La Cinéfondation dévoile son palmarès

Le palmarès de la Cinéfondation est connu. Lors d’une cérémonie, salle Buñuel, le Jury, présidé par le réalisateur britannique John Boorman, et composé du cinéaste français Bertrand Bonello, de l’actrice chinoise Zhang Ziyi, du réalisateur tunisien Ferid Boughedir, et de la comédienne portugaise Leonor Silveira a primé les films suivants :

Premier Prix : Baba réalisé par Zuzana Kirchnerová-Špidlová (FAMU, République Tchèque)

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Synopsis : « Ma mère ne m’a rien demandé, elle a tout simplement amené grand-mère chez nous. Maintenant, elle est couchée au milieu de ma chambre. Et c’est moi qui m’occupe d’elle. Tout le temps. »

Deuxième Prix : Goodbye réalisé par Song Fang (Beijing Film Academy, Chine)

goodbye

Synopsis : Lors de sa première visite à Nanjing, Li Xin est blessée dans un accident. C’est la ville de Lin Xi, son amie proche aujourd’hui décédée, dont les parents sont contactés par la police pour lui venir en aide. Elle ne les connaissait pas mais séjourne chez eux le temps.

Troisième Prix (ex aequo) :

Diploma réalisé par Yaelle Kayam (The Sam Spiegel Film & TV School, Israël)

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Synopsis : C’est la nuit dans la ville d’Hébron et les colons s’apprêtent à célébrer le carnaval de la fête de Pourim. Samer, un adolescent palestinien de 15 ans, veut accompagner sa soeur aînée Ayat à l’université pour chercher son diplôme. En se faufilant par les toits et les ruelles, ils doivent éviter les colons, l’armée et la horde de journalistes étrangers.

Don’t step out of the house réalisé par Jo Sung-hee (Korean Academy of Film Arts, Corée du Sud).

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Synopsis : Un garçon pauvre et sa petite sœur habitent un appartement en sous-sol.
Un jour, des intrus pénètrent dans la maison et les menacent.

Les films primés reçoivent également une dotation de 15 000 € pour le premier prix, 11 250 € pour le deuxième et 7 500 € pour le troisième.

Site internet : http://festival-cannes.fr/fr/cinefoundation.html

Serge Riaboukine : “un court métrage, ça peut être un véritable coup de poing”

Membre du jury au dernier festival du court métrage de Bruxelles, le comédien Serge Riaboukine est connu pour ses collaborations avec Pierre Salvadori et Manuel Poirier, mais aussi pour sa participation à plusieurs courts métrages remarqués en festival (« La Leçon de guitare », « Tout est bon dans le cochon », « La Copie de Coralie »). Rencontre avec un gouailleur sensible.

As-tu tu des souvenirs de cinéma reliés à ton enfance ?

J’ai eu la chance qu’un ami de la famille, un russe, Monsieur Merkouloff, m’emmène au cinéma tous les dimanche. Dans le bled paumé où je suis né, il y avait des projections de nanars. J’ai des souvenirs de trucs complément improbables, avec ce Monsieur. J’ai été marqué par des films de science-fiction japonais à chier. Il m’emmenait aussi voir les de Funès, donc j’ai découvert le cinéma un peu comme ça. Il y a eu la télé évidemment. À l’époque,  quand on voyait un film à la télé, on s’en souvenait. Comme il n’y avait qu’une chaîne, quand un film était diffusé, c’était un événement. Mais le plus marquant, forcément, reste les expériences dans les salles de cinéma. Le grand choc, c’est quand tu découvres un auteur et un cinéma. Pour moi, ça a commencé par « Le bon, la brute, et le truand », puis, il y a eu tous les autres films de Sergio Leone, « Leni », et « L’important, c’est d’aimer ».

À quel moment, t’es-tu dit que tu avais envie de te rapprocher du cinéma ?

Oh, j’ai eu une révélation, tout jeune. Je me suis dit : “c’est ça que je veux faire”. Ca m’est paru comme évident. Après, j’ai mis du temps à me décider. À l’age de 16 ans, j’ai dit : ça, y est, je vais faire ça, d’une façon concrète après avoir vu « Leni » et « L’important, c’est d’aimer ». Ces deux films ont été les déclencheurs.

Tu savais que tu voulais faire comédien ou tu avais d’autres envies ?

Comédien et réalisateur, les deux. Comédien, ça m’est apparu comme étant plus facile, et réalisateur, plus difficile. La preuve, à 51 ans, je n’ai toujours rien réalisé. Mais si avec le seul film que je ferai, je fais le même effet, que m’ont fait « Orange Mécanique », « Leni », « Le bon, la brute, et le truand », ce n’est pas la peine de faire d’autres films. Un seul suffira. Donc je préfère prendre mon temps pour faire le bon film (rires)!

