ça se transmet quelque part… Comme la connerie finalement !

Propos recueillis par Katia Bayer et Géraldine Pioud

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Sylvain Desclous : « Pour la première fois, je n’ai pas eu l’idée de tout maîtriser, contrairement à mes autres films. Là, j’ai laissé le film raconter ce qu’il avait à raconter »

Après « CDD-I » (2005), « Là-bas » (2010) et « Flaubert et Buisson » (2011), co-réalisé avec Vincent Staropoli, le réalisateur Sylvain Desclous revient, avec « Le Monde à l’envers », vers un univers qu’il aime filmer, celui de l’entreprise, et offre à Myriam Boyer le rôle principal, proposant ainsi une lecture plus empathique de la société et de ses travers. Le film a touché l’équipe de Format Court, puisqu’il a reçu notre prix lors du dernier festival de Vendôme. Toujours curieux, nous avons souhaité en savoir plus sur ce réalisateur qui a su nous emporter dans son univers.

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Quel est ton parcours avant ce film ?

Sylvain Desclous : J’ai fait des études de sciences politiques à Aix, une licence de lettres modernes et un DESS de droit, gestion, économie. C’était technique et cela me destinait à passer des concours administratifs. Puis, j’ai fait mon service militaire au Laos, j’étais coopérant, je donnais des cours de français et j’animais une émission de radio. Quand je suis rentré en France, j’avais envie de tout faire sauf ce à quoi j’étais destiné. Le premier boulot que j’ai trouvé, c’était pour le guide du Petit Futé. Puis, j’ai été critique de cinéma pour un portail internet et ensuite j’ai été engagé en CDI dans une maison d’édition. Parallèlement à ça j’ai toujours écrit. En 2003, j’ai écrit un scénario de court métrage, « CDD-I », que j’ai envoyé à la société de production Sacrebleu qui m’a dit banco ! L’année d’après, j’ai été pris à l’atelier scénario de la Fémis. C’est une formation professionnelle qui dure un an pendant laquelle j’ai écrit un scénario de long-métrage. J’ai fait tout cela en poursuivant mon travail. En 2008, j’ai eu l’aide à la réécriture du CNC et j’ai arrêter de travailler pour me consacrer à ce que je voulais faire. La même année, j’ai été pris à Émergence pour mon scénario de long-métrage et j’ai rencontré Florence Borelly, la productrice de Sésame Films. On a décidé de bosser ensemble : on a fait le film « Là-bas », l’année d’après, j’ai fait « Flaubert et Buisson » avec un autre producteur et puis, « Le Monde à l’envers ». Mon parcours n’est pas très académique !

Dans les quatre courts métrages que tu as fait, tu parles beaucoup du monde de l’entreprise. Qu’est-ce qui t’incite, quasiment à chaque fois, à faire une incursion de la campagne au cœur de cet univers « bétonné »?

La campagne est une échappatoire. C’est peut-être un peu naïf et symbolique d’identifier le monde de l’entreprise à celui de la ville. C’est même caricatural. Mais j’ai cette impression qu’à la campagne, au contact de la nature, dans un environnement un peu vierge, il y a quelque chose d’idyllique. Je me dis qu’à la campagne, tout irait un peu mieux. Il m’arrive de me dire que, si les choses tournaient mal, j’irais à la campagne. J’identifie la campagne à un endroit où je pourrais être heureux.

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Cela se voit même dans l’esthétique et dans la narration.

C’est pas vraiment calculé, c’est plutôt inconscient. Les envies viennent des lieux de tournage. Je me demande ce que racontent les décors.

Quelles étaient tes intentions de départ pour « Le Monde à l’envers » ? Que voulais-tu raconter ?

