Damien Manivel. Présence, combat & obsession des corps

Damien Manivel ne passe pas inaperçu. Sa chevelure fougueuse et rousse le distingue facilement parmi la foule. Son film La Dame au chien, Grand Prix du jury à Vendôme en décembre dernier, est à son image puisqu’il dénote et surprend dans le paysage du court métrage. Rencontre faiblement alcoolisée par un après-midi d’hiver.

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© AA

Format Court : La structure de La Dame au chien est assez étonnante. Dès le début, on arrive au beau milieu d’une scène où l’histoire a déjà commencé. Comment s’est passé le travail d’écriture ?

Damien Manivel : Rémi Esterle, le coscénariste du film, est venu me voir avec une nouvelle de Murikami « La Dernière pelouse de l’après midi ». Ça faisait des années que je lui parlais d’adapter cet écrivain. Il m’a dit : « Il ne se passe rien mais c’est une histoire qui te reste. C’est fait pour toi ». Nous sommes partis de là non pas en l’adaptant mais plutôt en s’en inspirant. J’en ai retenu la rencontre entre une personne plus âgée et un adolescent introverti mais la femme n’était pas noire, il n’y avait pas de chien, pas de huis clos. Le matériau préexistant nous a donné confiance et envie de faire ce film. On l’a écrit très facilement en quatre mois. On s’est amusé à l’écrire, ce film.

Comment s’est fait le choix des acteurs ?

D.M. : La première personne que j’ai rencontrée était Elsa. C’est mon co-scénariste qui me l’a présentée. Je ne pouvais pas ne pas la prendre. Elle m’a tout de suite pris dans ses bras, je ne l’avais jamais vue, un truc très fort s’est produit tout de suite. A partir du moment où on a eu Elsa pour le film, qui a une vraie présence, une particularité physique, il s’agissait de trouver un adolescent qui puisse lui répondre, avoir autant de présence qu’elle. Le film est un peu construit comme un combat.

Je n’ai rencontré que deux jeunes, avec Rémi, ça a aussi été immédiat. Pour le chien par contre, j’ai fait un casting et on a trouvé un chien non professionnel. Je l’ai vu au bois de Vincennes et je l’ai adoré tout de suite. Physiquement, il était très présent notamment via sa maigreur.

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Comment s’est passé le travail avec eux, y a t-il eu des répétitions ?

D.M. : Pour l’anecdote, Elsa se trouve être la prof de danse de la mère de Rémi, ce qui est une pure coïncidence. On a fait une répétition qui a d’ailleurs été décisive car j’ai pas mal changé les dialogues après. Elsa et Rémi se sont rencontrés une seule fois, j’avais peur sinon que quelque chose se perde. Je crois que ça sent d’ailleurs dans le film que Rémi et Elsa se découvrent.

Vous disiez qu’Elsa était chorégraphe. Vous-même, vous avez été danseur. Vos précédents films « Viril » et « Sois sage ô ma douleur » étaient d’ailleurs tous deux chorégraphiés. Comment avez-vous utilisé la danse dans votre mise en scène et la chorégraphie de ces deux corps que tout oppose ?

D.M. : Ce que je garde de la danse, c’est l’obsession des corps en mouvement, le sens du rythme. C’est ce que je préfère au cinéma. Je suis plus sensible au rythme qu’à la lumière par exemple. En ce qui concerne les scènes, je m’adapte. Mon rêve, c’est la chorégraphie mais je travaille avec des acteurs non professionnels. J’essaye de coller à mon idéal. Diriger Elsa était très différent de diriger Rémi. Il m’a beaucoup étonné, il avait un naturel tout en agissant comme un pro en refaisant les scènes de façon identique. Elsa, elle, avait déjà des techniques de jeu et beaucoup d’expérience.

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Le film provoque parfois une certaine gêne chez les spectateurs, notamment lors de la scène où Rémi est invité à monter dans la chambre d’Elsa. Quelles étaient vos intentions ?

D.M. : Oui, on est vraiment sur le fil, et j’ai essayé de m’y maintenir mais ça aurait pu ne pas fonctionner. Je voulais créer un malaise mais pas un malaise gratuit. On est surtout proche du malaise du jeune homme. Il est clair qu’il pense à l’éventualité d’un rapport sexuel et en même temps il se dit que non. Il est perdu entre toutes ces questions propres à l’adolescence. C’est comme un moment comprimé. Je voulais surtout créer une ambigüité. Les installer comme un couple dans une chambre, tout en sachant que le spectateur se dit « non ça n’est pas possible, ils ne vont pas passer à l’acte ». Ce qui m’intéresse c’est pour quelles raisons le spectateur pense à ça. Est-ce dû à leurs physiques si différents, à leur âge ? Cela rejoint la question du corps et mon envie de filmer des gens pas forcément beaux comme au cinéma.

On m’a souvent reproché de ne pas être assez clair sur les intentions du personnage féminin, je maintiens le fait que je ne sais rien de ses motivations. Du point de vue du jeune homme, elle est opaque et mystérieuse. Pour moi aussi.

Amaury Augé

Article associé : la critique du film

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