Et le César du meilleur court est attribué à…

Samedi 27 février, lors de la 35ème cérémonie de la mise en valeur des talents hexagonaux, marquée par les larmes d’Adjani et le sacre d’« Un Prophète », le César du meilleur court métrage a été attribué à « C’est gratuit pour les filles » de Claire Burger et Marie Amachoukeli.

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Pour rappel, les quatre autres films nominés étaient :

* ¿Dónde está Kim Basinger? d’Édouard Deluc
* La Raison de l’autre de Foued Mansour
* Séance familiale de Cheng-Chui Kuo
* Les Williams d’Alban Mench

(Re)découvrez le focus que Format Court a consacré à ce duo terrible en décembre 2009, avec la critique de « C’est gratuit pour les filles », celle de « Forbach » et l’interview des réalisatrices.

C comme Carlitopolis

Fiche technique

Synopsis : Carlito, une petite souris de laboratoire, subit toutes sortes d’expériences…

Genre : Animation, Expérimental

Durée : 3’10’’

Pays : France

Année : 2006

Réalisation : Luis Nieto

Scénario : Luis Nieto

Animation : Luis Nieto

Effets spéciaux : Luis Nieto

Son : Luis Nieto

Montage : Luis Nieto

Décors : Luis Nieto

Production : Autour de Minuit

Interprétation : Luis Nieto

Article associé : la critique du DVD Nieto

Nieto : Science & trucs

Devant les bureaux d’Autour de Minuit, une société de production française créée en 2001, trois filles se marrent devant le lapin sadomasochiste en couverture du DVD absurde, décalé et gore de Luis Nieto, un jeune dingue-doux colombien sorti de l’ENSAD (École nationale supérieure des arts décoratifs) en 2005. À l’époque, son film de fin d’études,« Carlitopolis », suivait les infortunes d’une pauvre souris de laboratoire. Depuis, Nieto s’est mué en scientifique sur Canal +, a fait des pubs et quelques performances de très bon goût rouge, et combiné l’image de synthèse, la prise de vue réelle et la performance en direct.

Les leçons du Professeur Nieto

Dans un gilet que n’aurait pas dénigré J-P Bacri dans « Un air de famille » ou C. Firth dans « Le Journal de Bridget Jones », le Professeur Nieto proposait en 2006 sur Canal + cinq expériences délurées pour mieux comprendre nos petits et gros amis animaliers. Assisté par Patrick, un chimpanzé en couches-culottes, Nieto nous présentait sous un autre jour les insectes, les poussins, les lapins, les chiens, et même les vaches. À chaque exposé, des imprévus surgissaient, ce qui ne l’empêchait pas pour autant de réclamer les rapports de ses étudiants, les moins assidus comme les plus célèbres.

Carlitopolis

En 2005, à l’ENSAD, à Paris, Luis Nieto présente son projet de fin d’études, avec comme cobaye une petite victime nommée Carlito. Un an plus tard, il réitère la performance à Montreuil. Tour à tour, la souris, découpée en deux, repousse comme un ver de terre, gonfle et dégonfle comme un ballon, avant d’exploser et de finir en cendres pour les besoins de l’expérience. Témoin de ce spectacle invraisemblable, le spectateur croit à une expérience en direct, alors que sans le savoir, il est manipulé par des images préenregistrées, numérisées, et extrêmement réalistes. En cabine, un régisseur substitue le réel au factice et le vrai au faux. L’effet de surprise rejoint l’effet spécial. Nieto s’est moqué de nous, Carlito aussi. Finalement, qui est le cobaye de cette histoire ? Telle est la question que pose le prof-réa dans le making of du film.

À la baguette

Autre performance, toute aussi courte, barge, et provoc’ : « À la baguette ». À Clermont-Ferrand, le professeur Nieto tente de battre sur scène un record inédit de précision, à l’aide d’une baguette particulièrement sèche et dure. Assisté par Claude Duty, un vieux fidèle du festival (Patrick le singe n’étant pas libre), il vérifie la propulsion d’un oeil professionnel sur une cible posée. C’est drôle, c’est con, c’est trash, et ça nécessite du jambon (comme le prouve le baking of).

Katia Bayer

DVD Nieto : un sapin magique, des courts métrages, une pluie de lapins, des clips, des making et baking of, des performances, de sacrés moments d’hémoglobine, des sous-titres anglais, six bonus, et un livret en couleurs de 52 pages, retraçant une enfance colombienne étonnamment annonciatrice des films à venir. Édition : Chalet Pointu

Consulter le site de Nieto, le site du DVD, et le site d’Autour de Minuit

Consulter la fiche technique de « Carlitopolis »

Article associé : l’interview de Nicolas Schmerkin, producteur d’Autour de Minuit

Festival d’Anima 2010

Le 12 février 2010, s’ouvrait le 29ème festival Anima, avec l’avant-première du drôle et tendre « Mary and Max », le premier long métrage d’Adam Eliott, connu pour ses courts métrages et sa délectation pour l’animation en volume. Jusqu’au 20 février, le festival a renoué avec sa compétition de courts et de longs métrages belges comme internationaux, et diversifié les rendez-vous de sa programmation. Alternativement, le choix s’est porté sur des films nominés au Cartoon d’Or et au Siggraph, le travail d’Adam Eliott, des courts subversifs mais drôles, l’anniversaire de l’atelier Caméra-etc, des rétrospectives hongroises, grecques, suédoises, et chinoises, ainsi que des rencontres organisées autour de deux pros français, l’animatrice Florence Miailhe et le producteur Nicolas Schmerkin (Autour de Minuit).