Tu réfléchis à ça ? Tu es en train d’écrire ?

J’ai pris la grande décision de me dire que je n’allais pas écrire, le premier. Ma compagne est scénariste. C’est elle qui écrira le film que je vais réaliser. J’écrirai plutôt le second, ce qui m’évitera de tomber dans le piège du film d’auteur où on met tout, et après, on est un peu creux, un peu vide. Je vais m’investir, parce que c’est le premier, mais moins que si c’est une histoire que j’écris. C’est une manière, je pense, d’échapper au syndrome du second film. J’étudie ça depuis longtemps. J’ai fait beaucoup de premiers films, avec des jeunes réalisateurs que je trouve magnifiques, et j’ai été déçu devant leur second film. Je me demande comment ces gens qui ont tant de talent se plantent mais c’est le syndrome du second film, c’est très dur d’y échapper. J’ai compris qu’il ne fallait pas que j’écrive.

Ce sera un long ou un court ?

Un long. Ce sera un film de genre, un film noir. Cela dit, quand je vois des courts métrages au festival, je me dis qu’un court, ça peut être un véritable coup de poing, et que je ferais bien un court métrage aussi. Ca me tenterait bien, alors que je me suis toujours dit que j’allais faire le long en premier. Pour faire un film, quelqu’il soit, long ou court, il faut remuer ciel et terre alors, je me suis dis  autant le faire pour un long. Mais en même temps, si jamais il me vient une idée de court métrage que j’écrirais par contre, je le ferais volontiers.

On t’en propose beaucoup, en tant que comédien, des rôles dans des courts métrages ?

Oui, on m’en propose beaucoup, d’autant que j’ai eu la chance de faire, coup sur coup, quelques très bons courts métrages (« La Leçon de guitare », « Tout est bon dans le cochon », « La Copie de Coralie ») qui ont voyagé dans énormément de festivals, et qui ont reçu des prix. Depuis « La Leçon de guitare », beaucoup de propositions me sont parvenues. J’en avais toujours eues, mais là, ça c’est multiplié, mais je les ai déclinées assez souvent parce qu’il faut vraiment qu’un film me plaise pour que j’ai envie d’y jouer. Je ne cherche pas à faire un film pour le faire. Il faut qu’il y ait beaucoup de conditions. Il faut que je sente que ce n’est pas gratuit. Parfois, ça correspond à des attentes. Par exemple, le scénario de « La Leçon de guitare »est arrivé au bon moment. J’avais envie de chanter, je me suis dit : “voilà l’occasion de le faire”.

As-tu des critères ?

Aucun. Oh ben non, le critère, c’est que ça me plaise. C’est comme si tu me demandes de choisir entre une blonde, une brune ou une rousse. Si elle me plaît, elle peut même être chauve, ça m’est égal. Là, pareil, ça peut être une comédie musicale, un western, un film noir, un film d’horreur, un film gore, …Je n’ai pas de genre de prédilection.

Est-ce qu’à un moment donné, il y a un risque pour un comédien d’avoir une sorte d’étiquette de comédien de court métrage ?

Oui, ça peut arriver parce que les gens sont assez cons pour mettre des étiquettes. Moi, je ne veux pas avoir d’étiquette, donc quelque part, je fais attention à ça. Je suis probablement aussi con que ceux qui mettent des étiquettes puisque je fais attention à ne pas en avoir. En attendant, j’alterne les courts et les longs, je fais des téléfilms. Je prends ce qui me vient, mais je ne peux pas totalement décider de ma carrière. Je ne suis pas encore Nicole Kidman. Pour y arriver, il va me falloir beaucoup de travail !

Tu as senti une évolution de la place du court métrage tout au long de ta carrière ?

Oui, parce qu’à un moment, dans les années 80, j’en ai fait beaucoup, énormément même. On m’appelait le “Depardieu de l’IDHEC” à cette époque qui coïncidait avec celle du grand Depardieu et du grand IDHEC qui n’était pas encore la Fémis. Pendant une année, j’ai fait 6 ou 8 courts métrages, sans suite : c’étaient des films d’école. Moi, je les faisais pour apprendre mon métier en me disant que je ne risquais pas grand chose, et en même temps, je m’entraînais avec la caméra. À cette époque, je faisais beaucoup de théâtre, et pas tellement de cinéma. Là, grâce à l’IDHEC, j’ai appris plein de choses sur la caméra, et sur la façon de jouer au cinéma. Avec le temps, j’ai vu évoluer le court métrage et devenir quelque chose de plus important. Par exemple, je me suis rendu compte que plus de gens m’ont vu dans « La Leçon de guitare » que dans des longs métrages, même importants, dans lesquels j’ai joué.

