Jonas Odell : « Dans mes films, j’essaie de laisser les personnages exprimer ce qui leur tient à cœur dans leurs propres histoires »

Jonas Odell vit et travaille à Stockholm. L’homme est connu pour ses films-témoignages, ses effets miroir, ses couleurs psychédéliques, ses images monochromatiques, ses collages d’éléments et son sens du graphisme hors du commun. Bref entretien autour du documentaire animé, des images vides et de l’expérimentation.

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Comment es-tu rentré dans le monde de l’animation ? Quelles étaient tes influences artistiques au tout début ?

J.O. : Quand j’étais petit, j’ai fait quelques films animés en 8mm avec des amis. Mes influences étaient limitées à ce qu’on nous donnait à voir à l’époque, à savoir des cartoons américains et des animations de l’Europe de l’Est pour enfants. Ça m’a pris beaucoup de temps pour me rendre compte que les meilleures influences, s’il y en a, viennent de l’extérieur de son propre domaine.

« Revolver », un de tes premiers films, est très minimaliste, c’est aussi un travail d’équipe. Depuis, tu es passé à la couleur, à un style d’animation plus hybride et à des projets solos. Comment s’est opérée cette transition ?

J.O. : Avant de faire « Revolver », nous avions essayé de faire quelque chose de minimaliste sans réussir, mais la couleur et le côté hybride étaient déjà là. En ce qui concerne le travail en équipe, on a constaté que travailler à plusieurs réalisateurs sur un même projet était plutôt inefficace, surtout qu’on avait des films de commande à réaliser chacun de nôtre côté. Ceci dit, faire un film reste un projet collectif, même s’il n’y a qu’un réalisateur.

Tes films se distinguent par leur côté pressant, par leur rythme appuyé et par leur sens du détail. Est-il important pour toi de favoriser une sorte de saturation sensorielle et de ne pas proposer d’image vide ?

J.O. : J’aimerais bien proposer à chaque fois une image vide ! Le côté pressant vient en partie du fait que je travaille sur un format court et condensé et sans doute à cause de mon propre côté agressif.

En contraste à ton animation riche et colorée, les sujets de tes films sont souvent sérieux et les narrateurs plutôt sobres. Est-ce que ça t’arrive de te censurer afin que le visuel ne prenne pas le dessus sur le récit ?

J.O. : Certainement. Le visuel est un moyen de raconter une histoire. Celle-ci doit toujours occuper une position principale.

Tes films, « Never like the First Time ! », « Lies », « Tussilago », traitent souvent de la mythologie et la fiabilité du narrateur. Le spectateur est amené à questionner l’ « honnêteté » du médium cinématographique. Qu’est-ce qui t’attire dans cette thématique et dans le genre documentaire animé ?

J.O. : Lorsqu’on a commence a tourner « Never Like the First Time ! », j’en avais marre du côté auto-citationnel de l’animation. J’ai voulu apporter de la « vérité », de la « réalité » dans mes films en travaillant avec des vraies personnes qui racontaient de vraies histoires. Bien évidemment, en faisant ça, on doit se soucier de savoir si ces gens sont en train de mentir ou de fabriquer des histoires. Ces soucis m’ont donné l’idée de faire le film suivant, « Lies ».

Je pense aussi qu’il y a quelque chose de très intéressant dans le terme « documentaire animé ». Ça paraît presque paradoxal, et d’une certaine façon, ça interroge la nature du genre documentaire. Je suppose que tout art parle de son propre médium autant que d’autres sujets.

Est-ce que tu te permets beaucoup de liberté en représentant les personnes que tu rencontres ? Comment est-ce que leurs visages, leurs attitudes prennent forme ? De tes souvenirs, de tes notes ou bien sont-ils purement imaginaires ?

J.O. : Cela doit toujours découler des histoires elles-mêmes.

Tes trois derniers courts parlent d’amour, de mensonge et de terrorisme. Ressens-tu une responsabilité par rapport aux sujets qui se confient à toi ?

J.O. : Dans mes films, j’essaie de laisser les personnages exprimer ce qui leur tient à cœur dans leurs propres histoires. Il y a aussi une autre responsabilité, celle de choisir la façon de raconter ce qui correspond le mieux à l’histoire en question, plutôt que d’adopter un style basé sur des idées reçues.

« Never like the First Time! » et « Lies » offrent plusieurs témoignages dans le même film, alors que « Tussilago » se concentre sur une seule histoire. Qu’est-ce qui t’a motivé pour faire ce dernier film ?

J.O. : J’avais lu des reportages sur cette affaire de terrorisme, et il m’a semblé que l’histoire de cette femme n’était pas comme les autres. Alors, j’ai décidé que son histoire méritait d’être racontée de son propre point de vue.

Tu as travaillé avec les Rolling Stones, U2 et Franz Ferdinand. Dans quelle mesure étais-tu libre dans le choix de l’animation que tu leur as proposé ?

J.O. : Dans des cas pareils, on reçoit en général un descriptif à l’avance, qui peut être assez indéfini, du style « Nous désirons voir les artistes à l’image, mais pas en train de jouer ». Par exemple, dans le cas de Franz Ferdinand, on m’a envoyé une note plus précise en mentionnant le dadaïsme comme potentiel point de départ.

Qu’est-ce que la pub et le clip vidéo représentent pour toi en tant qu’animateur ? En quoi est-ce que les défis liés à ce genre diffèrent de ceux des courts narratifs ? Est-ce que la pub offre un champ d’expérimentation que le cinéma ne permet pas ?

J.O. : Les deux sont complètement différents. Dans les pubs et les clips, il y a une collaboration avec les commanditaires. Les pubs ont l’avantage d’être très courtes et doivent être faites dans des délais brefs. Cela offre une certaine satisfaction de réaliser quelque chose rapidement. D’une certaine manière, il y a plus de place pour l’expérimentation dans la pub car les budgets sont plus importants. D’un autre côté, le fait que quelqu’un paie pour cela fait qu’il y a un peu moins de liberté pour l’expérimentation.

As-tu l’intention de faire un long métrage un jour ? Auras-tu alors envie d’explorer de nouvelles voies dans l’animation par rapport à ce que tu as pu faire dans le court ?

J.O. : Absolument. D’ailleurs il n’est pas certain que ce sera une animation !

Interview Internet réalisée par Katia Bayer et Adi ChessonTraduction, mise en forme : Adi Chesson

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