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Retrouvez dans ce Focus :

Ainsi que nos anciens sujets liés au Festival :

S comme Le Système Zsygmondy

Fiche technique

Synopsis : En vue de gravir un pic le lendemain, deux jeunes marcheuses arrivent le soir au refuge Zsygmondy. Mais il n’y a plus qu’une seule place de libre…

Genre : Fiction

Durée : 18′

Pays : France

Année : 2001

Réalisation : Luc Moullet

Scénario : Luc Moullet

Image : Lionel Legros

Son : Olivier Schwob

Montage : Isabelle Patissou-Maintigneux

Production : Les Films d’Ici

Interprétation : Charlotte Véry, IlliaLolic

Article associé : la critique du DVD “Luc Moullet en shorts : 10 courts métrages très drôles (sauf un)”

T comme Toujours plus

Fiche technique

Synopsis : Aujourd’hui, les supermarchés se construisent sur l’emplacement des cinémas, des églises. Evolution normale puisque le consumérisme est la religion du 20ème siècle.

Genre : Documentaire

Durée : 24’

Pays : France

Année : 1994

Réalisation : Luc Moullet

Scénario : Luc Moullet

Images : Lionel Legros

Son : Patrick Frédérich

Montage : Isabelle Patissou-Maintigneux

Production : Les Films d’Ici

Article associé : la critique du DVD “Luc Moullet en shorts : 10 courts métrages très drôles (sauf un)”

E comme Essai d’ouverture

Fiche technique

Synopsis : Vingt-et-une tentatives… Vingt-et-une manières d’ouvrir une bouteille de Coca-Cola.

Genre : Fiction

Durée : 15’

Pays : France

Année : 1988

Réalisation : Luc Moullet

Scénario : Luc Moullet

Image : Richard Copans

Musique : Patrice Moullet

Son : Patrick Frédérich

Montage : Françoise Varin

Production : Les Films d’Ici

Décors : Richard Copans

Interprétation : Luc Moullet , Richard Copans , Antonin Dalmasso , Françoise Buraux

Article associé : la critique du DVD « Luc Moullet en shorts : 10 courts métrages très drôles (sauf un) »

Luc Moullet : le short lui va si bien

À Clermont-Ferrand, les courts de rattrapage se sont offert la présence de Luc Moullet et Lorenzo Recio, deux artistes de l’étrange, l’occasion pour nous de parler du DVD du plus loufoque des cinéastes de la Nouvelle vague « Luc Moullet en shorts : 10 courts métrages très drôles (sauf un) », édité chez Chalet Pointu. La compilation très éclectique réunit 10 petits films divinement iconoclastes traversant les genres (documentaire, fiction, docu-fiction, …) et un style à l’apparence froide et légère, teinté du burlesque de Tati et des théories de Brecht. Éloge du brin de folie de trois d’entre-eux.

essai

Essai d’ouverture

Cultissime et tellement caractéristique de l’humour moulletien, Essai d’ouverture, lauréat du Prix Canal + à Clermont-Ferrand en 1989, se veut être une thèse sérieuse sur les mille et une tentatives d’ouvrir une bouteille de Coca-Cola. Tel un explorateur bochiman, Monsieur Moullet qui n’est pas tombé sur la tête, analyse l’objet sous toutes les coutures et use de tous les stratagèmes possibles et (in)imaginables pour déguster l’élixir impérialiste. Car c’est bien de cela dont il s’agit, derrière l’humour décapant du réalisateur, se cache une critique du système capitaliste à l’américaine dont la bouteille serait la pétillante égérie. Drolatique à souhait, cet Essai séduit par son savant mélange de didactisme appliqué et de comique artisanal.

Toujours plus

toujours-plus

Dans la lignée de la critique douce et de la dénonciation amère, Toujours plus est un documentaire exposant l’obsession des Français pour les hypermarchés. Comparé à une usine à rêves à l’instar de l’Eglise et du Cinéma, le Grand Magasin, qu’il se nomme Intermarché, Auchan, Leclerc ou encore Carrefour offre à ses fidèles ouailles l’immense chance de posséder toujours plus. Temple de la consommation, il attise l’avidité existentielle qui sommeille en chacun de nous. Imprégné d’un sarcasme léger et d’une naïveté quasi primitive, le film prend parfois des allures de fable moderne et le ton solennel du commentaire en voix off, caractéristique des documentaires engagés d’une certaine époque, vient  renforcer son côté décalé. À l’heure où l’une de ces indestructibles chaînes vit des moments difficiles, il est intéressant de plonger dans les premiers émois de la frénésie consommatrice.

Le système Zsygmondy

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Le système Zsygmondy ou quand les tribulations de deux copines gravitant un pic de montagne amènent à explorer attentivement le comportement humain face à des contraintes imprévues. Allant totalement à l’encontre de la célèbre solidarité montagnarde, les jeunes citadines se montrent fort peu partageuses (surtout l’une) lorsqu’elles apprennent, après une journée de marche épuisante qu’il n’y a plus qu’une seule place au refuge. Et dans ce petit coin de nature, éloigné de tout, la civilisation et ses faiblesses bourgeoises laisse des empreintes indélébiles. Avec ses airs de Bronzés dégrossi, le film dépasse la parodie populaire pour rejoindre dans la joie et la bonne humeur un système plus psychanalytique qu’il n’y paraît. Preuve en est la touche musicale venant terminer ce vase clos :  rien ne sert de coucher sous un toit, il faut savoir pourquoi.