Si on prend « La Leçon de guitare » et « La Copie de Coralie », le rapport au chant est très différent : dans le premier, c’est un play-back et dans le second, par contre, c’est un son direct.

Dans « La Leçon », on a été obligé de passer par le play-back, parce que c’était très difficile de jouer de la guitare et de chanter en même temps en live. Si j’avais eu une quelconque prédisposition, un quelconque talent à la guitare, on aurait pu se permettre de faire du live, mais là, ce n’était pas possible. J’étais très mauvais à la guitare, je ne savais pas du tout en jouer avant le tournage. Le comédien qui interprète le professeur dans le film est en réalité un vrai guitariste et un vrai professeur. Pendant plusieurs semaines, il est venu chez moi pour m’apprendre Laetitia. J’étais donc dans la vraie position du personnage. Chanter en studio, par contre, a été très facile. Ce que je trouve très fort, c’est qu’on ne se rend pas du tout compte que c’est un play-back. On peut croire que le play-back est une sécurité, mais il faut être très bon, surtout pour le play-back des doigts. J’ai fait des efforts afin que les 1% de guitaristes qui auraient vu le film y croient. Par contre, « La Copie de Coralie », c’était en direct, et il a fallu beaucoup, beaucoup travailler.

Est-ce dû en partie à la musique du compositeur du film, Philippe Poirier, qui n’est pas réellement chantée ?

Oui. C’est une musique qui est très difficile, et en même temps, très agréable. Pendant qu’on travaillait, j’ai beaucoup pensé à l’homme à la tête de chou, au Paris chanté de Gainsbourg. Chez Poirier, il y avait une espèce de décontraction et en même temps, une façon d’appuyer sur certains trucs. Dans « La Copie », j’ai un long plan séquence, un monologue chanté. Le faire, ce n’est pas si dur que ça. Le problème, c’est le faire sans s’arrêter (rires) ! J’étais fier d’y être arrivé, mais Engel, il a dû se tirer les cheveux, parce que j’ai eu des moments difficiles. Même Jeanne Cherhal qui est chanteuse, a eu des petites difficultés à s’acclimater à cette technique de chant. Mais c’est ce qui fait toute la valeur du film. Ce n’est pas Jacques Demy, on est ailleurs. C’est surprenant, la façon dont le chant entre petit à petit dans l’histoire, alors que dans les comédies musicales, ils ne se prennent pas la tête des fois :  ils parlent, puis d’un coup, sans prévenir, ils lancent la musique, et ils chantent.

Qu’est-ce qui t’a décidé à t’impliquer dans ce projet ?

Quand j’ai reçu le projet, j’ai dit : “oh, putain !”. Moi, je suis fou de comédies musicales qui ont révolutionné le genre à chaque fois. du genre West Side story ou les Blue Brothers. Quand j’ai vu « Les voiliers du Luxembourg », le premier film de Nicolas, je n’ai pas été plus motivé que ça, parce que j’ai un rapport conflictuel avec Jacques Demy. Quand j’étais petit, ma mère et mes soeurs m’ont emmené voir Les Parapluies, et j’ai pleuré, et j’ai dit : “ça, c’est du cinéma de gonzesses!”. Rétrospectivement, je pense que j’ai refusé d’admettre que ça me touchait, et sans savoir pourquoi, j’ai gardé ce blocage à la con. En fait, je crois que c’est plus lié à la musique de Legrand qu’à Demy. Demy, c’est quand même lyrique, beau, lumineux, et gai, alors que Legrand, c’est pompeux, ça me gave. Du coup, dès que quelque chose y ressemble, j’ai une espèce de rejet. Mais comme Nicolas m’a dit qu’il allait déstructurer la musique, et qu’il y aurait des sons de photocopieuses qui rentreraient petit à petit dans le rythme, j’ai dit oui.

Tu joues souvent des personnages plutôt fragiles, pas forcément dans leur environnement, un peu gauches. Ce sont des rôles que tu affectionnes ou on t’en propose beaucoup, des rôles comme ça ?

Les fragiles, j’aime beaucoup ça. Mon rêve, c’est de faire aussi des rôles fragiles dans des comédies. Bizarrement, il n’y a que les cinéphiles qui savent que je peux être bon dans ce registre, il y en a beaucoup qui se laissent berner par l’image de l’homme fort qu’on me donne à jouer, qui n’est pas moi. Moi, je ne suis pas un homme fort, même si ce n’est pas à moi de le dire. Enfin, si, un peu d’embonpoint, peut-être (rires) ! Dans les films de Poirier, de Salvadori ou dans « La Tour Montparnasse infernale », je joue des méchants ou des forts un peu cons qui font rire. Les rôles de méchant, c’est bien, mais moi, je veux faire la victime, le gentil con comme je suis dans la vraie vie. Le type qui ne sait pas s’exprimer, et qui est maladroit, ça, ça m’intéresse. Et ça marche d’enfer, parce que quand tu es grand comme ça, le spectateur ne s’attend pas à avoir un gentil con, en face de lui !

