Sébastien Laudenbach. BD, réactions et petit coin

Concentré sur ses projets, Sébastien Laudenbach lève rarement la tête. Heureusement, il y a Bruz pour faire sortir cet ancien élève et actuel prof aux Arts Décoratifs de Paris. Invité au festival d’animation pour dévoiler les secrets de « Regarder Oana », il profite des canapés mous pour faire ses autres confidences.

Comment t’es-tu retrouvé dans l’animation et aux Arts Décoratifs (ENSAD) ? Est-ce que des films t’ont porté étant môme ?

J’ai toujours dessiné mais je n’étais pas particulièrement prédestiné à faire une école d’art. À la sortie du bac, je ne savais pas trop ce que j’allais faire. On m’a poussé à faire une préparation en arts appliqués, et pendant l’année, on a demandé aux élèves qui voulait passer le concours aux Arts Décoratifs. Tout le monde a levé la main sauf moi donc je l’ai passé aussi et j’ai été reçu. Au départ, je voulais plutôt faire de l’illustration, je connaissais le travail de Jean-François Laguionie et de René Laloux, mais la bande dessinée que je lisais énormément étant enfant m’avait beaucoup plus marqué que l’animation. Et puis, au cours de mes études, un groupe d’étudiants en deuxième année a voulu créer une section Animation. L’administration a accepté donc naturellement, je m’y suis retrouvé. À l’époque, j’étais délégué avec Claire Fouquet (« Vos papiers »), j’étais pour la création de la section sans savoir encore que j’allais la faire. Puis les choses se sont enchaînées, mon film de fin d’études, « Journal », a été projeté dans un bar. Les représentants de Magouric, une société de production et de distribution, l’ont vu. Ils m’ont contacté et m’ont proposé de s’occuper du film. Je l’avais tourné en 16 mm, j’avais fait une post-production vidéo, et ils m’ont aidé à faire une post-production pellicule. Il y a donc deux montages du film.

Tu fais partie de la première promo. Comment est-ce qu’à cette école, on considérait le film de fin d’études ? Comment ça s’est passé pour « Journal » ? Est-ce que tu as fait un film pour faire un film ?

Oui, j’ai fait un film pour faire un film. Il y avait beaucoup moins de formation d’une manière générale. La Poudrière n’existait pas, l’EMCA (‘École des métiers du cinéma d’animation) non plus, il y avait les Gobelins et Supinfocom, mais le marché du film d’étudiants était beaucoup moins concurrentiel, et les films étaient plus bricolés d’une manière générale. J’ai été le premier surpris de voir que ce film-là circulait parce que mon unique but était d’avoir un diplôme. Et pendant qu’on a fait la deuxième version de « Journal », Laurent Bénégui, le producteur de Magouric, m’a proposé d’écrire un scénario de long métrage d’animation. Je ne connaissais rien à rien et je le connaissais à peine. Lui, ça l’amusait. Il m’a dit : “Écris-moi une page”. Je me suis associé avec un copain, Jean-Julien Chervier, pour cela. On a eu de l’argent pour écrire le scénario. J’ai travaillé dessus pendant deux ans mais le projet n’a jamais abouti.


« Journal » se feuillette entre octobre 1996 et mars 1997 et se construit au jour le jour comme un journal intime. Comment l’as-tu anticipé ?

Quand j’ai décidé de faire mon film de fin d’études, je ne savais pas trop ce que j’allais faire. Première idée, j’allais faire un film porno, deuxième idée, j’allais faire un journal. J’en ai parlé à Marie Paccou qui m’a dit : “Fais-en un journal, c’est plus rigolo, c’est plus libre”. En début d’année, j’ai donc dit à mes professeurs que j’allais faire un journal, qu’il n’y aurait pas de scénario, de story-board, de layout, rien de la chaîne traditionnelle d’un film d’animation. L’un d’eux, Georges Sifianos, n’était pas très content mais m’a fait confiance. Il fait souvent référence à cette expérience-là comme quelque chose qui l’a plutôt surpris.