Marie Bergeret

« Luc Moullet en shorts : 10 courts métrages très drôles (sauf un) » : DVD édité chez Chalet Pointu

Festival Média 10-10, Compétition OVNI : Appel à films

Pour sa 32ème édition (16-20 novembre 2010), le Festival du court métrage de Namur (Belgique) Média 10-10 vous propose à nouveau sa nouvelle catégorie en compétition. La section OVNI (Objets Visuels Non Identifiés) se veut un espace ouvert aux expérimentations audio-visuelles en tout genre, aux explorations créatives et inventives, aux aventures menées à la frontière des genres et des médias. Elle présentera des œuvres récentes échappant aux catégorisations et témoignant d’une approche résolument originale, loin des formatages imposés. Laboratoire d’expériences, la section OVNI veut être un lieu de découverte et d’étonnement, de questionnement et d’émerveillement.

Films et vidéos expérimentaux, clips musicaux, animations abstraites, journaux filmés… et toutes autres formes mutantes y sont les bienvenus. La compétition est ouverte aux courts métrages (de préférence inédits) d’une durée maximale de 30 minutes (générique compris) réalisés par des ressortissants de l’Union Européenne et de Suisse en 2009 ou 2010. Tous les formats sont acceptés (vidéo, pellicule). Un prix de 2500 €sera attribué au lauréat de la compétition.

Date limite des inscriptions : 02/08/2010

Vous pouvez dès à présent télécharger le formulaire d’inscription pour l’édition 2010 du festival.

E-mail : media10-10@province.namur.be, site Internet : www.media10-10.be

13e festival international des scénaristes du 24 au 28 mars à Bourges

Dédié à l’écriture de l’image, ce festival se construit autour de 3 axes : rencontres professionnelles, éducation à l’écriture de l’image, et découvertes de jeunes talents.

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Au programme : projections de 3 programmes de courts métrages, rendez-vous autour de Robert Guédiguian, invité d’honneur 2010, ateliers, forums des auteurs, marathons et notamment Marathon du Court Métrage (26 jeunes auteurs parrainés chacun par un réalisateur et un producteur écrivent un court métrage en 48 heures selon un sujet imaginé par la présidente du Grand Jury 2010, Marion Vernoux).

Infos pratiques :

Horaires : De 10h à 22h Adresse: Théâtre / Palais Jacques Coeur / Beaux-Arts 18000 Bourges

Le site du Festival : www.scenarioaulongcourt.com

D comme ¿ Dónde está Kim Basinger ?

Fiche technique

Synopsis : Marcus et son frère Antoine viennent passer quelques jours en Argentine pour le mariage de leur cousin. Ils comptent bien en profiter pour découvrir les joies de la capitale. Marcus est joyeux comme un pinson, alors qu’Antoine vient de se faire quitter.

Genre : Fiction

Durée : 30’

Pays : France, Argentine

Année : 2009

Réalisation : Édouard Deluc

Scénario : David Roux, Édouard Deluc, Olivier de Plas

Images : Leandro Filloy

Musique pré-existante : Martin Torres Manzur

Musique : Édouard Deluc

Son : Damián Montes Calabró

Montage : Marie-José Audiard

Décors : Natalia « Costa » Grosso

Production : Bizibi Productions

Interprétation : Philippe Rebbot, Yvon Martin

Articles associés : la critique du film, l’interview du réalisateur

Édouard Deluc. Filmer l’Argentine, localiser Kim Basinger et sonder l’absolu

Il y a sept ans, un touche-à-tout tout nommé Édouard Deluc découvrait Buenos Aires, et revenait en France, stimulé par l’accueil de ses habitants, la beauté de sa ville, et l’envie d’y poser un jour sa caméra. Quelques années plus tard, une nuit de débauche hivernale à Pékin avec son grand frère lui inspira « ¿ Dónde está Kim Basinger ? ». Cette balade en noir et blanc dans une Buenos Aires musicale, drôle et follement torride, récemment récompensée du Grand Prix national et du Prix Canal + à Clermont-Ferrand, est en lice pour le César du Meilleur court métrage. Entrevue….

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Quel a été ton parcours avant ce film ?

J’ai fait une licence d’art plastique, puis les Beaux-Arts à Paris-Cergy, une école un peu avant-gardiste dans les années 90-95. À l’époque, je faisais des clips pour mon groupe de rock, de la photo, un peu de peinture, et des courts en super 8. Je mélangeais les pratiques. Après, petit à petit, j’ai travaillé pour la télé pour gagner ma vie, tout en continuant à écrire des courts métrages et à faire des clips, et ensuite, j’ai fait des pubs.

À cette époque-là, y avait-il des films dont vous parliez, des films dont vous débattiez aux Beaux-Arts ?

Comme ce n’était pas une école de cinéma, on ne parlait pas seulement de films. Les cours de cinéma ne me convenaient pas. Personnellement, j’étais plus à l’aise en cours de rythme, de vidéo. J’avais bien mon panthéon de films cultes, mais je n’étais pas vraiment prêt à en débattre (rires)! Les films qui m’ont nourri et construit, je ne les partageais pas beaucoup à l’école. Ma culture cinéphile, je l’ai entretenue seul en regardant des cassettes et en prenant beaucoup en photo les films que j’aimais.

Comment ça ? Tu prenais en photo ton écran ?

Oui. Je découpais souvent les séquences. Par exemple, j’ai mitraillé en argentique « Meurtre d’un bookmaker chinois », un film mythique pour beaucoup de monde. J’ai des tonnes et des tonnes de photogrammes de séquences du film qui traînent chez moi. À l’époque, ces images m’accompagnaient. J’essayais de me mettre dans une espèce de disponibilité totale par rapport au film et puis, je cherchais quelque chose, sans savoir quoi exactement.

Qu’est-ce que le passage par la publicité t’a appris ?