Question sur ta présence au festival. Tu suis les projections, en tant que juré. Est-ce que tu as réussi à être surpris, à sentir une originalité dans les films ?

C’est très délicat. On est humble dans un festival de courts métrages. Souvent, quand on voit un très bon film, ça galvanise, on a envie de faire ce métier, en se disant : “je vais faire pareil”. Quand on voit un mauvais film, on hésite à faire du cinéma, on se dit : “merde, c’est dur quand même”. Il y a beaucoup plus de mauvais films que de bons. Il faut vraiment oublier les mauvais, et penser aux bons.

Il faut avouer que plus on avance en âge dans le métier, plus on a du mal à être surpris. Les émotions dues aux films que j’ai cité au début, ce sont des émotions que j’ai eues en étant jeune, en étant “pur”, novice. Devant un travelling, mes poils se hérissaient, un mouvement de caméra me rendait fou… Je regrette d’ailleurs de ne pas avoir eu le courage et l’audace de réaliser quelque chose à ce moment-là, parce que je suis sûr que j’avais une sensibilité avec la caméra que j’ai perdu. Aujourd’hui, j’en ai le souvenir, mais je n’en ai plus la vraie émotion. Ici, c’est pareil : je vois des films, et ceux qui me surprennent, ce sont ceux qui osent et qui ont un ton. Pour certains, on sent vraiment le sujet, pour d’autres pas. Je trouve que les préoccupations des réalisateurs sont souvent terre à terre, et que les films sont anecdotiques. Personnellement, ce qui m’a surpris, c’est la spontanéité des acteurs dans des situations données par l’écriture, et le metteur en scène. Celui-ci les amène à faire des actes que je trouve vraiment géniaux.

Est-ce que tu as besoin d’être beaucoup dirigé ?

Ah non, moi, je n’aime pas trop qu’on me dirige.Par contre, j’aime bien qu’on me donne, comme dans un parcours de ski, des indications. Il y a des metteurs en scène qui sont très directifs, qui te font refaire plein de prises, et petit à petit, tu te trouves en étant libre, et il y en a d’autres qui te font chier pour la façon de parler, et de jouer. Grâce à Dieu, je les éloigne ceux-là. Ils ne me font pas de propositions, parce qu’ils ont peur de moi, je pense ou parce qu’ils savent que ça ne va pas être possible. Et moi, quand je les vois venir, je sais que je ne vais pas travailler avec eux. Ca m’emmerde les scolaires qui sont chiants sur le texte et qui ont envie qu’il soit restitué tel qu’il est écrit. Moi, je ne suis pas du genre à transformer le texte, j’ai même beaucoup de respect pour ça, mais il n’y a pas de musique préétablie dans un rôle.

Quels sont tes prochains projets ?

Je vais jouer dans le premier long métrage de Teddy Modeste, un jeune réalisateur sortant de la Fémis. Le film aborde l’univers des pentecôtistes, des gitans chrétiens, et je vais y jouer un prêtre pentecôtiste. C’est un rôle extraordinaire, j’en attends beaucoup. Sinon, je suis en train de faire un téléfilm, « Les vivants et les morts », avec Gérard Mordilla pour France 2.

Tu es là par rapport au court métrage. Question carte blanche : qu’est-ce qui t’intéresse dans ce format ?

C’est que tout est possible. J’ai l’impression qu’on peut plus facilement faire des choses totalement incorrectes dans un court métrage plutôt que dans un long métrage, parce qu’il n’y a pas d’enjeu économique

Il y a plus de liberté ?

Oui, je crois. Je crois d’ailleurs que ce qui manque pendant l’élaboration d’un court métrage, c’est la conscience de cette liberté.

Propos recueillis par Katia Bayer et Thierry Lebas

Articles associés : l’interview de Nicolas Engel et la critique de « La Copie de Coralie »

Consulter les fiches techniques de « La Leçon de guitare » et de « La Copie de Coralie »

L comme La Leçon de guitare

Fiche technique

Synopsis : Michel, la quarantaine, ne fait pas grand chose de sa vie. Lorsqu’il tombe sur la petite annonce ”jeune homme donne cours de guitare pour débutants”, il décide de se lancer.