L’intention de départ était de raconter l’histoire d’une femme de cet âge-là, 56/57 ans, qui prend la décision de s’en aller. Une femme qui fuit. Dans le village de mes grands-parents, un jour, près de la voie de chemin de fer, j’ai vu une silhouette s’éloigner. Au loin, on apercevait la campagne. Je me suis demandé où pouvait aller cette personne marchant sur une voie ferrée désaffectée. Ça a été le point de départ du film. Après, je me suis dit que je voulais parler d’une femme qui quitte le monde pour retourner à l’état de nature parce qu’elle sait qu’elle va mourir. Là-dessus, sont venues se greffer plusieurs choses : il s’agit d’une femme qui s’en va car elle ne supporte plus l’humiliation qu’on lui fait subir au travail, qui assume de partir sans savoir où elle va atterrir car elle sait qu’après, cela sera plus dur. Elle tient plus que tout à sa liberté et à sa dignité.

Tu évoques déjà l’humiliation au travail dans « Flaubert et Buisson ». Par contre, dans « Le Monde à l’envers », c’est la première fois qu’une femme est le personnage principal.

Ce n’est pas vraiment voulu. Mais je sais que dans mes premiers films, ce qui manque c’est l’empathie et l’émotion que l’on peut ressentir par rapport aux personnages, c’est assez froid en fait. Alors qu’avec « Le Monde à l’envers », je voulais que l’on ressente vraiment des émotions dans une histoire créée dans un quotidien. Mes autres films étaient plus proches de la science-fiction, dans un ici et maintenant pas vraiment déterminé. Là, je voulais de l’émotion, et c’est ce que m’a permis le personnage interprété par Myriam Boyer. C’est une femme qui aime la vie et sa liberté, quoi qu’il lui arrive. C’est un personnage assez gai, plus fort que tout.

Comment as-tu choisi Myriam Boyer ?

Je l’avais vu dans « Le bruit des glaçons » de Bertrand Blier, et elle dégageait une telle énergie malgré son rôle sombre, une telle joie de vivre qu’elle m’a énormément plu. Je l’ai rencontré et elle a aimé le rôle.

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Il y a pas mal de non-dits dans ton film.

Il y a eu l’écriture et le tournage. Ce sont les comédiens qui ont amené la délicatesse des non-dits au moment du tournage, avec la finesse des regards, les silences. On avait un peu répété avant de tourner mais on a finalement assez peu parlé des rôles. Par exemple la séquence de l’apéro n’était pas écrite comme ça, elle était un peu plus dure. Les scènes se sont affinées sur le plateau. Parfois, il ne faut pas tout écrire. C’est un film que j’ai pris plaisir à monter car il y a plein de choses que j’ai découvertes au montage. En fait, pour la première fois, je n’ai pas eu l’idée de tout maîtriser, contrairement à mes autres films. Là, j’ai laissé le film raconter ce qu’il avait à raconter. C’est un film du lâcher prise ! Un film, c’est ce que tu amènes, mais aussi ce que les autres y amènent. J’adore cette phrase de Robert Bresson : « Ne cours pas après la poésie. Elle pénètre toute seule par les jointures ».

Était-ce important de donner de l’espoir dans le film ?

Oui. Et la musique y contribue, surtout dans le dernier plan. Avant ça, j’avais une autre idée de musique, mais ça donnait l’impression que Mado allait se suicider. Là, il y a toujours quelques spectateurs qui pensent que l’histoire finit mal, mais beaucoup moins qu’avec la musique initiale.

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Il y a aussi une jolie histoire de tournage qui donne de l’espoir…

Oui. La chef des caissières, au supermarché où nous avons tourné, qui a coaché Myriam et les autres comédiennes, m’a dit, à la fête de fin du tournage qu’elle avait pris beaucoup de plaisir dans cette expérience, qu’elle avait pris la décision de quitter son travail et de se remettre à la danse. C’est une femme d’une cinquantaine d’années, on s’était très bien entendu et elle a vraiment bien accroché avec Myriam. J’étais très heureux pour elle.

Que t’as appris le format court ?

Tout. Je ne savais rien avant mon premier film, « CDD-I ». On tournait en pellicule, la scripte me guidait parce que je ne savais pas vraiment quand couper ! J’ai appris avec le court à faire confiance, à déléguer.