Pour gagner sa vie et expérimenter les tournages, la pub, c’est bien. En fait, j’ai mis beaucoup de temps – quinze ans – à me dire que j’étais réalisateur et à désacraliser ce mot. J’étais dans une telle fascination pour le cinéma, dans un rapport tellement inhibant par rapport à ce terme que cela m’a empêché de faire plein de choses, je pense. Le fait de beaucoup tourner, de commencer à faire des clips et des pubs m’a aidé à me rendre compte que c’était un métier. Le grand classique, sur un premier film, c’est vouloir tout mettre. Quand tu arrêtes de penser qu’un film, ce n’est pas tout et que tu ne vas pas jouer ta vie à chaque fois que tu tournes, tu prends un peu de distance, et du coup, tu t’amuses plus. En tournant beaucoup de pubs et de clips, j’ai appris cela et j’ai acquis plus de confiance en moi, ayant été confronté à de nombreuses situations de mises en scène et d’imprévus. L’expérience, c’est également positif pour parler aux équipes et trouver les bons chefs op avec qui on a envie de travailler.

Est-ce que cette peur n’était pas aussi due au fait que tu n’avais pas fait d’école de cinéma ?

Je ne suis pas issu d’une famille d’artistes, ce n’était déjà pas évident à la base. Peut-être que si j’avais fait une école de cinéma, les choses auraient été plus évidentes et se seraient passées plus tôt. Mais je n’en suis pas sûr en fait, parce que dans tout les cas, le métier n’est là que le jour où le plateau devient ton bureau et où tu es constamment confronté à des problématiques de mises en scène. En fréquentant une école et en faisant trois courts métrages en dix ans, car c’est compliqué de faire du cinéma, je n’aurais peut-être pas appris autant de choses. En même temps, moi, je ne suis pas auteur. Je n’ai pas envie d’écrire, et même si je le fais un peu par obligation, en fait, je me sens beaucoup à l’aise en tant que réalisateur.

Pourquoi est–ce une obligation d’être auteur ? Tu n’es pas obligé de l’être. Pour « ¿ Dónde está ? », tu as bien pris des co-scénaristes.

Non, je ne suis pas obligé, mais je ne trouve pas. Trouver son alter ego en scénariste, ce n’est pas facile. Moi, je n’ai pas le sens de la structure. J’ai le sens de l’atmosphère, j’ai des désirs, c’est pour ça que je pense plus comme un réalisateur. Je vois tout de suite les choses en séquences, mais je n’arrive pas à penser le scénario dans sa structure et voir les grands enjeux. Je n’ai pas la vision par écrit, alors que les désirs de personnages, de sons, de situations, de décors, d’atmosphères me nourrissent très fort. Ce film-ci, c’est quand même une histoire que j’ai échafaudée tout seul, à partir d’une histoire vécue avec mon frère à Pékin, et ce n’est pas l’adaptation d’une nouvelle ou d’un roman.

Avant de travailler sur le scénario, as-tu reparlé à ton frère de cette histoire ?

Non, pas beaucoup. Je lui ai dit sur quoi je travaillais et ça l’a fait marrer (rires). Il est content, il apprécie le film, il trouve que Philippe Rebbot le représente bien et que l’autre personnage joué par Yvon Martin me représente bien. Dans le binôme, moi, je suis plutôt le petit dépressif !

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Ton dernier court, « Je n’ai jamais tué personne », date de 2002. Celui-ci, tu as commencé à l’écrire en 2007. Qu’est-ce qui s’est passé entre temps ? Tu as continué à faire de la pub ?

J’ai écrit un peu de musique, j’ai fait des clips et des pubs, et parallèlement, j’ai adapté deux romans pour des longs métrages qui se sont pris le mur avant d’être montés. Pour le premier, j’ai accepté une commande d’un producteur. J’ai travaillé pendant dix mois avec un scénariste, le producteur a trouvé que j’avais trop cassé la structure du roman. J’avais une vision très claire des choses et il était hors de question que je fasse autre chose que ce que j’avais proposé. J’étais dans une quête d’absolu. J’ai renoncé à faire le long, parce qu’on ne voulait pas suivre ma vision, À l’époque, je disais : « c’est ça ou rien ». Je suis content d’être intransigeant, mais en même temps, petit à petit, je comprends que les oeuvres ne sont pas sacrées, en tout cas pas les miennes (rires) !

Pendant que tu travaillais sur ces projets, tu continuais à voyager à Buenos Aires. Tu en parles comme d’un pays de cinéma, de paysages et de psychanalyse.

C’est vrai. Tous les Argentins vont chez le psy et parlent de cinéma. C’est une réalité et encore plus pour moi, parce que mes amis travaillent tous plus ou moins dans les milieux du cinéma ou de la psychanalyse (rires) ! C’est un pays d’Amérique latine dont la culture de la psychanalyse est vraiment très forte, et c’est vrai que les paysages y sont magnifiques.

Tu t’intéressais au cinéma argentin de partir là-bas ?

Oui, je suis assez fan des films de Carlos Sorin, mais de manière générale, j’ai une attirance pour le cinéma d’Amérique latine comme d’ailleurs. Je suis finalement assez world (rires) !

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Mais tu retournes constamment en Argentine. Il y a plus qu’un lien affectif avec le pays, si on y revient d’année en année.

En fait, j’y suis beaucoup retourné parce que j’avais aussi envie de faire un film là-bas. Ça faisait sept ans que j’étais tenu par ce désir-là. Le fait de l’avoir fait va peut-être me permettre de passer à autre chose. Ce n’est probablement pas pour tout de suite parce que je connais surtout Buenos Aires et parce que je pense que j’ai encore un truc à creuser là-bas, mais c’est évident que ça a désacralisé quelque chose.