Genre : Fiction

Durée : 17’40’’

Pays : France

Année : 2006

Réalisation : Martin Rit

Scénario : Martin Rit, Mariette Desert

Images : Hoang Duc Ngo Tich

Son : David Rit, Vincent Verdoux, Daniel Sobrino

Montage : Damien Maestraggi

Interprétation : Serge Riaboukine, Sébastien Morin, Luc Moullet, Pauline Morand,

Décors : Thierry Fievre

Production : Sunday Morning Productions

Article associé : l’interview de Serge Riaboukine

Next Floor de Denis Villeneuve

Tous à table

Le Canadien Denis Villeneuve, sélectionné à Cannes en 1997 à la Quinzaine des réalisateurs pour un long métrage collectif intitulé « Cosmos », collectionne, depuis plus de 20 ans, prix et distinctions dans le monde entier. Pour ce réalisateur de 42 ans, le court métrage n’est pas un exercice, mais bien un moyen d’exprimer un univers visuel particulier sur un format qui se prête à toutes les audaces. Son dernier opus « Next Floor », a obtenu le Grand Prix Canal+ du meilleur court métrage en 2008 lors de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes. Il ne repart, hélas, qu’avec une mention spéciale du Jury jeune au Festival du court métrage de Bruxelles.

En 1974, Luis Buñuel, dans « le Fantôme de la liberté » se jouait des conventions sociales et mettait en scène de typiques bourgeois réunis autour d’un table pour… déféquer. La nutrition, chose honteuse, était, elle, cachée dans un petit endroit au fond du couloir dans lequel on se séquestrait à double tour. L’acte de manger, de digérer et de déféquer se rangent parmi les expériences les plus fondamentales, les plus corporelles de l’homme. Le repas est un acte social, contrairement à la défécation…simple question de moeurs.

Pourtant, se nourrir peut se révéler quelquefois aussi obscène, il suffit de revoir « La grande Bouffe » de Marco Ferreri pour se convaincre que la représentation charnelle de la nourriture pose de profondes questions philosophiques quand elle est faite non pour se nourrir mais pour mourir. C’est un peu le postulat de « Next Floor » de Denis Villeneuve. Onze convives entourés de musiciens, d’une valetaille afférée et d’un maître d’hôtel pour le moins inquiétant déchiquètent, absorbent, sucent, avalent, gobent, les plats de chair animale qui se suivent et ne semblent pas avoir de fin.

Au menu, félin, tatou, rhinocéros et autres jolies atrocités filmées avec une délicatesse qui éveille des sentiments entre dégoût et fascination. Gros plan sur les bouches, les os, les yeux, la viande, les invités de cet étrange rituel, alourdis, tombant d’étages en étages avec force fracas. Impassibles, ils recommencent, animés d’un désir de possession sans limites, d’une violente frénésie de consommation. Si durant cet anti banquet platonicien, pas une parole ne s’échange, s’y dévoile pourtant une vérité humaine qui passe justement par l’oralité, mais l’oralité primitive.

Métaphore d’une société consumériste, destructrice et auto destructrice ? « Next Floor » n’affirme rien et laisse le champ libre à toutes les interprétations. Sa force visuelle et sa mise en scène réglée comme une machine infernale en font une œuvre d’une cohérence remarquable qui ne laissera personne indifférent.

Sarah Pialeprat

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N comme Next Floor

Fiche technique

Synopsis : Au cours d’un opulent et luxueux banquet, onze convives, servis sans retenue par des valets et des serviteurs attentionnés, participent à un étrange rituel aux allures de carnage gastronomique. Dans cet univers absurde et grotesque, une succession d’événements viendra secouer la procession de cette symphonie d’abondance.
Genre :  Fiction

Durée : 12’

Pays : Canada

Année : 2008

Réalisateur : Denis Villeneuve

Scénario : Jacques Davidts, sur une idée originale de Phoebe Greenberg

Images : Nicolas Bolduc

Montage : Sophie Leblond

Son : Sylvain Bellemare, Bernard Gariépy Strobl

Musique originale : Warren Slim Williams

Interprétation : Marchand, Mathieu Handfield, Sébastien René, Emmanuel Schwartz, Simone Chevalot, Ken Fernandez, Ariel Ifergan, Sergiy Marchenko, Deepak Massand, Gaétan Nadeau, Charles Papasoff, Daniel Rousse, Helga Schmitz, Dennis St-John, Valérie Wiseman, Warren Slim Williams, Luc-Martial Dagenais, Neil Kroetsch

Production : PHI GROUP

Article associé : la critique du film

Focus Festival du court métrage de Bruxelles

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Du 30 avril au 10 mai, avait lieu le 12ème festival du court métrage de Bruxelles. Pendant 10 jours, 250 films de moins de 30 minutes, répartis en de nombreuses séances, étaient proposés aux spectateurs et aux professionnels (acheteurs et programmateurs). Outre la compétition nationale (24 films belges) et internationale (56 films), la programmation avait misé sur le « off » : Grands réalisateurs, Best of International, Courts mais Trash (films indépendants et décalés), Latinos ! (films mexicains, brésiliens et argentins), carte blanche offerte au Festival de Biarritz, Très Courts (films d’une durée maximale à 3 minutes), séances UIP (14 courts récompensés dans 14 gros festivals européens), les 50 ans de l’IAD, clips, deux Nuits du court, des films seen on the Net, et enfin les 10 ans du mouvement Kino (films réalisés en 48 heures chrono).

