Cross de Maryna Vroda

La Palme d’or du court-métrage du 64ème festival de Cannes a été remise à Cross de Maryna Vroda. Ce prix récompense l’audace de cette jeune réalisatrice ukrainienne de 29 ans qui signe ici son premier opus depuis sa sortie de l’Université nationale des arts théâtraux et cinématographiques de Kiev, lieu où elle avait déjà réalisé quatre courts-métrages. Avec ce film puissant, elle réussit avec grâce à toucher à l’essentiel. En avançant avec finesse, par petites touches pointillistes, elle amène le spectateur à se questionner sur sa condition d’être humain et sur le sens de sa propre existence.

Cross se réfère ici à une course à pied qui se pratique sur un terrain ayant des obstacles naturels. Le film raconte l’histoire d’un jeune adolescent qui court dans une immense forêt de grands conifères. D’abord, il court avec sa classe avant de se faire rejeter du groupe et de continuer seul à cavaler entre les troncs. Témoin d’un crime, il est confronté à la mort et s’enfuit à toutes jambes. À bout de souffle, le héros s’arrête finalement sur une plage touristique et observe à son tour un homme courir, cette fois sur l’eau. La vision d’un baigneur qui, dans une grande bulle flottante, court sur place et s’agite frénétiquement dans un ballon de plastique fait inévitablement penser à la course des souris en cage qui, dans leur roue se dégourdissent les pattes. L’insistance avec laquelle Maryna Vroda capte à travers la fibre de plastique les mouvements désordonnés de ce corps crée une analogie avec la course de l’adolescent. La perception de cette activité perd son sens initial (courir pour se maintenir en forme, fuir ou se divertir) pour devenir poétique et même métaphysique. Le mouvement ainsi dépouillé de son enveloppe signifiante renvoie le spectateur à sa condition d’être humain. Il est convié à regarder la pulsion et l’énergie de la vie à l’état brut et à se rappeler que la seule certitude que l’homme a quant à la destination de sa trajectoire est celle de mourir.

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Ces images fortement évocatrices de l’absurdité de la vie, de la perte, de l’errance et du vide existentiel, parfois proche de l’expérimental, ne se réduisent pas à leurs symboliques mais les transcendent pour véritablement s’incarner. Malgré les apparences, ce film ne porte pas un regard blasé ou noir sur notre condition d’être humain. Cross est en fait un film lumineux, il dégage une grande humanité. Car sous l’œil bienveillant de Maryna Vroda, la course, même si elle est fuite en avant, pulsion, est la vie. Le mouvement en est la définition même, tout comme il est l’essence du cinéma.

Ce film rend ainsi hommage à la force de cet art qui devient un moyen de reconnecter le spectateur à ce qu’il a de plus profond, insondable et universel. Cross est une expérience de cinéma mais surtout en nous renvoyant à nous-mêmes en fait un film nécessaire. Dans cette société du risque où l’on voudrait tout contrôler et tout prédire, le film de Maryna Vroda invite le spectateur à lâcher prise, à savourer la beauté de chaque instant justement parce qu’il n’oublie pas que la mort est toujours présente et peut frapper à n’importe quel moment.

Isabelle Mayor

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