Est-ce que tes comédiens ont participé à l’écriture du scénario ?

Pas à l’écriture, mais bien aux répétitions. Ils ont amené leur talent, leur personnalité, leur sens de l’humour et de l’improvisation, et ensuite au moment du tournage, j’étais ouvert pour qu’ils rajoutent des choses. Je ne suis pas du tout au mot près, je voulais juste mettre en place des situations et quelques calembours déjà écrits depuis longtemps.

Comment s’est passé le travail avec une production argentine ?

Le producteur est un ami. On s’est rencontré autour de notre amour du cinéma et notre envie de travailler ensemble était forte. Il n’y avait pas que le souhait de faire un film en Argentine, il y avait aussi le désir de développer des relations, de les rendre plus fortes, plus passionnantes, et d’avoir des projets communs. Après, par contre, dans les faits, le tournage a été très compliqué, très dur. Le projet était quand même un court métrage, on n’avait pas beaucoup d’argent, seulement dix jours de tournage, peu de pellicule, donc peu de prises.

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Est-ce que malgré les difficultés, tu as réussi à rester à nouveau intransigeant ?

Je n’ai rien lâché. Quand tu portes le truc pendant deux ans, ce n’est pas au moment du tournage qu’il faut lâcher parce que sinon, c’est ingérable (rires) ! Ça fait deux ans que tu écris, que tu fantasmes sur ton film, et au final, tu ramènes des rushes moyens, tu en veux à la terre entière et tu ne dors plus pendant deux mois. C’est quand même intime, comme pratique, le cinéma. Il faut prendre de la distance justement pour ne pas trop souffrir, et en même temps, tu ne l’inventes pas, le lien avec le médium est quand même viscéral.

Est-ce que tu n’avais pas une vision de touriste en tournant là-bas ?

Si. De toute façon, le film est une vision de touriste, et je joue beaucoup sur les clichés. Mais j’avais déjà tourné des pubs dans ce pays, je savais comment ça se passait. Après tout, l’Argentine est un pays de cinéma, les équipes sont rodées, seulement, il n’y avait pas beaucoup d’argent et peut-être pas assez de rigueur sur ce projet.

Tu as participé à la musique. Mais comment as-tu travaillé avec Martin Torres Manzur, le compositeur ? Quelles indications lui as-tu données ?

La musique a aussi participé à la naissance du film : de 2005 à 2007, après m’être usé sur l’écriture d’un long métrage, j’avais besoin de m’aérer la tête et j’ai écrit des morceaux que j’appelais  »B.O. Argentina ». Quand j’ai écrit le film, j’ai rencontré Martin qui est le frère d’un ami et un compositeur dont j’écoutais les disques. Je lui ai expliqué ce que je voulais précisément dans la scène de karaoké. Il m’a proposé un morceau un peu sirupeux, il a fait un truc très bien, un slow un peu dégoulinant de bons sentiments et de mièvrerie adolescente (rires) ! Je suis arrivé au montage avec mes morceaux et celui de Martin. Mes mélodies étaient beaucoup trop tristes au regard avec l’humeur du film, du coup, j’ai cherché quelque chose de plus allègre. Je suis retombé sur le superbe « Your name my game » de Herman Dune qui est devenu le titre phare du film.

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Est-ce que dans tes nouveaux projets, tu as toujours envie de filmer l’Argentine ?

Oui, je devrais faire un spin-off. J’étais sur d’autres projets, mais mon producteur m’a dit : « Édouard, rends-toi compte que « ¿ Dónde está Kim Basinger ? » est ton film le plus réussi parce qu’il parle de toi, et qu’il touche les gens.“ La comédie n’est pas un registre vers lequel je me dirigeais naturellement, mais il m’a conseillé de creuser dans ce domaine, tout comme de nombreuses personnes qui me disent qu’elles ont envie de voir ces deux frères arriver jusqu’au mariage. Résultat : je vais creuser la situation. En attendant, je suis content d’avoir fait ce film parce qu’il est fidèle à un cinéma plus libéré que j’aime, que ce soit le cinéma argentin ou celui de Jacques Rozier.

Propos recueillis par Katia Bayer

Article associé : la critique du film

Consulter la fiche technique du film

Anima, le palmarès 2010

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© François Schuiten / Folioscope

C’est le moyen métrage Divers in the Rain de Olga Parn et Priit Pärn (Estonie) qui a remporté le Grand Prix Anima 2010 du meilleur court métrage dans la catégorie internationale. Cette récompense est offert par la Région de Bruxelles Capitale.

Dans la catégorie films d’étudiants, c’est Orsolya de Bella Szederkenyi (Hongrie) qui a remporté les suffrages du jury. Il s’agit de son film de fin d’études à la Moholy-Nagy University of Art and Design de Budapest.

La compétition belge a vu décerner à Grise Mine de Rémi Vandenitte le Grand Prix de la Communauté française du meilleur court métrage, tandis que Boomkruiper de Dries Bastiaensen recevait le Prix TvPaint du meilleur court métrage étudiant. Le Prix de la SACD est allé au film Au bal des Pendus de Johan Pollefoort et le Prix de la Sabam à Aral de Delphine Renard et Delphine Cousin de l’Atelier Zorobabel.