Retrouvez dans ce Focus :

12ème festival du court métrage de Bruxelles : le Palmarès International

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Le Jury du 12ème festival du court métrage de Bruxelles (Augustin Burger, Nicolas Buysse, Anne Coesens, Eric De Staercke, Serge Riaboukine, Laetitia Spigarelli) a annoncé le palmarès national et international des films en compétition, hier soir, au Vendôme. Voici les films de la sélection internationale primés.

Grand Prix du Festival : « Smáfuglar » (Runar Runarsson, Islande)

Prix d’interprétation masculine : Harry Treadaway (pour « Love you more », de Sam Taylor-Wood, UK), ex-aequo avec Simon J. Berger (pour « Instead of Abracadabra », de Patrick Eklund, Suède)

Prix d’interprétation féminine : Andrea Riseborouch (pour « Love you more », de Sam Taylor-Wood, UK)

Prix du Jury Jeune : «Directions » (Kasimir Burgess, Australie)

Mention spéciale du Jury Jeune : «Next Floor » (Denis Villeneuve, Québec)

Prix Be TV : « Caporal Crevette » (Christian Laurence, Québec)

Prix du Public : « Instead of Abracadabra » (Patrick Eklund, Suède)

Mention spéciale du Jury pour la mise en scène : « Cafe Paraiso » (Alonsa Ruizpalacios, Mexique)

12ème festival du court métrage de Bruxelles : le Palmarès National

festival-bruxelles

Le Jury du 12ème festival du court métrage de Bruxelles (Augustin Burger, Nicolas Buysse, Anne Coesens, Eric De Staercke, Serge Riaboukine, Laetitia Spigarelli) a annoncé le palmarès national et international des films en compétition, hier soir, au Vendôme. Découvrez la liste des films belges primés.

Grand Prix National : « Bonne nuit » (Valéry Rosier, Belgique)

Prix de la Communauté française : « De si près » (Rémi Durin, Belgique)

Prix de la Photo : « Milovan Circus » (Gerlando Infuso, Belgique)

Prix d’interprétation féminine : Catherine Salé » (pour « Classes vertes de Alexis Van Stratum, Belgique)

Prix d’interprétation masculine : Jean-Benoît Ugeux et Pierre Nisse pour « Michel » de Emmanuel Marre et Antoine Russbach (Belgique)

Prix du Public : « Victor » (Kobe Van Steenberghe)

Prix La Deux : « L’été » (Vania Leturcq)

Prix de la Critique : « Jazzed » (Anton Secola)

Mention spéciale du Jury : « Panpan » (Sacha Caloussis, Belgique)

Mention spéciale du Jury Presse : « Michel » de Emmanuel Marre et Antoine Russbach (Belgique)

Leviathan de Simon Bogojevic-Narath

Projeté à la Fête de l’animation, à Lille, lors de la séance du studio croate Kenges, « Leviathan » de Simon Bogojevic-Narath (Prix du meilleur film d’animation à Clermont-Ferrand en 2008), est une réflexion en images sur le pouvoir et ses dérives adaptée du livre homonyme de Thomas Hobbes.

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Peintre et animateur, le croate Simon Bogojevic-Narath signe, avec « Leviathan », un film complexe par son sujet et son animation. Adaptation originale du traité politique classique de Hobbes, sorte de mise à jour postmoderne du symbolisme à la Bosch, le film est caractérisé par un trop plein d’éléments. Tel un peintre qui surchargerait sa toile, Simon Bogojevic-Narath remplit son cadre. Les détails sont partout et nulle part : les individus sont fous, nus, et hilares, les ethnies s’entretuent, une fanfare joue une marche militaire, des têtes d’hommes et de femmes se font écraser au rythme de la musique, les figures du pouvoir, religieux et politique, renaissent des cendres et des débris, … La composition de l’image est telle qu’il est difficile de décrocher, notamment devant la séquence impressionnante du personnage gigantesque du Leviathan, constitué d’une centaines d’individus, hommes et femmes, et qui se redresse, brandissant une épée dans une main, un sceptre dans l’autre.

