The Heart of Amos Klein (Le Cœur d’Amos Klein) de Michal Pfeffer-Kranot et Uri Kranot

Sélectionné dans divers festivals dont celui de Clermont-Ferrand et Anima, « The Heart of Amos Klein » (Le Cœur d’Amos Klein), dernier film des animateurs israéliens Michal Pfeffer-Kranot et Uri Kranot, entremêle l’artistique et le politique, dans la lignée de leurs précédents courts métrages.

« Le Cœur d’Amos Klein » juxtapose l’histoire d’un officier israélien avec celle de son pays. Afin de relever le défi de cette narration métaphorique, les deux réalisateurs, anciens étudiants et actuels professeurs de l’école Bezalel (Jérusalem), inventent un style singulier, caractérisé par une sobriété esthétique, une narration par flashbacks, et un récit quasiment muet.

Structurellement, l’histoire d’Amos Klein est subdivisée en chapitres reliés par une image centrale : l’apparition ponctuelle du cœur de Klein lui-même. Frêle et malade, le cœur est d’une certaine manière le véritable protagoniste du récit. Klein subit une telle accumulation d’événements personnels et historiques (brimades pendant l’enfance, amputation d’un bras pendant le service militaire, …) que son cœur est sur le point de lâcher. Là réside toute l’allégorie du film. Le cœur d’Amos Klein symbolise-t-il le cœur d’une nation déchirée par l’incertitude et l’insécurité dès sa création, un État marqué par le militarisme, la corruption et l’endoctrinement ?

Sur le plan visuel, ce qui frappe le plus le spectateur est le jeu chromatique. Chaque séquence est réalisée dans une couleur particulière et représente non seulement un événement historique mais aussi une phase clé de la vie d’Amos Klein (déclaration de l’Indépendance d’Israël, Intifada, érection du mur de séparation, …). À la manière des premiers films colorisés, les souvenirs d’Amos, vécus en flashbacks lors de sa transplantation cardiaque, sont monochromatiques. Par contre, les images du présent filmique sont, elles, richement colorées. Par cette technique, « Le Cœur d’Amos Klein » se distingue des films précédents du duo Pfeffer-Kranot, plutôt traversés par le noir et blanc.

Les réalisateurs assurent aussi la continuité de la narration de plusieurs autres façons : par le biais d’éléments visuels et sonores, du double registre microcosmique/macrocosmique, et du jeu entre les images réelles et mentales. Par exemple, le battement du cœur d’Amos se fond avec le son du sifflet qui rythme une marche de soldats. De même, le cheminement d’une balle dans les veines du personnage renvoie au parcours d’une automobile dans le désert. Ces exemples démontrent un travail sur l’image mais aussi sur la bande-son. Celle-ci, épurée et marquée par de longs silences, ne fait intervenir la musique que pour accompagner les images d’archives illustrant les événements historiques. La partition, composée par Uri Kranot lui-même, est à la fois héroïque et touchante, avec une mélodie récurrente jouée au clairon et évocatrice des films de guerre.

Malgré un sujet délicat et controversé, le film réussit à éviter des lourdeurs ou des jugements faciles. La pudeur avec laquelle les réalisateurs expriment les événements de l’histoire de leur pays contribue en grande partie à cette subtilité. C’est pourquoi la description des émeutes et des guerres se fait par le biais de la suggestion plutôt que par la démonstration directe. Et lorsque Klein torture un prisonnier lors de l’Intifada de 1987, la scène se déroule derrière une porte close gardée par deux soldats blasés. La puissance de ce moment qui se déroule hors champ aurait été fort atténuée dans le cas d’une représentation frontale de la violence.

Si « Le Cœur d’Amos Klein » est remarquable par sa pudeur, son intérêt tient aussi à l’optimisme qui en émane. Celui-ci ne se manifeste qu’à la fin du film, après une progression chronologique inversée et des flashbacks remontant jusqu’au jour où le petit Amos tombe de son balcon. Les réalisateurs suspendent cet instant en y ajoutant une image mentale secondaire : celle d’un parachute imaginaire qui aurait pu sauver Amos Klein et son cœur malade, et, par conséquent, éviter le malaise à venir de tout un pays. La narration inversée apparaît comme une tentative de réécrire symboliquement l’histoire d’Israël. Optimisme déplacé ou cynisme implacable ? Une chose est certaine : dans « Amos Klein », l’originalité du style et la nécessité de l’expression artistique dans un contexte politiquement éprouvé l’emportent sur la controverse.

Adi Chesson

Article associé : l’interview d’Uri Kranot

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