Autres prix

Compétition internationale

Mentions spéciales : Lost and found de Philip Hunt, Royaume-Uni, Mei Ling par Stéphanie Lansaque et François Leroy, France, Never drive a car when you are dead de Gregor Dashuber, Konrad Wolf, Allemagne, August de Matthias Hoegg, Royaume-Uni, Royal College of Art

Prix du meilleur clip vidéo : Coldplay “Strawberry swing”de Shynola, Royaume-Uni

Mentions spéciales : The dead pirates “Wood” de Simon Landrien, Mcbess, Royaume-Uni, Morgenrot de Jeff Desom, Luxembourg

Prix du meilleur film publicitaire : Audi Q5 “Unboxed de Russell Brooke et Andy Daffy, Royaume-Uni

Mention spéciale : Scrabble ”Sumo” de Clément Dozier et Irina Dakeva, France

Prix coup2pouce/télébruxelles du meilleur court de la nuit animée : Madagascar, carnet de voyage de Bastien Dubois, France

Prix du public du meilleur court métrage : Logorama, par H5, François Alaux, Hervé de Crécy, Ludovic Houplain, France

Prix du public du meilleur court métrage jeune public  : Lost and found de Philip Hunt, Royaume-Uni

Compétition nationale

Prix tvpaint du meilleur court métrage étudiant belge : Boomkruiper de Dries Bastiaensen

Mentions spéciales : Memee de Evelyn Verschoore et Espèce(s) de patate(s) de Yoann Stehr

Prix coup2pouce/Télébruxelles du meilleur court étudiant (diffusion) : Espèce(s) de patate(s) de Yoann Stehr

Prix du public du meilleur court métrage belge : Memee de Evelyn Verschoore

Prix betv : Clicked de Martin Landmeters, Manon Martin, Romain Rihoux

Prix de la RTBF : Sous un coin de ciel bleu de Cécilia Marreiros Marum et Arnaud Demuynck

Prix Cinergie : Grise Mine de Rémi Vandenitte et Ruis de Marike Verbiest

La prochaine édition d’Anima sera la trentième. Elle aura lieu du 4 au 12 mars 2011 à Bruxelles.

L’expérimental à Clermont-Ferrand : le Labo disséqué

Aux côtés des compétitions nationale et internationale du Festival de Clermont-Ferrand, la sélection Labo se présente chaque année comme une plateforme pour des films peu classables, peu lisibles, ou carrément ovnis. Sous l’appellation générique facile de films expérimentaux, le Labo constitue la sélection certainement la plus riche du festival. Aperçu de cinq films représentatifs de la diversité des œuvres candidates.

Gaarud d’Umesh Kulkarni (Inde, 2009)

Après l’enchantement placide et touchant de « Three of Us » et de « Vilay » (en compétition internationale à Clermont-Ferrand respectivement en 2008 et en 2009), le réalisateur indien Umesh Kulkarni présente « Gaarud » (Le charme), un film dans un style tout à fait différent. Probablement le film le plus narratif de la sélection Labo, ce court métrage s’épure de toute fictionnalisation classique pour transmettre son histoire.

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À l’aide d’une caméra perchée sur un dolly, le réalisateur opère un travelling lent à travers une chambre construite en studio et répète ce procédé à plusieurs reprises, filmant ainsi le même espace à divers moments. En effectuant des coupes imperceptibles dans le noir, il évoque l’effet illusoire d’un long plan séquence.

Traversé par l’intransigeance du rythme imposé, ce court métrage se présente d’emblée comme le récit d’un lieu, comme un voyage dans l’espace mais aussi dans le temps, où chaque scène, telle une vignette ténébreuse, a sa durée de représentation. Deux plans statiques encadrent une succession de personnages hybrides reliés par le thème de la valeur de l’être humain, aux sens spirituel et matériel : des marchands de saris, des prostituées, des jeunes consommateurs, des pauvres, des malades, des morts, … D’autres plans de la chambre vide proposent au spectateur un regard sur lui-même tout en lui laissant la possibilité de construire sa propre interprétation.

M – Félix Dufour-Laperrière (Canada, Québec, 2009)

« M » de Félix Dufour-Laperrière est une expérience vidéo, unique par sa grande audace et la subtile complexité dissimulée derrière son apparente opacité.

Ce petit film en noir et blanc met en scène une animation quasi fractale dans laquelle jaillit une panoplie de petits écrans animés, qui font penser de manière subjective à un négatif, à la surface lunaire ou encore à une radiographie. Avec « M », le Québécois semble opérer une explosion du pixel comme unité visuelle à travers sa propre mise en abyme.

À l’instar de cinéastes expérimentaux tels que Godfrey Reggio (« Koyanisqatsi ») et Derek Jarman (« Blue »), Dufour-Laperrière offre une œuvre entièrement formaliste, où un élément – graphique en l’occurrence – prime sur toute narration et toute personnification. Derrière le « montage » organique de ce kaléidoscope achromatique se cache un jeu élaboré de contrastes, aux plans visuel et sonore. En effet, le clair-obscur de l’image tremblotante trouve son écho dans la bande-son qui alterne des accords électro (signés Gabriel Dufour-Laperrière) et des bruitages mécaniques, ponctués par un silence glacial. Le procédé des contrastes s’opère également entre la proximité et la distance, entre la surcharge et le vide. Ce questionnement constant sur les limites de la perception et son infinitude font de ce court métrage un spécimen exemplaire du cinéma non narratif.

Muzorama – Elsa Brehin, Raphaël Calamote, Mauro Carraro, Maxime Cazaux, Emilien Davaux, Laurent Monneron et Axel Tillement (France, 2009)

« Muzorama », film au format très court, représente un travail réalisé par sept élèves de l’école Supinfocom d’Arles. L’animation s’inspire de l’univers graphique surréaliste de l’illustrateur français Jean-Philippe Masson alias Muzo.