Si Simon Bogojevic-Narath s’intéresse aux livres anciens, il ne dédaigne pas pour autant les citations et les métaphores. On pense notamment à l’évocation directe de l’œuvre source dans le générique, ainsi qu’à l’extrait de la célèbre gravure du Leviathan réalisée par Abraham Bosse pour le frontispice original du livre. Le décor du film propose, lui aussi, d’autres hommages : des escaliers et des centres de gravité éclatés, à la Escher, des ruines futuristes évocatrices de films tels « Le Jour d’après » ou « Waterworld », un gramophone en lien avec Fellini,…. Enfin, le générique contient également une allusion cinématographique intéressante, empruntant à Hitchcock : le film s’ouvre  sur des ombres et des bruits d’oiseaux menaçants, suggérant le monde dépeuplé et délabré des « Oiseaux ».

Dans ce monde à la dérive, la notion de guerre (bellum omnium contra omnes – guerre de tous contre tous) est esthétisée  L’ironie de la situation réside dans l’idée que la guerre, si terrible qu’elle soit, est perçue comme une condition nécessaire pour le commonwealth sociétal. Par conséquent, les victimes de la violence applaudissent et encensent les actes de violence qu’elles subissent, jusqu’à entamer une célébration orgiastique prenant un effet stroboscopique.

Vision d’apocalypse ? Point de vue sur le chaos ? Film sur la fin du monde ou regard sur le monde actuel ? Simon Bogojevic-Narath refuse de se prononcer. Pour lui, c’est au spectateur de lire son Leviathan, selon sa propre interprétation.

Adi Chesson

Article associé : l’interview de Simon Bogojevic-Narath

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Simon Bogojevic-Narath. L’animation, la métaphore

Simon Bogojevic-Narath est peintre, vidéaste, et animateur, en Croatie. ll y a deux ans, son film « Leviathan »  a été distingué à plusieurs reprises, notamment à Clermont-Ferrand (Meilleur Film d’animation, Mention du Jury Jeunes). À la cinquième fête de l’animation de Lille, il représentait le studio d’animation Kenges spécialisé dans la 2D/3D et les effets spéciaux. Rencontre avec un peintre du mouvement.

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Quels films t’ont intéressé, plus jeune ?

Les films qui m’ont influencé le plus, enfant, sont des films de génération (« Star Wars », « Indiana Jones », etc), mais ceux qui m’ont fait penser sérieusement au cinéma, ont été les films expérimentaux de Man Ray, Buñuel, etc. Ces films qui m’ont fait penser que le cinéma pouvait être autre chose qu’un divertissement; ils m’ont fort impressionné en termes de langage cinématographie, et de structure de narration.

Tes références sont européennes et américaines. Les cinéastes croates t’ont-ils également marqué?

En Croatie et plus globalement en ex-Yougoslavie, il y a eu de très bons artistes vidéo. Un en particulier, Vladimir Kristl, a été très important à mes yeux. Artiste, peintre et animateur, il a été un des fondateurs de l’école d’animation de Zagreb. Ses animations étaient très visuelles et éloignées du monde de Disney.

À quel moment l’animation est-elle apparue dans ton parcours ?

L’animation est apparue plus tard dans ma vie. Après avoir étudié la peinture aux Beaux-Arts, j’ai commencé à faire des vidéos d’art et des installations vidéo. Si je me suis intéressé à  l’animation, c’est grâce à mon bagage expérimental et à l’accessibilité technologique. À l’époque, c’était très compliqué de se lancer dans l’animation. Les équipements étaient très chers et hors de portée, mais à la fin des années 80, les ordinateurs sont arrivés. Ils étaient assez élémentaires, mais nous pouvions nous les procurer aisément, et travailler sans dépendre  des studios. Au même moment, en tant qu’artistes, nous essayions de voir quelle étaient les limites de la peinture, et si il était possible de peindre au-delà. Nous nous sommes tournés vers les images en mouvement, parce qu’il y avait une multitude d’idées visuelles à expérimenter. C’est ainsi que je suis passé de la peinture à l’animation.

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Dans tes films, tu privilégies un univers sombre, chaotique, apocalyptique…

On peut dire la même chose de l’univers de Terry Gilliam, et pourtant ses films sont pleins d’humour. La lecture d’un film reste toujours subjective : il y a autant d’interprétations que de spectateurs, au final.

Plusieurs de tes films s’inspirent de livres anciens et de cultures très éloignées. Pourquoi ce choix?

Je suis très conservateur (rires)! J’adore les livres anciens, je trouve qu’ils traitent de sujets très contemporains. Mon sentiment est que nous vivons dans une époque très rapide et superficielle, et que nous ne prenons pas le temps de considérer avec justesse ce que ces auteurs-éclaireurs ont écrit, il y a plusieurs centaines d’années, sur la société. Celle-ci change peut-être beaucoup, mais certaines choses sont immuables.

Qu’est-ce qui t’a intéressé dans le livre de Thomas Hobbes, Le Leviathan ?

