Splitting the Atom d’Edouard Salier

Edouard Salier est un habitué de la sélection Labo du Festival de Clermont-Ferrand, on se souvient de l’émerveillement provoqué par des oeuvres comme « Flesh » ou « Four », les années précédentes. Il est de retour cette année avec le premier clip du diptyque qu’il a réalisé pour l’album Heligoland de Massive Attack : le très envoûtant « Splitting the Atom » . Encore une fois, l’enthousiasme est au rendez-vous et cette nouvelle oeuvre nous conforte dans l’idée qu’Edouard Salier est l’un des réalisateurs les plus doués du Motion Design.

Au cours d’un long plan séquence en 3D, plusieurs scènes figées de destruction se succèdent à l’écran en utilisant la dilatation temporelle. En effet, l’idée est d’exposer une situation catastrophique dans un temps figé, en débutant par les conséquences de l’attaque sous forme de scènes éparses de démolition, pour aboutir progressivement à une vision plus globale du drame et découvrir la cause de tout cela. Cette utilisation de la temporalité fixe permet à la fois d’accrocher le spectateur et de créer une attente auprès de lui, mais aussi d’exposer le propos du réalisateur de manière plus efficace.

Le film commence par l’exploration de formes géométriques sombres, taillées dans des blocs de granit noirs et réfléchissants, qui se transforment petit à petit en montagnes de glace, à l’aspect malfaisant. L’action prend ensuite pied dans une ville froide, de type occidental, aux formes tranchantes : un symbole de l’impérialisme décadent. Des scènes catastrophiques dépeignent des explosions, des accidents de voiture, d’hélicoptères, des mouvements de panique, toute sorte d’événements rappelant une attaque terroriste. Jusqu’à la découverte de l’attaquant, nous soupçonnons une origine humaine, mais cela relève plutôt de la responsabilité d’un monstre géant aux dents acérées et aux yeux rouges, la version monstrueuse et athlétique de ce qui ressemble le plus à un lapin blanc. Ce « lapin géant » est une force de la nature, faite de chair et de sang (il possède une blessure ouverte sur son flanc), en proie à une profonde fureur. Il dénote de par sa couleur et sa « texture » organique, avec l’humanité lisse, froide, carrée, robotique et sans vie (pas de blessure apparente chez les humains malgré toutes ces scènes de destruction). Le dernier plan est une vision mi-humaine, mi-robotique, aux yeux rouges, une sorte de « Terminator » squelettique tournant la tête vers le spectateur, qui évoque la mort en marche, un futur apocalyptique et incertain, et nous renvoie à notre propre responsabilité vis à vis de cette situation : que faisons-nous pour éviter un tel désastre ?

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Art du compositing, fluidité et maîtrise des CGI, « Splitting the Atom » réussit à la fois à se fondre dans l’univers musical de Massive Attack, et à exposer des thématiques et des symboles chers au réalisateur : la chute de l’impérialisme, la déshumanisation, la soudaineté de l’attaque, la passivité, les symboles d’une paix contrariée (une statue avec des « colombes » s’envolant à la suite d’un mouvement de panique), d’une religion impuissante (un « christ » crucifié chutant inexorablement), du sexe comme palliatif désespéré (un couple en plein acte au détour d’un plan d’immeuble). Le film fonctionne comme une sonnette d’alarme, un miroir déformant de notre réalité, il représente un monde en déliquescence qui subit une attaque de l’intérieur par un monstre qu’il aurait pu créer (qu’il a créé ?).

Il est cependant dommage que le deuxième clip du diptyque, « Atlas Air », n’ait pas trouvé sa place dans la sélection de Clermont cette année, tellement il fait écho et se pose en complément à l’univers visuel et thématique déjà fort riche de « Splitting the Atom ».

Julien Savès

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