Réalisé dans une 3D qui se veut délibérément naïve, ce court métrage français propose une redéfinition du paysage urbain vu sous un angle absurde. Le récit rassemble une série de personnages habitant autour d’une place invraisemblable. Jouant systématiquement sur l’étrange et le familier, le film représente en quelque sorte un univers parallèle où tout est presque normal, à la limite de l’imaginable. Quant aux personnages, ceux-ci reflètent la dimension collective de cet exercice par leur nombre et leur variété : une gigantesque mangeuse d’hommes, un bonhomme au nez inversé, une tête servant de ballon de foot, un cycliste sur un vélo aux roues-escargots…

L’absurde vire vers le grotesque dans ce petit court allègre et rappelle l’univers de Jérôme Bosch vu à travers la palette luisante d’Edward Hopper, tout en représentant l’être dans l’être et dans le multiple.

Origin of the Species – Ben Rivers (Royaume-Uni, 2009)

Film écossais d’une force extraordinaire, « Origin of the Species » de Ben Rivers mène à bien un travail de réflexion existentielle approfondi autour d’une exploration de la nature, dans tous les sens du mot.

Dans un registre documentaire, le film se construit autour des propos d’un certain Monsieur S. qui vit isolé dans la nature. Sa voix lointaine aborde un discours sur la protohistoire, sur la cosmogonie et sur la philosophie du temps. Son discours traite de la vie, de la survie et de la mort en passant par des propos apocalyptiques, des visions panthéistes et des réflexions sur le monde. Un montage parallèle à ses paroles représente la nature minérale, végétale et animale, et dote le film d’un rythme posé.

À travers une image qui jongle habilement entre plans statiques et plans séquences, Ben Rivers met en scène le binôme créateur-création en juxtaposant cosmos et nature, nature et homme, homme et machine, machine et civilisation. « Origin of the Species » abord en même temps l’hypothèse de l’être humain comme spectateur et condition nécessaire pour la compréhension, voire l’existence du monde, en posant un questionnement du type « le monde existe-t-il lors qu’il cesse d’être perçu ? », idée d’autant plus pertinente dans le contexte du septième art lui-même.

Avaca – Gustavo Rosa de Moura (Brésil, 2009)

Je te frapperai sans colère
Et sans haine, comme un boucher,…
– « L’Héautontimorouménos », Charles Baudelaire

Par le biais de la simple technique de l’image inversée, le réalisateur brésilien livre un film gore sur l’abattage d’un bœuf. À l’instar du « Sang des Bêtes », documentaire classique de Franju, « Avaca » oblige le spectateur, sans pitié ni retenue, à confronter son inertie et sa passivité face à ce qu’il décrierait volontiers : la cruauté à l’égard des animaux.

La démonstration froide et rugueuse de la mort, sans la moindre esthétisation ni humanisme, est contrebalancée par le processus du temps reversé, ce qui dote ce court d’une grande qualité artistique et le distingue du film de propagande au premier degré. En même temps, la réalisateur Rosa de Moura fait un clin d’œil audacieux à cette capacité unique du cinéma à remonter dans le temps, à défaire ce qui a déjà été fait, à faire revivre ce qui a déjà cessé d’être.

Adi Chesson

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Tornike Bziava, l’envie d’être honnête

Géorgien de nationalité, ce jeune réalisateur de 29 ans a la culture occidentale pour affinité élective. Venu présenter « Aprilis suskhi » dans la capitale auvergnate, le cinéaste s’en est sorti avec une Mention du Jury International. Un beau début pour ce film politiquement humain. Brève rencontre.

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D’où vient ton intérêt pour le cinéma ?

Plusieurs choses m’ont amené au cinéma. C’est ma mère qui m’a fait connaître les classiques. Je me souviens très bien, étant enfant, vers 13 ans, elle m’avait conseillé de regarder un film qui passait à 1h du matin. Ce film c’était « Andreï Roublev » de Tarkovski. Je l’ai regardé et j’ai adoré. Par la suite, ce fut « Intervista » de Fellini. J’ai trouvé ce film tout simplement génial et je me suis dit que le cinéma était un moyen d’expression parfait qui me permettait de concrétiser des sensations, des sentiments.

C’est donc Fellini qui t’a donné envie de devenir réalisateur ?

Oui, mais pas seulement. Il est évident que le fait d’être issu d’une famille d’acteurs (ma mère, ma sœur) a facilité mes choix même si, au tout début, je dois avouer que je ne voulais pas vraiment devenir réalisateur. C’est pour cela que j’ai étudié les langues et la littérature à l’Université de Tbilisi avant d’entrer à l’école d’art dramatique. Par ailleurs, j’ai fait la connaissance de l’acteur Mel Raido, lors de son passage à Tbilisi. On est devenu amis. Quand il est rentré à Londres, j’avais envie de lui écrire une lettre mais je ne savais pas vraiment comment le faire de façon originale alors j’ai eu l’idée de lui consacrer un film, « Listen to Chopin ». C’était un peu une sorte de lettre cinématographique en hommage à notre amitié. Il a été très ému. Le film a été fort apprécié par la critique et moi j’ai beaucoup aimé l’expérience de passer derrière la caméra. C’est comme cela que ça a commencé.

Tu es venu ici à Clermont pour défendre ton dernier film « Aprilis suskhi ». Peux-tu expliquer la genèse de ce court métrage ?

J’avais 8 ans lorsque j’ai vu les tanks et les soldats russes, pour la première fois. Dans les rues de la ville, ils m’ont apparu comme des sortes de monstres venus d’ailleurs. Je ne comprenais pas très bien ce qui se passait. C’est ma grand-mère qui m’a réveillé vers 4h, le matin du 9 avril 1989 et m’a demandé de me tenir à côté de la fenêtre. J’imagine qu’elle avait peur et qu’elle ne savait pas comment réagir. Tout était calme et inquiétant en même temps. Et puis, j’ai vu un tank passer. C’était complètement surréaliste. Jamais je n’oublierai cette image. Surtout que sur les 22 morts, deux étaient proches de la famille de mon instituteur. C’est dire que l’évènement m’a touché. Du coup, j’ai eu l’idée d’en faire un long-métrage.

