Harvie Krumpet et autres histoires

Tout amateur d’animation en a entendu parler ou a vu sa tronche, surmontée d’un n°6, quelque part. « Harvie Krumpet » est un anti-héros en pâte à modeler, porté sur les faits, les clopes, le nudisme et l’affranchissement des poules. Son étoile n’est pas spécialement bonne, mais cela ne l’empêche pas d’attirer la sympathie de ses juges (Prix du Public, du Jury, Fipresci à Annecy, en 2003, et Oscar du meilleur court métrage d’animation en 2004). Avant « Harvie », son créateur, l’Australien Adam Eliott, s’est librement inspiré de sa famille dans une trilogie de courts métrages. Depuis, il s’est intéressé au format long, avec l’histoire  de deux amateurs de chocolat solitaires. « Mary and Max », récompensé cette année à Annecy du Cristal du long-métrage (ex æquo avec « Coraline » de Henri Selick), sort prochainement dans les salles. En attendant de découvrir cette histoire épatante et émouvante, les quatre courts métrages de Adam Eliott se laissent infiniment (ré)apprécier en DVD.

Un prénom de premier homme, un nom de dragon sympa. Adam Eliott a grandi dans une ferme spécialisée dans l’élevage de crevettes, avec sa famille et ses deux perroquets, Sunny et Cher, avant d’étudier l’animation au Victorian College of Arts, à Melbourne. En 1996, son film de fin d’études, « Uncle », voit le jour, suivi de près de « Cousin » en 1998, et de « Brother », en 1999. Jusqu’à ce que « Harvie Krumpet » surgisse après un an de tournage, et provoque une véritable révolution dans l’animation en volume.

« Uncle », « Cousin », « Brother »

La trilogie familiale d’Adam Eliott mêle des chroniques (auto)biographiques, des dentiers solitaires, un narrateur commun (William McInnes), un goût pour le tragi-comique, des collections invraisemblables, des personnages en pâte à modeler, des escargots écrasés, et un univers en noir, gris, et blanc. « Uncle », « Cousin », « Brother » traitent, tous trois, de sujets sombres et difficiles (l’infirmité, la maladie, la déchéance, la mort, …) avec un ton léger, un esprit humaniste et tolérant, et une matrice annonciatrice de « Harvie Krumpet ».

uncle

Initialement intéressé par la 2D, l’animateur s’est initié au volume après avoir dû animer une boule de plasticine en 10 secondes pour l’école. L’exercice a été profitable : Eliott a transformé le scénario de son travail de fin d’études, « Uncle », la biographie d’un homme modeste qui a foi dans les plaisirs simples de la vie, comme l’entretien personnalisé d’un citronnier, la chaleur d’une tasse de café, et la fidélité d’un ami chihuahua.

Deux ans après l’école, apparaît « Cousin », l’histoire d’un petit garçon atteint de paralysie cérébrale depuis la naissance, qui porte des tenues de super héros, et cuisine des gâteaux, tout en essayant de gagner au Scrabble et de collectionner les caddies de supermarché.

Dernier volet de la trilogie, « Brother » est une forme de compromis. Après avoir réalisé des chroniques sur son oncle et son cousin, Adam Eliott est tenté de parler de lui-même, mais il juge ridicule d’appeler son film « Me ». Il fictionnalise donc la vie de son frère, à travers des souvenirs d’enfance (la collecte de mégots, les punitions à répétition, les relations avec le monde adulte, …), tout en s’octroyant une petite place à ses côtés et trois cheveux sur la tête.

« Harvie Krumpet »

« Certains naissent grands. D’autres deviennent grands. D’autres encore se voient attribuer la grandeur… . Et puis…Il y a les autres …. ». Harvek Milos Krumpetzki, né en Pologne 1922, fait partie des autres. Sa mère, Liliana, a beau le considérer comme un miracle, elle continue de converser avec des êtres imaginaires et de compter ses propres doigts. Très vite, Harvek développe lui aussi des tics, dont le plus incommodant est de toucher en permanence ce qui l’entoure avec son index. Verdict : syndrome de Tourette, réputation : débile. Sa mère le retire de l’école et s’occupe de son éducation en lui inculquant de nombreux faits qu’il collectionne dans un carnet accroché autour du cou. En 1942, quand la guerre éclate, Harvek émigre en Australie et se fait appeler Harvie Krumpet, pour faciliter son intégration. Nouveau monde, nouveaux faits. Harvie réussira-t-il à donner un sens à sa vie dans la patrie du kangourou et du koala ?

Une idée vieille de dix ans, une animation image par image, 280 plans, 14 mois de tournage, zéro ordinateur, une narration assurée par Geoffrey Rush, un Oscar, et plein d’autres prix : « Harvie Krumpet » n’est pas seulement un film ambitieux. C’est aussi le film le plus abouti qu’Adam Eliott ait conçu sur la perception de la différence, du handicap et de la maladie. Liliana disjoncte, Harvie souffre, entre autres,  d’hallucinations, du syndrome de Tourette, et de la maladie d’Alzheimer, Ruby, sa fille est atteinte de thalidomide, le Prozac et la morphine sont les alliés des maisons de retraite, … « Harvie Krumpet » n’est pas pour autant un film accablant. Dans son univers modelé en pâte,  la différence est source de blagues et de surprises. On chante (God is better than football, God is better than beer), on cache les dentiers, on met des rideaux sur sa télé, on attend des bus qui n’arrivent jamais, on fait des spectacles de marionnettes avec des chaussettes, et on profite de la vie, même si elle est moche.

Katia Bayer

Édition : Les Films du Préau. Harvie Krumpet + bonus (Uncle, Cousin, Brother, études de cas de comportement humain, storyboard, photos de tournage, commentaires audio du réalisateur)

5 thoughts on “Harvie Krumpet et autres histoires”

  1. Bonjour !
    Je dois reconnaître qu’en sortant de Mary & Max, cela faisait un sacré bout de temps que je ne m’étais pas sentie aussi « bien » en m’échappant d’un cinéma.
    😀

    PS. Je vous ai aimablement tracké dans mon post d’info sur Harvie…

  2. Effectivement, « Mary & Max » est un film très abouti, drôle et triste à la fois, qui reste en mémoire longtemps après sa découverte. Merci pour le lien aimable..

  3. mon frère m’a montré Mary & Max et je le trouve excellent mais un peu zarbi, en même tant j ai 11 ans alors ….mais je vais essayer de voir Harvie Krumpet.
    Sinon un grand bravo au réalisateur, et chapeau au niveau du 2d.

  4. Mary et Max est une révélation…Un travail de création et de réflexion à couper le souffle…J’ignorais qu’un film pouvais changer une vie…Je voudrais vivre avec Mary et Max…Merci à M. Eliott…vous avez créé une merveille du monde.

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