Izù Troin. La débrouille et le son du pinceau

Pays de mots, arbres à lettres, livres interdits, idées reçues, émotions-frissons, … Nourri par des mélodies, des typographies, et des idéogrammes variés, « Le Bûcheron des mots » est un film poétique à la croisée de plusieurs imaginaires, rencontres, et cultures. Interview à Annecy, avec Izù Troin, son réalisateur.

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Les rames, les ailes, le désir

Enfant, j’ai d’abord découvert le cinéma en prises de vues réelles. Curieusement, les films d’animation m’effrayaient. Mes parents m’avaient offert un livre, La traversée de l’Atlantique à la rame, de Jean-François Laguionie. Je le lisais tout le temps, et le connaissais par coeur. Plus tard, j’ai vu l’adaptation de La traversée au cinéma (J-F Laguionie), et « Les ailes du désir » de Wim Wenders. Tous deux m’ont marqué et donné envie de faire du cinéma. Comme la vue réelle me paraissait trop compliquée, j’ai choisi l’animation.

Tremblements et bouts de ficelle

À 14 ans, j’ai fait un petit film, « Conte d’une nuit d’hiver », en Super 8. Deux ans plus tard, j’ai contacté la Fabrique, le studio d’animation créé par Jean-François Laguionie à Montpellier. J’ai montré mon film à Bernard Palacios, un réalisateur qui m’a dit : “c’est bien, mais il faut tout refaire, parce que ça tremble dans tous les sens”. Il m’a prêté une caméra 16mm et j’ai retourné le film. J’ai appris à me servir de la caméra, et après, je me suis débrouillé, dans ma chambre, avec des bouts de ficelle et des livres. J’ai constitué un banc-titre pour filmer des cellos qui n’étaient même pas des cellos. Je ne savais pas ce que c’était, alors à la place, j’ai utilisé des rodoïdes qu’on trouve en papeterie. Et pour payer la pellicule, j’ai utilisé l’argent que mon grand-père m’avait donné pour passer le permis. J’ai payé la pellicule avec, et au bout du compte, je n’ai toujours pas le permis !

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Les Beaux-Arts

Naïvement, après le bac, j’ai tenté l’examen d’entrée des Gobelins, sans rien préparer. Je me suis retrouvé, dans une salle, entouré de gens qui ne voulaient faire que de l’anim’, et je me suis aperçu que cela ne m’intéressait pas du tout. Sur un film, je préfère travailler le cadre, la lumière, ou le storyboard, que de d’animer les personnages. Je n’ai pas été pris, mais cela ne m’a pas déçu. Comme à l’époque, il n’y avait pas d’écoles comme la Poudrière ou l’EMCA [École des Métiers du Cinéma d’Animation], j’ai fait les Beaux-Arts en attendant de trouver ma voie. Pendant mes études, je faisais de l’art contemporain très conceptuel, et des films expérimentaux. J’apprenais aussi à me servir d’outils et de logiciels, mais ce qui me manquait vraiment, c’était de pouvoir raconter une histoire. Pendant mon cursus, la Poudrière a vu le jour. J’ai réussi le concours, et j’ai laissé tomber les Beaux-Arts, parce que la formation me correspondait beaucoup mieux. C’était le tout début de l’école; je fais partie de la deuxième promotion de la Poudrière.

La Poudrière

La Poudrière était, à l’époque, une école vraiment à part. Il n’y avait pas d’autres formations pour devenir réalisateur en animation. C’était de l’expérimentation pour tout le monde, pour les professeurs comme pour les élèves. Au début, on n’a pas été beaucoup d’étudiants à se présenter à l’examen d’entrée. Encore aujourd’hui, beaucoup de jeunes gens préfèrent une école comme les Gobelins, probablement, parce que il y a plus de débouchés quand on en sort et qu’on peut trouver du travail en tant qu’animateur, en tant que technicien de l’image. À la Poudrière, c’est un peu plus risqué : quand on en sort, on est censé être réalisateur, sauf que souvent, on ne l’est pas. On travaille sur d’autres productions ou on devient assistants.

Folimage

En sortant de La Poudrière, je suis entré à Folimage. Pendant plusieurs années, j’y ai fait de la conception de génériques et un peu de compositing sur des courts et un long, « Mia et le Migou ». Depuis la fin de mes études, j’avais un projet de film, « Ceux d’en Haut ». Il s’agit de l’adaptation de L’auberge, une nouvelle de Guy de Maupassant. J’ai soumis le projet à Folimage, mais comme on n’a pas eu l’aide du CNC, le projet a été mis en standby. Sans budget, le film ne peut malheureusement pas se faire.

