The Solitary Life of Cranes (La vie solitaire des grues) de Eva Weber

Ô temps, suspends ton vol

Parmi les films de la carte blanche accordée au Festival de films de femmes « Elles tournent – Dames draaien », le documentaire vertigineux « The Solitary Life of Cranes » de Eva Weber propose un regard inédit sur une Londres insoupçonnée.

Dans la veine d’un Flaherty qui désirait filmer le mode de vie d’un inuit de la côte est de la baie d’Hudson dans les années 20, Eva Weber nous ouvre les portes du monde des grutiers londoniens du 21ème siècle. A la différence du père spirituel du documentaire, la réalisatrice anglaise s’intéresse davantage au style qu’à la narration, à la pensée abstraite qu’au geste concret, à la solitude de ces acrobates urbains qu’au quotidien des proches qui les entoure.

Perchés en haut de leur machine, David, Simon, Tony et bien d’autres ont une vue imprenable sur la city. Du lever au coucher du soleil, la cinéaste tente de saisir l’intériorité de ces hommes. Et le fruit de ses observations se retrouve joliment assemblé en une symphonie spirituelle qui explore la vie secrète de la capitale anglaise. Ici et là, un couple dans l’intimité, une dame qui traverse, des yuppies qui vont au travail et qui ressemblent à des fourmis, à des robots qui ne prennent plus le temps de suspendre les secondes qui filent à vive allure.

Voir sans être vu, sans jumelles ni longue-vue mais observer du haut d’une grue ce qu’il se passe tout en bas répond à un fantasme de démiurge. Sans tomber dans le travers d’un voyeurisme de reportage, Weber transcende des histoires individuelles en mythe universel grâce à son approche stylistique qui reflète la façon dont elle perçoit le métier de grutier, une profession coupée du monde comme serait celle d’un vieil ermite retiré au fin fond des montagnes orientales.

Un orient mystique ramené dans le ciel de Londres par la magie d’une musique, d’un regard et d’une voix, celle de la réalisatrice qui hisse, grâce à son film, le court métrage documentaire bien au-delà des grues qui nous contemplent.

Marie Bergeret

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