Propos recueillis par Géraldine Pioud et Katia Bayer

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Le Monde à l’envers de Sylvain Desclous

Dans le monde de l’entreprise, il y a ceux qui acquiescent et ceux qui résistent. Mado, le personnage principal du film de Sylvain Desclous, « Le Monde à l’envers », Prix Format Court au dernier Festival de Vendôme, appartient à cette deuxième catégorie. Mais pourquoi donc le monde est-il à l’envers ?

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Mado (Myriam Boyer), la cinquantaine, a en elle cette folie qui ne se réveille complètement que chez les êtres libres. Elle a la possibilité de dire non, parce qu’elle se l’autorise et aussi parce qu’elle est digne. Mado ne se laisse pas dicter sa conduite, son quotidien ; elle s’adapte aux contraintes mais n’en fait pas toute une histoire. Au supermarché dans lequel elle est caissière, elle apparaît comme celle qui ne se soumet pas d’emblée au ridicule (le port d’un chapeau obligatoire). Même si elle finit par céder, de crainte de ne pas voir son CDD renouvelé. L’échappatoire, elle la trouvera en se rendant chez son fils, à la campagne. Un fils qu’elle voit peu, et qui ne vient pas la voir. Lui ne comprend pas le manque d’ambition professionnelle de sa mère. Il est soi disant plus responsable qu’elle, plus investi dans son existence. Ce monde est à l’envers parce que c’est le fils qui tente de résonner la mère et non l’inverse. Au-delà de l’apparente incompréhension qui peut se lire dans leurs rapports, la présence d’une tierce personne, le colocataire du fils, réveillera les tensions tout en conduisant chacun à ses propres questionnements. Les liens ne sont jamais là où on les attend.

Avec tact et distance, Sylvain Desclous propose une lecture acerbe du monde de l’entreprise et de ses avilissements. Il laisse ses comédiens (Myriam Boyer, Vincent Macaigne, Guillaume Viry) rendre possession de l’espace, et de là naissent de beaux moments de grâce. Dans « Le Monde à l’envers », le supermarché où se déroule la première partie du film n’est qu’un prétexte. Il pourrait s’agir de n’importe quelle société. Ce lieu, huis-clos tyrannique et parfois solidaire, révèle la personnalité du personnage de Mado sous les traits de (l’excellente) Myriam Boyer. Mado est une et toutes, identité multiple qui vit sa vie dans la liberté et la dignité. Mado n’est comme personne et pourtant elle est tout le monde. Combien y a-t-il de Mado autour de nous ? Combien y a-t-il d’êtres libres?

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En allant voir son fils, Mado est moins dans la fuite que dans l’échappatoire. Elle espère renouer des liens, faire sens à la filiation. Ces retrouvailles, développées dans la seconde partie du film, se déroulent à la campagne, dans un univers en totale opposition avec le quotidien de Mado. Une façon de revenir aux sources, de s’y perdre un peu afin de mieux se retrouver par la suite. Tout le long, on est frappé par le courage et la détermination nonchalante de Mado, par sa capacité à éveiller le positif presque malgré elle. Au bout du compte, « Le Monde à l’envers » est une œuvre touchante, poignante, parfois drôle ou triste. Une chose est sûre : elle ouvre la voie royale du long à son réalisateur !

Géraldine Pioud

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M comme Le Monde à l’envers

Fiche technique

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Synopsis : Une ville moyenne de province. Mado, cinquante six ans, est caissière dans un supermarché. CDD d’un an renouvelable. Une bonne place pour certains. Une éternité pour Mado. Un beau jour, elle s’échappe. Direction la campagne. Un petit pavillon où vit ce fils qu’elle aime tant et qu’elle voit tellement peu.