J’ai eu envie de traiter un sujet sérieux avec un humour noir. Les prémisses du livre de Thomas Hobbes sont étranges, comme l’idée de s’entretuer si l’État ne nous commandait plus. Je ne suis pas d’accord avec ce concept, mais j’ai trouvé intéressant de transposer cette réflexion, dans une société individuelle et organisée, avec des moyens audiovisuels. En tant qu’artiste, ça m’intéresse de creuser du côté de ce qui n’est pas très beau, et de secouer le public visuellement, notamment à travers les métaphores.

Comment as-tu travaillé sur ce projet ?

Sur «Le Leviathan », je n’avais pas de storyboard très détaillé, comme ce fut le cas sur « Plasticat » et « Morana ». J’avais juste noté des sensations que je cherchais à atteindre. Nous étions cinq personnes folles et lunatiques à travailler sur ce projet, pendant deux ans. En ce qui concerne la production, l’avancement du projet a été très lent et très peu professionnel car nous ne respections jamais les deadlines. Un vrai désastre !

Quelles étaient tes références esthétiques, au moment du film ?

Ce qui m’a marqué, ça a été cette image de l’État, composée de nombreux individus, qui n’est autre que la copie du frontispice du livre de Thomas Hobbes. Elle sublime tout le contenu du Leviathan, elle est effrayante, mais cela a été vraiment très intéressant de l’animer, de la faire bouger, avec toutes les personnes qu’elle comporte. Quand j’ai commencé à faire ce film, je n’avais pas d’idées particulières en tête, j’incorporais des réflexions au fur et à mesure, comme un puzzle.

Es-ce que le conflit en ex-Yougoslavie a influencé ton travail ?

Il y a des guerres, certes, mais elles ne touchent pas tout le monde. Quand Zagreb fut bombardé, l’air était chargé, mais d’un autre côté, les gens continuaient à sortir. En 1993, je faisais des installations vidéos avec un groupe d’artistes de Zagreb. Les Allemands étaient intéressés par notre travail, et voulaient le montrer à l’étranger. Le public a été très déçu car nous n’avions pas d’images représentatives de la guerre. Nos installations reflétaient peut-être la situation, mais cela ne se voyait pas à première vue. C’était très étrange, cet accueil. Je pensais, et je pense encore maintenant, que c’est très facile d’exploiter la situation d’un pays en guerre. Cette situation peut paraître exotique aux yeux des autres. La Croatie a été attaquée, c’est vrai. Certaines personnes ont souffert pendant la guerre, et ont tout perdu, mais il y en a d’autres qui n’en ont pas été aussi touchées. Qui suis-je pour juger ? Je fais de l’art.

flowers

Quel est le sujet de ton prochain projet, « The flowers of battle » ?

Ce sera un film très expérimental, en 2D, 3D, et stop-motion. Il traitera des libertés individuelles, de la manipulation, du contrôle de la société, et du collectif étatique, à travers l’art éteint du maniement de l’épée. Je compte, comme toujours, utiliser beaucoup de métaphores, et même introduire une nouveauté, des comédiens prêtant leurs voix au film. Et pour ne pas changer, je me base sur un livre ancien, un manuscrit, Flos Duellatorum, écrit en 1410.

Tu as fait cinq courts métrages. Qu’est-ce qui t’intéresse dans ce format ?

Je me sens plutôt à l’aise avec le court métrage. Celui-ci me permet d’être libre artistiquement. Je peux faire ce que je veux, sans compromis.  C’est une situation idéale pour moi. Je n’aurais peut-être pas pu faire ce que j’ai fait sur « Leviathan » ou « Morana » si j’avais dû l’envisager sur un format long. Ça aurait juste été impossible et trop cher.

Quelles sont les structures existantes pour le court métrage d’animation en Croatie ?

Nous avons deux écoles d’animation, l’une à Zagreb, l’autre, plus récente, à Split, où je torture les étudiants, avec mon ami Veljko Popovic [réalisateur de « She who measures »] (rires)! Nous avons un excellent festival expérimental, 25 FPS, et des grands studios obsolètes, dont Zagreb Films, qui date des années 50 et qui a du mal à se renouveler. Personnellement, j’attends beaucoup de la jeune génération.

Propos recueillis par Katia Bayer

Article associé : la critique du film

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L comme Leviathan

Fiche technique

Synopsis : Réflexions en images sur le livre de Thomas Hobbes, « Léviathan », le manuel de tous les souverains du monde.

Genre : Expérimental, Animation

Durée : 14’40’’

Pays : Croatie

Année : 2006

Réalisation : Simon Bogojevic-Narath

Scénario : Simon Bogojevic-Narath

Directeur photo : Simon Bogojevic-Narath

Techniques : Animation d’objets, ordinateur 3D

Musique : Hrvoje Stefotic

Animation : Mario Kalogjera, Sasa Budimir

Effets spéciaux : Simon Bogojevic-Narath

Production : Kenges

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