Les mots dans les arbres

« Le Bûcheron des mots » est né par hasard. Un jour, une amie réalisatrice, Olga Marchenko, m’a dit : “j’ai une idée qui t’irait bien. Pourquoi ne ferais-tu pas un film dans lequel les mots pousseraient dans les arbres ? “ Elle a dessiné un arbre orné de lettres. Mon style est plutôt réaliste, ce n’est pas celui du « Bûcheron ». Je lui ai dit que cette histoire la correspondait mieux qu’à moi. Elle a insisté : “non, ce n’est pas pour moi, cette histoire. Elle te ressemble plus. Prends-la et fais-en ce que tu veux.” À partir de son idée, j’ai développé une trame d’histoire. Comme je n’avais aucune dramaturgie, j’ai demandé à une scénariste, Isabelle Blanchard, de travailler sur le projet, et je l’ai présenté à Folimage. Cette fois, on a eu le CNC.

La typo

Cela fait plusieurs années que je conçois des génériques, et j’aime beaucoup y inclure de la typographie. « Le Bûcheron des mots » a été une occasion intéressante de développer une histoire avec de la typographie, de ne pas faire un générique de 11 minutes, mais presque ! Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire autour des mots et des arbres. J’ai commencé à faire des recherches, du côté des enluminures japonaises et de l’histoire médiévale, pour constituer le décor, le graphisme, et l’ambiance du film.

Le son du pinceau

J’ai eu envie d’utiliser, à un moment, des idéogrammes dans les décors. Le film commence avec un idéogramme de “mélancolie” en japonais, et se termine avec le mot “ressentir une émotion” en chinois. J’ai demandé à Hefang Wei, une amie chinoise, étudiante de la Poudrière, de peindre de la calligraphie pour l’utiliser dans le film. En la voyant travailler, je me suis dit que ce serait intéressant d’utiliser le son de son pinceau. J’en ai parlé à Loïc Burkhardt, responsable de la conception sonore du « Bûcheron » qui trouvait l’idée intéressante, et qui s’interrogeait, tout comme moi, sur le résultat.

Hefang Wei est venue à Folimage. Elle s’est installée, avec sa table et son pinceau, dans la cabine d’enregistrement où on enregistre habituellement les voix au studio. On a placé le micro très, très près du pinceau, et on a fait différents essais (avec plusieurs types de pinceaux et de papiers, avec de l’eau, …). Cette calligraphie sonore a servi à plusieurs moments dans le film, dans les bruitages et les ambiances notamment.

Les livres, la liberté

Dans le film, on retrouve des références à certaines périodes de l’histoire à travers l’interdiction et la destruction des livres. « Le Bûcheron » touche à l’idée de la liberté, à la censure, à la différence, à la peur, et aux livres interdits. La peur des livres revient assez souvent, à de nombreuses époques. J’ai travaillé sur ce projet avec des personnes qui ont vécu, directement comme indirectement, le manque de libertés et certaines répressions. Olga Marchenko, à l’origine du film, vient de Biélorussie, Serge Avedikian, le narrateur, est arménien, et Aldona Nowowiejska, la compositrice, est polonaise. Elle a connu une époque où certains livres circulaient avec de fausses couvertures. Les sensibilités propres à leurs cultures ont nourri en partie le film et m’ont donné un point de vue différent sur le récit.

Musique Babel

« Le Bûcheron des mots » est habité par des “arbres à mots” issus de différents pays et alphabets. De même, la musique, très présente dans le film, mêle plusieurs langues. Par hasard, en cherchant des musiques slaves, je suis tombé sur le site Internet d’une chanteuse polonaise, Aldona Nowowiejska. Je lui ai envoyé un mail, elle a lu le scénario, et a accepté de participer au film. Comme elle est polyglotte, elle était en mesure de faire ce mélange de langues. Les chansons sont en grande partie en polonais sauf une, celle des souvenirs, dans laquelle chaque mot est lié à une langue différente. La phrase commence en hindi, se poursuit en japonais, puis en chinois, etc. Pour comprendre la phrase dans son entièreté, il faudrait connaître toutes les langues utilisées. Je suis un des seuls à en connaître la traduction !

En cours et à venir

Depuis près de sept ans, je travaille sur « Ceux d’en Haut ». C’est un film très sombre de 25 minutes en animation traditionnelle qui est très difficile à financer. À l’heure actuelle, je n’ai plus de producteur, mais 8 minutes du film sont terminées. J’espère l’achever bientôt. J’ai d’autres projets en tête : un court métrage en vue réelle : « Larmes » et une version longue du « Bûcheron des mots ». Isabelle Blanchard, la scénariste du film, a commencé à en écrire le scénario. L’histoire sera assez différente, mais inclura le même univers et le même graphisme que le court métrage.

Propos recueillis par Katia Bayer

Consulter les fiches techniques de « La Traversée de l’Atlantique à la rame », du « Bûcheron des mots », ainsi que le blog d’Izù Troin

One thought on “Izù Troin. La débrouille et le son du pinceau”

  1. Bonjour,

    Mille mercis pour ce magnifique court-métrage qu’est « Le Bûcheron des mots » … merci pour cette poésie, cette histoire (universelle ?)…cette musique et cette langue …

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