Ça ne m’intéressait pas d’avoir un scénario. Je voulais construire un film comme on fait un modelage : on amalgame, on enlève, on change, et puis, il y a des jours avec et des jours sans. L’idée était de travailler complètement comme un journal. Pour le film, j’ai tenu trois journaux, un en animation, un écrit et un oral que je n’ai d’ailleurs jamais réécouté. J’ai commencé à m’intéresser aux journaux filmés, au travail de Jonas Melkas, à celui d’Alain Cavalier. Ce qui m’intéressait, c’était l’aspect autobiographique et le côté imprévisible.

Dans les écoles, on apprend les techniques via les exercices et les films. Dans ton travail, tu varies beaucoup les techniques et tu joues pas mal avec l’idée de l’autobiographie, du personnel…

Je crois que chaque film est déterminé par le précédent. Quand j’ai fait « Journal », on m’a tellement dit quand est-ce que tu fais « Journal 2 » ? Ça ne m’intéressait pas, je n’avais pas envie de refaire en mieux ou en moins bien mon film, j’avais envie de faire un film classique avec un scénario, une histoire, des personnages, un rendu plastique qui soit plus traditionnel. Ça a donné « Des câlins dans les cuisines ». « Morceau», je le mets à part parce que c’est une toute autre histoire et pour « Regarder Oana », le film se veut une rupture esthétique avec « Des câlins », et les choix techniques sont partis du concept de faire un film avec des mots, à lire et à écouter. De là, j’ai tiré le personnage de la traductrice, qui est plutôt dans l’intellect, qui passe d’une langue à l’autre et celui d’un alter ego complémentaire, cuisinier ou pâtissier qui serait dans la chair. C’est pour ça qu’il y a des mots écrits dans des matières alimentaires dans le film. « Vasco » est également en lien avec le film précédent. J’avais envie de continuer à travailler sous caméra et d’adapter une chanson de Dominique A qui parlait d’horizon. L’horizon, c’est la mer, le sable, on en arrive assez vite au sable animé sur verre.

Tu parles de réaction avec les films précédents. Tu as fait des films dans des endroits peu conventionnels, dans des salons, dans des cuisines. Est-ce qu’avec « Regarder Oana » et « Vasco », tu es entré dans des conditions de fabrication plus professionnelles ?

« Regarder Oana » et « Vasco » ont été faits à Centre Images, ils ont été bien produits tous les deux. Dans ces termes-là, il n’y a pas vraiment de différence, c’est plutôt en termes de langage. C’est clair que « Vasco » est une réaction à « Regarder Oana », j’ai voulu faire une espèce de contraire. « Regarder Oana » est un film difficile à regarder, dense, peu séduisant, tout en subtilité, qui a un côté foisonnant, qui est un jeu intellectuel. C’est un film que j’aime beaucoup car je trouve qu’il y a beaucoup d’ambition dedans. Ce n’est pas forcément un film très réussi mais pour moi, la barre est assez haute dans le contexte général des films d’animation traditionnels que je vois. Je trouve que c’est un film qu’on peut revoir plusieurs fois à partir du moment où on n’est pas dégoûté la première fois.

« Vasco » est différent. Je voulais justement faire un film séduisant, beaucoup plus facile à aborder avec une technique bien plus simple et un contexte de production plus ample puisqu’on était trois animateurs. C’est une lettre à la poste, un film à effets à tous les niveaux (animation, musique, son, …). Je voulais savoir si j’étais capable de faire un film facile à concevoir, à fabriquer, à regarder. Le film n’atteint pas totalement les ambitions que je lui avais fixées, mais par contre, je vois qu’il a quand même été très aisé à faire, Arnaud Demuynck a très vite accepté de le produire et les financements sont arrivés rapidement.Il est facile à regarder, le public sort de la salle enthousiaste même si certaines personnes me disent ne pas avoir tout compris.

Tu es beaucoup dans le détail, dans la minutie. Est-ce que tes films sont compliqués à fabriquer ?