Réalisation : Sylvain Desclous

Genre : Fiction

Durée : 37′

Année : 2012

Pays : France

Scénario : Sylvain Desclous

Image : Julien Roux

Son : Christophe Vingtrinier, Alexandre Hecker, Alexis Farrou

Montage : Gwénola Heaulme

Décors : Sébastien Gondek

Musique : Amaury Chabauty

Interprétation : Guillaume Viry, Christelle Cornil, Guillaume Briat, Myriam Boyer, Béatrice Michel, Vincent Macaigne

Production : Sésame Films

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Sylvain Desclous, Prix Format Court au Festival de Vendôme 2012

En décembre passé, nous avions récompensé du Prix Format Court  « Le Monde à l’envers » de Sylvain Desclous, au 21e Festival de Vendôme (également lauréat du Prix du Jury étudiant et du Prix d’interprétation). Parmi les 22 films issus de la compétition nationale, le Jury Format Court (Katia Bayer, Nadia Lebihen-Demmou et Géraldine Pioud) avait été séduit par le portrait sans concession de la société de consommation dressé par Sylvain Desclous et par l’interprétation sans failles de Myriam Boyer, une Mado forte et insoumise, caissière dans une grande enseigne de supermarchés. Après avoir projeté le film à notre séance de janvier au Studio des Ursulines, en présence de l’équipe, nous vous proposons d’en savoir plus sur le film, son auteur et sa comédienne principale dans ce focus personnalisé.

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L’interview de Myriam Boyer, comédienne principale de « Le Monde à l’envers »
L’interview de Sylvain Desclous, réalisateur de « Le Monde à l’envers »
La critique de « Le Monde à l’envers » de Sylvain Desclous
Soirée Anniversaire Format Court, les photos !
Format Court vous souhaite à tous et à toutes une belle et heureuse année 2013 et vous invite à fêter son quatrième anniversaire le jeudi 10 janvier au Studio des Ursulines !
Festival de Vendôme : Prix Format Court pour “Le Monde à l’envers” de Sylvain Desclous !

GENERATOR 2013. Fundacja Ad Arte : expérimenter et multiplier les formes de diffusion en Pologne et en Europe. Entretiens avec Weronika Drzewińska et Marcin Łuczaj

Réunies à Strasbourg dans le cadre de GENERATOR 2013, de nombreuses associations dédiées à la création et la diffusion du court-métrage, venues des quatre coins de l’Europe, ont mis en avant différentes manières d’aborder la distribution. Particulièrement originale et active en Pologne et en Europe, la Fondacja Ad Arte (basée à Poznań depuis sa création en 2003) se caractérise par la mise en place de multiples formes de diffusion, en reliant notamment le cinéma à la performance et à la musique. Dirigée par Szymon Stemplewski, la fondation emploie six personnes et travaille avec de nombreux bénévoles. Nous avons rencontré deux membres actifs, Weronika Drzewińska (coordinatrice des projets) et Marcin Łuczaj (coordinateur du cycle « World Shorts » et « Short Waves »), pour mieux identifier leurs objectifs et comprendre ce que peut signifier la distribution des courts-métrages aujourd’hui.

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Quels sont les buts de vos actions autours du court-métrage ? Sur quels principes la fondation repose-t-elle ?

Marcin Łuczaj : Nous nous occupons de la promotion du court-métrage dans son ensemble. La promotion signifie évidemment la diffusion mais aussi la mise en place concrète de formules qui donneront à voir les films aux spectateurs dans des contextes précis et cohérents. L’idée est de diffuser les films internationaux en Pologne et de diffuser les films polonais dans les pays étrangers.

Weronika Drzewińska : Ce qui nous intéresse n’est pas le court-métrage au sens restreint. Tous les types de travaux audiovisuels (incluant les clips musicaux) sont diffusés dans les événements que nous organisons ou auxquels nous collaborons. Par exemple, l’événement annuel intitulé Vivisesja a pour objectif de créer des rapports féconds entre la musique et les nouveaux médias. Nous recherchons une alchimie venue de la culture numérique !

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M.Ł. : Nous organisons concrètement des résidences mensuelles qui s’organisent autour d’un pays (par exemple autour de la Finlande, dans un programme appelé « Finnish Shorts ») et qui se déplacent dans une quinzaine de villes en Pologne.

W.D. : Avec ces programmes de courts nationaux, notre objectif n’est pas seulement d’inonder les grandes villes mais aussi d’aller dans de plus petites villes. Et puis il ne s’agit pas forcément de projections dans des cinémas; les programmes peuvent être diffusés dans des clubs, des galeries, etc.