Un long-métrage ?

Oui. J’y développais davantage le personnage de Petrovich, le soldat russe du film, lui donnant un passé plus conséquent. Mais après réflexion et discussion avec le producteur, on a décidé de se focaliser sur la rencontre du danseur et du soldat pendant les émeutes.

Penses-tu que la forme courte sert mieux le propos du film?

Certainement. Elle permet d’aller droit au but.

En parlant d’aller droit au but, ton film est assez politique, non ?

Oui et non. Il est vrai qu’en Europe, il est vu comme cela mais je préfère dire que c’est avant tout un film humain.

Oui, mais le fait d’avoir choisi le contexte des émeutes du 9 avril 1989, n’est  pas innocent.

J’ai pris ce contexte pour les raisons évoquées avant. Mais pour ma part, je ne parle que de la vérité. J’aime beaucoup la culture russe mais à côté de cela je pense sincèrement que le fait d’envahir un territoire qui ne vous appartient pas est une injustice. Et c’est aussi cela que j’avais envie de transmettre en faisant ce film. Mais je le répète, pour moi, c’est un film sur une rencontre de deux personnes qui partagent un sentiment semblable. C’est un film optimiste sur la fibre humaniste qui se trouve en chacun de nous.

Est-ce pour cela que tu as opté pour l’esthétisme du noir et blanc ? Pour mettre en valeur le côté humain ?

En fait, l’idée du noir et blanc n’est survenue que vers la fin, au début je pensais vraiment tourner en pellicule couleur. Puis, je me suis dit que le noir et blanc apportait le côté vieillot de l’époque soviétique ce qui me faisait penser à mon enfance. Le quartier où l’on a tourné le film est un des derniers quartiers de Tbilisi ne possédant aucune construction neuve, c’est pour cela que je l’ai choisi. Le noir et blanc convient bien à cette envie de faire revivre le passé.

Ca permet aussi une atténuation de la violence. D’ailleurs, tu ne la montres pas vraiment la violence.

Effectivement,  je ne suis pas le genre de réalisateur qui aime la montrer de façon frontale. Je pense qu’il y a des choses que l’on peut montrer autrement, au cinéma. Rarement les cinéastes arrivent à être justes dans l’exhibition de la violence. Seul un film comme « Bloody Sunday » de Paul Greengrass la montre avec justesse pour des raisons politiques. Mais dans le cas de mon film, comme il s’agit plus d’un instant humain, je ne voulais pas montrer la violence. Elle est de toute façon suggérée et la suggestion est plus forte que la confrontation, je trouve.

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Il y a une scène dans ton film qui est assez marquante. Celle où la grand-mère ouvre la fenêtre et fait face à un jeune homme qui a les bras en croix. Elle lui demande s’il va bien. Et pendant quelques secondes, on ignore complètement que des soldats russes sont en train de le fouiller. Ce moment paraît tellement vrai.

Oui, j’aime beaucoup cette scène. Je pense que j’essayerai tout au long de ma carrière d’être honnête et vrai. Parce que je pense que le plus important est de rester honnête, en art. Les meilleurs réalisateurs sont justement ceux qui ne mentent pas. Prenons l’exemple de Michael Haneke, qui est un grand cinéaste, assez difficile à comprendre, à mon avis. Il faut bien avouer que dans certaines scènes de ses films, il est tellement vrai. Il n’a aucun complexe à dire les choses de façon extrême, comme on n’en a pas l’habitude et j’aime beaucoup cela. Il faut oser dire les choses comme on les sent.

A propos d’art, peux-tu nous éclairer sur ton choix de la danse traditionnelle géorgienne présente dans le film ?

Cette danse, et spécialement le mouvement du jeune danseur et fort apprécié par Petrovich est très symbolique, en Géorgie. Il n’y a pas de geste plus populaire que celui-là. Par ailleurs, j’ai toujours pris l’habitude de terminer mes films par de la danse ou de la musique. J’adore la danse. C’est une des choses les plus belles qui soient, vraiment. Je pense aussi que c’est un très bon moyen d’exprimer l’ironie de la vie. Quand je montre la danse dans mon film, c’est une manière toute personnelle d’être ironique par rapport à un contexte donné.

Mais à travers cette danse, n’y a-t-il pas aussi l’affirmation d’une opposition ?

Evidemment. Cette danse traditionnelle révèle d’une certaine manière la fierté d’un peuple, de sa culture et de ses traditions face à l’envahisseur.

Est-ce facile de réaliser des courts métrages en Géorgie ? Existe-t-il une industrie cinématographique comme en Asie ou en Europe ?

A dire vrai, c’est très difficile de faire des films en Géorgie. Après la guerre, au début des années 90, l’industrie culturelle était à peu près morte. Depuis quelques années, ça commence à se réveiller et à bouger. Mais on peut dire  que le pays sort à peu près 3 ou 4 films non commerciaux par an. En ce qui concerne mon film, j’ai eu de la chance d’avoir été aidé par un producteur motivé même si j’ai dû payer beaucoup de choses de ma poche. On n’avait que sept jours pour tourner le film. Beaucoup de gens ont travaillé bénévolement parce que l’on ne pouvait pas les payer.

As-tu l’intention de réaliser un long-métrage ?

Oui. Je suis en train d’en écrire le scénario. Mais je vais certainement continuer à réaliser des courts métrages, en attendant.

Propos recueillis par Marie Bergeret

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