Pour le moment, ils ne le sont pas. De temps en temps, la matière résiste un peu. Les objets sont encore plus insaisissables que le sable. Il y a eu des moments sur « Regarder Oana » où j’étais vraiment dépassé par la matière. Sur « Vasco », j’ai très peu animé, j’ai travaillé avec des gens plus doués que moi qui ont apporté beaucoup au film.

« Vasco » fait référence à l’appel du large, à l’horizon, à la liberté. Est-ce qu’il s’inspire aussi de l’histoire imaginaire de Vasco de Gama, explorateur en soi ?

Oui. Je ne me suis pas inspiré de lui mais il se trouve qu’à l’origine de ce film, il y a deux chansons, “L’horizon” de Dominique A mais “Rosa” de Brel qui a donné son prénom au personnage féminin du film. Dans cette chanson, un jeune homme se rend compte qu’il ne sera jamais Vasco de Gama. Il abandonne ses illusions d’enfant et de jeune adolescent, ses ambitions de grand espace et de découverte. Le film s’appelle « Vasco » pour ça.

Parallèlement à tes activités de réalisateur, tu enseignes aux Arts Décos et tu crées les génériques et les affiches des films dont ceux d’Emmanuel Mouret. Comment est née cette collaboration  ?

Je suis le travail d’Emmanuel Mouret depuis son moyen métrage, « Promène-toi donc tout nu » dont j’ai fait l’affiche. Parmi les personnes qui ont vu « Journal » dans ce fameux bar, il y avait Chöé Lorenzi qui était attachée de presse et Thomas Ordonneau qui était en train de créer Magouric Distribution. Ils m’ont proposé régulièrement de faire des affiches de films notamment de moyens métrages sur la collection Décadrages qui a édité le film d’Emmanuel Mouret. Depuis qu’il est passé au long avec « Laissons Lucie faire » produit par Les Films Pelléas, on collabore plus ou moins régulièrement. Je trouve qu’il a un parcours très atypique dans le cinéma d’aujourd’hui, et j’aime bien ce qu’il fait tout simplement.

Ça t’intéresse de t’écarter de l’animation et de travailler sur des projets en prises de vues réelles en ne les suivant pas de A à Z ?

Par mes rencontres, j’ai été beaucoup plus en lien avec le monde du cinéma, de la prise de vues réelles que de l’animation. La collection Décadrages m’a permis de découvrir des cinématographies qui m’ont secoué, notamment à travers les films de Jean-Paul Cyveirac, d’Yves Caumon, de Philippe Ramos, d’Emmanuel Mouret ou d’Alain Guiraudie dont le travail m’a intéressé voire franchement enthousiasmé. Magouric, Les Films Pelléas, ce ne sont pas des gens qui sont dans l’animation et j’ai toujours considéré que c’était plutôt une chance de travailler avec des gens comme eux.

Est-ce qu’à l’inverse, être en contact avec eux te permet d’évoluer dans l’animation que tu fais ?

Je ne peux pas répondre clairement. Sûrement, ça m’influence de manière générale. Je suis beaucoup plus intéressé par les films qui ne sont pas dessinés. Les films d’animation ne m’intéressent pas beaucoup, davantage ces dernières années parce que j’y trouve un haussement de la qualité, de la densité, de la profondeur.

Je ne sais pas si je serais capable de faire un film en prises de vues réelles. Il se trouve que je suis en train d’en écrire un avec Chiara Malta, ma compagne, mais de toute façon, dès que j’ai fait « Journal », plein de gens m’ont dit : “Toi, tu feras de la prises de vues réelles”. Je voyais peu de choses qui ressemblaient à ce que je faisais donc j’avais l’impression d’avoir une petite place, un petit coin qui n’appartenait qu’à moi. Je n’ai pas l’impression d’en avoir un en prises de vues réelles ni en bande dessinée même si j’ai souvent eu envie d’en faire, alors qu’en animation, j’ai vraiment l’impression d’avoir mon pré carré.

Propos recueillis par Katia Bayer

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