M.Ł. : En ce qui concerne la diffusion des films polonais à l’étranger, nous organisons des séances appelées « Short Waves ». Il s’agit d’un programme réunissant les meilleurs courts-métrages polonais récents. Ils voyagent dans vingt pays différents.

W.D. : Pour inaugurer le programme « Short Waves », nous organisons chaque année un festival homonyme à Poznań.

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Quels sont les critères de sélection des films ?

M.Ł. : Il faut couvrir le paysage cinématographique d’un pays, donner à voir des films de différents genres et de plusieurs styles. Pour le programme dédié aux films français (« French Shorts »), nous voulions évidemment inclure des drames à la forme classique mais aussi des films plus expérimentaux. Il faut rompre avec les stéréotypes que l’on peut se faire du pays en question.

Selon vous, que signifie « faire la promotion du court-métrage » ?

M.Ł. : D’abord, cela nous incite à nous associer financièrement avec le P.I.S.F. (Polish Film Institute). Grâce à cette relation, nous avons pu élaborer par exemple un focus autour de la Pologne à Reykjavik (Islande). Ensuite, cela signifie étendre notre réseau, nos contacts, pour trouver des manières et des lieux pour diffuser. Nous organisons des « Polish parties » et des concerts où sont diffusés les films.

W.D. : Lorsque l’on parle de promotion, on parle évidemment du public. Or, où que nous allions dans le monde, nous avons un public d’origine polonaise qui est presque acquis. Notre but est de privilégier le public local.

M.Ł. : Nous avons de la chance, car quand on évoque le cinéma polonais en Europe, cela fait appel à l’imaginaire commun. La tradition polonaise du cinéma est très connue à l’étranger, en général les gens connaissent Krzysztof Kieślowski et Roman Polański. Nous ne partons donc pas de rien.

W.D. : Il y a des formes de diffusion qui fonctionnent pour certains pays, mais qui ne fonctionnent pas pour d’autres. Nous essayons donc toujours de trouver des manières spécifiques d’aborder le cinéma polonais dans le pays où l’événement a lieu. Comme l’imaginaire et les attentes du public sont différents, il faut écouter et faire preuve d’adaptation, en trouvant des relais locaux.

Vous occupez-vous également de la production des films ?

M.Ł. : Pas directement. Mais nous aidons les cinéastes en les orientant lorsqu’ils sont à la recherche d’informations et de financements. Par ailleurs, nous mettons en place des programmes d’éducation à l’image.

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© Anna Wawrzycka Atach / Michal Englert

Le dernier film de Małgorzata Szumowska (réalisatrice de « Elles ») est sélectionné en compétition à la prochaine Berlinale, avec son film « In the name of… ». Est-ce qu’un tel événement vous permet de faire connaître le cinéma polonais à l’étranger et par ricochets d’assurer plus facilement la promotion du court-métrage ?

W.D. : Il ne s’agit pas d’un événement, mais d’un épisode éphémère. Notre travail doit s’inscrire dans le temps.

La création du P.I.S.F. (équivalent polonais du CNC) en 2004 a-t-elle une influence sur la qualité des films et sur la distribution des films polonais ?

M.Ł. : La création de cette institution – aujourd’hui dotée d’un budget très conséquent – a rendu les choses plus démocratiques. Elle offre de nombreuses possibilités pour les auteurs et les diffuseurs. Les grandes idées peuvent enfin être réalisées.

W.D. : Ce qui est intéressant, c’est le fait que le P.I.S.F. met de l’ordre dans l’organisation du financement et de la diffusion. Il est certain que nous sommes désormais privilégiés par rapport à d’autres pays d’Europe de l’Est.

M.Ł. : Une autre institution comme la Krakowska Fundacja Filmowa (équivalent de l’Agence du court-métrage) aide également à la distribution des films en s’occupant, par exemple, d’envoyer les films dans les festivals. Désormais, le système institutionnel et industriel a mieux conscience des méthodes employées en Europe occidentale et possède des contacts précieux. Aussi les institutions peuvent-elles nous suivre pertinemment dans nos démarches.

Propos recueillis par Mathieu Lericq (Strasbourg)

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